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Alain.R.Truong
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Alain.R.Truong
11 janvier 2007

Pétition protectionniste : la France "culturelle" aux Français

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Avec 30 000 oeuvres exposées sur 60 000 m2 (en plus des 100 000 m2 destinés à d'autres activités), le Louvre est le plus grand musée du monde. Depuis les travaux engagés par feu Mitterrand et le passage au statut d'Etablissement public autonome, cette vénérable institution a parfaitement su suivre le mouvement de globalisation culturelle. Bravo aux présidents successifs, à Henri Loyrette, dernier en date, pour leurs efforts ! Pourtant, une teigne est venue gâcher l'ambiance en déclenchant une de ces polémiques stériles dont un certain milieu est friand.

De lieu guindé, aride et poussiéreux qu'il était, le Louvre est devenu accueillant, destiné à tous les publics avec une muséographie soignée. Certes, les intellos parisiens se rappellent avec nostalgie cette époque bénie des couloirs vides, de l'absence d'accueil et de l'impression de temps suspendu qu'on y ressentait. Voilà l'image que je retiens de mon enfance, lorsque mon père m'emmenait dans ce château à la façade noircie, encore occupé par le ministère des Finances et diverses administrations. Mais pour le grand public, pour les non-initiés, le Louvre est devenu un lieu aussi fascinant que vivant. Visites thématiques remarquables, ateliers pour les enfants, concerts et conférences d'une très grande qualité dans l'auditorium et  commodités nécessaires pour y passer la journée agréablement. Chaque année, ce sont presque six millions de visiteurs qui viennent déambuler dans les kilomètres de couloirs du Louvre, dont deux tiers d'étrangers venus dépenser leurs devises à Paris.

Le Louvre, leader mondial dans son secteur

Le Louvre a modernisé sa gestion au rythme de l'évolution d'ensemble du secteur de la culture. Cette "révolution culturelle", si elle a permis d'accueillir bien plus de monde (et bien mieux) qu'autrefois, frôle l'hérésie pour certains réactionnaires nombrilistes tournés vers le passé. Mais le Louvre, lui, n'a pas de temps à perdre dans ces bruits de couloir. Au-delà des sites annexes qu'il doit démarrer, le Louvre est devenu une marque à l'échelle internationale, au point que les projets de conseil et de partenariat se multiplient. La culture ayant pris une part croissante dans la vie de nombreux individus dans le monde, l'accès aux oeuvres est devenu un véritable enjeu pour les grands musées. Les Amis du Louvre (présidés par le très libéral Marc Fumaroli), dont je suis , et tous les visiteurs réguliers de ce musée ont ainsi la chance de découvrir des expositions extraordinaires dont ils n'auraient jamais pu connaître les pièces autrement. La circulation des oeuvres est donc devenue essentielle pour tous.

L'autopromotion par échange gagnant-gagnant

L'échange d'oeuvres multiplie les chances de les faire connaître, de les faire apprécier et de faire rêver des publics bien plus larges qu'auparavant. Il consolide aussi la réputation d'un établissement à l'étranger, c'est une forme de communication subtile. Surtout, la mise à disposition d'oeuvres favorise le prêt dans l'autre sens. Les expositions extraordinaires qui se sont tenues au Musée du Louvre n'auraient pas pu avoir lieu sans ce rapport multilatéral à l'échelle du monde. Enfin, la mise à disposition d'oeuvres apporte de nouvelles ressources financières pour permettre les investissements nécessaires (acquisition de nouvelles oeuvres, amélioration de la muséographie et de l'accueil du public). Si le Louvre est une formidable entreprise culturelle, c'est aussi parce qu'il fonctionne avec un budget considérable, dont cent millions de subventions publiques annuelles : les contribuables nationaux financent ainsi le billet de chaque visiteur. Chacune des 3,3 millions de visites payantes reçoit un abondement de presque trente euros ! Visiteur assidu, je me rends compte de cette chance : l'ensemble des Français m'offrent trente euros à chaque passage. J'en profite pour dire merci à tous.

Autonomie financière croissante du Louvre

A défaut de réduire la subvention publique octroyée au Louvre, faute de volonté politique, il est essentiel que le musée dégage des recettes complémentaires : mécénat, soirées privées... et prêts à longue durée d'oeuvres. C'est là qu'une nouvelle contestation du milieu cultureux est née, sous l'impulsion de Françoise Cachin. Pourtant, nous avons de quoi faire : le Louvre possède 300 000 oeuvres à lui seul, dont à peine 10 % sont exposées. Il faut dire que notre pays s'est fait fort d'interdire toute vente du patrimoine national, envoyant ses centaines de milliers d'oeuvres non exposées dans des hangars où elles disparaissent dans l'oubli... ou dans la poche de politiques ou de hauts fonctionnaires qui connaissent les failles du système.

Cela dit, un débat doit s'ouvrir rapidement concernant l'aliénabilité des oeuvres. Mais avant que les musées puissent remettre leurs oeuvres en vente sur le marché pour les faire circuler à nouveau et en tirer des ressources, il faudra secouer le monstrueux corporatisme des castes de hauts fonctionnaires de la Culture. Je vois déjà le slogan : "La Culture n'est pas une marchandise"... mais elle les fait bien vivre sur le dos des contribuables en contrepartie !

Une oeuvre vit si elle circule

En attendant, le Louvre s'est lancé dans des opérations de grande envergure. "Le Louvre Atlanta", par exemple, est le fruit d'une collaboration scientifique entre des conservateurs des deux côtés de l'Atlantique. Financée par des mécènes locaux, elle a rapporté treize millions d'euros au Louvre en échange du prêt de tableaux majeurs dont l'Amérique pourra découvrir la qualité pendant trois ans. Autre perspective intéressante, la ville touristique Abou Dhabi, extrêmement dynamique, propose de mettre sur la table un milliard d'euros pour faire construire une annexe et lui permettre d'acquérir une collection à la hauteur de ses ambitions, en passant par des mises à disposition des collections du Louvre. Mais voilà, l'idée de prêter des oeuvres à un public arabe choque profondément nos brillants fonctionnaires nationaux. Si la France se voue à devenir un musée, autant qu'elle apprenne à exporter son talent et sa maîtrise de cette activité à forte croissance dans le monde entier.

Conservatisme protectionniste de nos fonctionnaires de la Culture

Ces mises ­à disposition prometteuses ont déclenché une vraie levée de boucliers d'apparatchiks de la Culture. Plus de 2000 noms ont signé cette torchon pétition qui prétend dénoncer les "dérives commerciales" du Louvre au lieu d'en louer le dynamisme et l'audace. Pas une seconde ils n'ont imaginé que cet échange pourrait rapprocher nos cultures respectives, tisser des liens entre nos pays et renforcer l'image de la France aux Etats-Unis ou dans le Golfe. Cette optique, d'un protectionnisme des plus ringards, est pathétique. Devant la mauvaise foi de la tribune des contestataires, les réactions de sommités étrangères n'ont pas tardé. Michael E. Shapiro, directeur du High Museum d'Atlanta, s'est adressé ainsi à la meneuse : Chère Françoise, j'ai été plus qu'un peu surpris en lisant votre article dans Le Monde. Non seulement le fond en est inexact, mais il est même trompeur. Toni Morrison, Prix Nobel de littérature, elle, a salué la présence du Louvre à Atlanta comme le bon choix. S'installer dans cette partie du pays est très stimulant, a-t-elle estimé.

Une seule leçon à tirer de cette triste histoire de corporatisme égoïste : vivement que la culture revienne dans le giron qu'elle n'aurait jamais dû quitter, le domaine privé des collectionneurs, des fondations, des passionnés qui ne vivent pas sur le dos de la collectivité.

Par Aurelien Veron, reporter d'AgoraVox, le journal média citoyen qui vous donne la parole.

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