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Alain.R.Truong
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1 octobre 2024

Lê Phô, Mai-Thu, Vu Cao Dam Pionniers de l’art moderne vietnamien en France, au musée Cernuschi

PARIS - Le musée Cernuschi propose cet automne la première grande rétrospective en France de trois pionniers de l’art moderne vietnamien, Lê Phô (1907-2001), Mai-Thu (1906-1980) et Vu Cao Dam (1908-2000). L’exposition rassemble 150 œuvres des trois artistes retraçant leurs trajectoires depuis leur formation à l’École des beaux-arts de Hanoï jusqu’à la fin de leur longue carrière menées en France à partir de 1937.

Cette exposition coïncide avec le centenaire de l’École des beaux-arts de Hanoï qui a permis, pour la première fois, la rencontre de l’art occidental et des traditions vietnamiennes. Les échanges intenses entre élèves et professeurs ont donné naissance à un nouveau style, proprement indochinois.

Conçue en étroite collaboration avec les familles des artistes qui ont ouvert leurs fonds d’archives, l’exposition retrace le parcours audacieux de ces trois amis, aimant leur pays natal tout autant que la France, avec pour toile de fond les changements politiques et les relations entre les deux pays tout au long du XXe siècle. Photographies anciennes, dessins datant des années de formation ou croquis préparatoires côtoient leurs œuvres sur soie, huiles sur toile, paravent laqué, sculptures en plâtre ou en bronze. L’association de techniques et matières issues des traditions occidentales et asiatiques est emblématique de leurs œuvres qui, depuis une trentaine d’années, connaissent, sur le marché de l’art, un engouement croissant.

Une occasion unique de voir rassemblées 150 œuvres issues de 25 collections différentes

Première exposition sur ces artistes emblématiques de l’évolution de l’art vietnamien du XXe , elle rassemble 150 œuvres en provenance de fonds divers, prêteurs publics ou privés, familles des artistes, amis proches, pour les œuvres les plus anciennes, ou simple amateurs. C’est une occasion unique de retracer l’évolution du style de Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam depuis le début jusqu’à la fin de leur carrière.

Parmi les prêteurs publics, la Cité internationale universitaire de Paris, Maison des étudiants de l’Asie du Sud-Est, prête pour la première fois une grande huile sur toile de Lê Phô datant de 1929 (210 x 450 m), première commande passée au peintre alors qu’il était encore étudiant. Le musée du quai Branly – Jacques Chirac prête un bel ensemble de sculptures de Vu Cao Dam, et un ensemble de peintures des trois artistes est issu des collections du Centre national des arts plastiques ; sont également prêteurs le Mobilier national ou encore le ministère de la Justice.

UN PARCOURS CHRONOLOGIQUE EN TROIS TEMPS

Des Beaux-Arts de Hanoï au Paris des années 1930

Formation et contexte colonial (1925-1931)

À partir de la fin du XIXe siècle, la France instaure par la force un protectorat en Indochine. L’administration coloniale crée progressivement des institutions éducatives telles que l’École des beaux-arts de Hanoï dont la création est soutenue par des intellectuels et artistes vietnamiens de l’époque. Le mouvement est initié par Nguyên Van Tho dit Nam Son.

Ce jeune artiste autodidacte déplore l’absence d’établissement supérieur chargé de l’instruction artistique. Il convainc alors le peintre français Victor Tardieu de l’intérêt de former des artistes vietnamiens aux techniques occidentales. En 1925, l’École des beaux-arts de l’Indochine ouvre à Hanoï, sous la direction de Victor Tardieu. Les codes de l’art européen et la notion d’artiste, au sens occidental du terme, y sont assimilés par les étudiants, tandis que l’héritage culturel de l’Asie orientale est placé au cœur du projet de renouveau de l’art vietnamien. Ces échanges culturels participent à la naissance de l’art moderne vietnamien.

Grandes expositions : le soutien officiel (1931-1939)

Victor Tardieu, directeur de l’École des beaux-arts de Hanoï, est le meilleur soutien de ses élèves vietnamiens. Il sait qu’ils ne seront reconnus que si leurs œuvres sont admirées par un large public. Les expositions coloniales et universelles organisées à travers l’Europe dans les années 1930 offrent à la fois une reconnaissance à la nouvelle école indochinoise qui reçoit des critiques élogieuses de la presse, ainsi que le moyen pour les jeunes artistes de vendre leurs œuvres. Ce soutien officiel de l’État français qui permet, sur fond de propagande coloniale, d’affirmer l’excellence de sa politique éducative, s’épuise face à la montée de la menace allemande en Europe.

Vu Cao Dam posant à côté de sa sculpture Femme nue, Hanoï, 1930. Archives Vu Cao Dam, Majorque.

Lê Phô, Paysage du Tonkin - Hanoï, entre 1932 et 1934. Paravent en trois panneaux de bois laqué. Collection de la famille Lam © Adagp, Paris, [2024] / photo Sotheby's

Mai-Thu, La Mariée. Huê, 1935. Huile sur toile Collection particulière © Comité Mai-Thu, ADAGP, Paris, [2024]

 

Des séductions du Paris artistique au tumulte de la guerre

Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam se distinguent, parmi les artistes pionniers, par leur choix de mener leur carrière en France. Dès leurs années d’études aux Beaux-Arts de Hanoï, ils partagent l’envie de connaître l’effervescence artistique de Paris. Lê Phô s’y rend le premier, en 1931, pour superviser l’aménagement de la section indochinoise de l’Exposition coloniale, puis revient en 1937 pour l’Exposition universelle. Vu Cao Dam arrive dans la capitale française en  décembre  1931, grâce à une bourse d’études. Mai-Thu les rejoint à l’été 1937.

L’aventure se prolonge par choix mais aussi par la force des choses, puisque la guerre sévit d’un côté puis de l’autre du continent, de 1939 à 1975, pendant trente-six années qui rendent hasardeux tout retour.

Photographie retouchée à l’encre par Mai-Thu, mettant en scène son départ, à la manière d’un rallye automobile Huê, vers 1937. Archives de l’association Mai-Thu suite. Photo B. Mahuet, musée des Ursulines de Mâcon.

Lê Phô, Le Col des Nuages, [Đèo Hái Vân]. Vietnam, entre Huê et Danang, 1937. Huile sur toile. Collection particulière © Adagp, Paris, [2024]

Vu Cao Dam, Femme en bleu, Paris. 1939, Couleurs sur soie, Espagne, Majorque, Fundación Yannick y Ben Jakober Inv. no 1305 © Adagp, Paris, [2024]

 

L'Occupation : Mâcon et Nice (1940-1943)

En juillet 1940, Lê Phô et Mai-Thu sont démobilisés. Le premier se rend à Nice et le second reste à Mâcon où il avait été envoyé pendant la guerre 1939-1940. La bourgeoisie mâconnaise, reconnaissant le talent de Mai-Thu, lui commande des portraits sur soie. Il se voit confier la réalisation d’une fresque dans une chapelle de l’église Saint-Pierre de Mâcon. Ces commandes sont bienvenues pendant ces années difficiles. À la fin de l’année 1943, Lê Phô et Mai-Thu retournent à Paris où ils retrouvent Vu Cao Dam.

Lê Phô, Jeune fille à la rose, Nice, 1942. Couleurs sur soie. 65 × 45 cm. Collection particulière.

Lê Phô, Pivoines, Paris, 1945, Couleurs sur soie Collection particulière, © Adagp, Paris [2024]

 

1946 : Hô Chi Minh et la conférence de Fontainebleau

À l’été 1946, HÒ Chí Minh se rend à Paris à l’occasion de la conférence de Fontainebleau. Les mouvements indépendantistes vietnamiens ont profité de l’affaiblissement de la France pendant la Seconde Guerre mondiale et, le 2 septembre 1945, la République démocratique du Vietnam est proclamée. Son président, Hô Chi Minh, doit maintenant négocier les termes de l’indépendance. Il veut convaincre l’opinion française de la légitimité de ses demandes. C’est dans ce cadre qu’il rencontre les Vietnamiens de France, et parmi eux, Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam. Ce dernier reçoit l’autorisation de faire le portrait en buste du président, quant à Mai-Thu, il réalise un film retraçant le séjour de Hô Chi Minh en France.

Vu Cao Dam entouré de Mai-Thu et Lê Phô lors de son exposition de peintures sur soie à la galerie Van Ryck. Paris, 1946. Archives Alain Le Kim

 

La période française

Évolution des trois styles

Lê Phô et Mai-Thu rejoignent Vu Cao Dam à Paris en 1937. Ils ne perçoivent plus leur salaire de professeur de dessin et doivent désormais vivre de leur art. Sous l’effet de l’élan créatif qu’entraînent leurs retrouvailles, ils élaborent un style commun, exclusivement peint sur soie, mettant en scène un Vietnam idéalisé. Mai-Thu restera fidèle à ce style jusqu’à la fin de sa vie, en variant les sujets traités. Lê Phô et Vu Cao Dam expérimenteront quant à eux d’autres modes d’expression, renouant notamment, dans les années 1950, avec la peinture à l’huile.

La dernière période de Lê Phô est marquée par un style postimpressionniste coloré où les effets de lumière sont les seuls véritables sujets. Quant à Vu Cao Dam, son admiration pour Chagall dont il était voisin à Saint-Paul-de-Vence, éclate dans sa dernière période.

Fleurs et poésie, sources d’inspiration

Quelques thèmes transversaux qui parcourent toute la période française des trois artistes viennent conclure le parcours. Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam, chacun selon leur sensibilité, s’emparent du sujet de la nature morte pour y imprimer leur style personnel. Ils illustrent aussi de manière récurrente le célèbre poème, le Roman de Kiĕu, considéré comme le chef-d’œuvre de la littérature vietnamienne. De nombreux tableaux mettent en scène la rencontre des deux sœurs, Kiĕu et Vân, avec Kim, un jeune homme noble et éduqué, qui rentre chez lui à cheval. En alliant la modernité formelle de leur peinture à ce thème classique, les trois artistes préservent leur identité vietnamienne. Sans rompre avec le passé, ils en perpétuent l’essentiel : à la vertu confucéenne et à la persévérance face à l’adversité, louées par le poème, répond l’ode à l’amour et à la beauté de Lê Phô, Mai-Thu et Vu Cao Dam.

Commissariat général : Éric Lefebvre, directeur du musée Cernuschi

Commissariat scientifique : Anne Fort, conservatrice responsable des collections vietnamiennes

Du 11 octobre 2024 au 9 mars 2025

Vu Cao Dam, Divinité, Saint-Paul de Vence. 1961. Huile sur toile Collection de la famille Barrère © Adagp, Paris, [2024]

Mai-Thu, Baignade, Vanves. 1962, Couleurs sur soie, Paris, musée Cernuschi, M.C. 2017-75. Don de Mai Lan Phuong en mémoire de ses parents, Sao et Mai Thứ, 2017(© Comité Mai-Thu, ADAGP, Paris, [2024])

Lê Phô, Femmes au jardin. Paris, 1969. Huile sur toile. Collection particulière © Adagp, Paris, [2024]

Mai-Thu, La Source. Vanves, 1966. Couleurs sur soie Collection Almine et Bernard Ruiz Picasso © Comité Mai-Thu, Adagp, Paris, [2024] / photo Ana Drittanti

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