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Alain.R.Truong
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7 mai 2007

La cathédrale de Phat Diêm ou qu'est-ce que l'acculturation ?

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La cathédrale de Phat Diêm, province de Ninh Binh (Nord), à 121 km au sud de Hanoi, a été à l'époque de la colonisation française un haut lieu du catholicisme dans le Nord. Mais, plus encore, c'est là l'un des premiers exemples architecturaux de l'acculturation qui a eu lieu au cours de cette période.
Il y a quelques semaines de cela maintenant, Alain J. Lemaître, docteur en ethnologie, en histoire et en lettres, maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Haute Alsace, donnait à l'occasion de la Journée internationale de la Francophonie une conférence sur l'acculturation. Ce terme né dans le champ de l'ethnologie décrit "l'ensemble des phénomènes résultant d'un contact continu entre 2 groupes culturels différents provoquant des changements dans les 2 groupes".

Dans la perspective coloniale, ces phénomènes étaient perçus comme unidirectionnels puisque l'idée dominante était celle d'une suprématie de la culture européenne. Ainsi, seule la culture indigène se modifierait au contact de la culture des colonisateurs, ne faisant que reproduire tels quels les us et coutumes de celle-ci. Cependant, suite à la décolonisation et à l'indépendance des peuples, l'ethnologie a réajusté cette notion en intégrant l'idée d'une bidimensionnalité aux échanges culturels, idée qui fait aujourd'hui consensus au sein de la communauté scientifique. Lors d'un contact continu entre 2 groupes, il n'y a pas seulement intégration d'une nouvelle culture mais aussi maintien de la culture d'origine qui produit un impact sur la manière dont se fait l'acculturation et sur son résultat.

La situation de l'Asie au moment de la colonisation était de plus particulière. En effet, l'Europe rencontre alors des civilisations millénaires qui connaissent l'écriture (depuis même plus longtemps qu'elle) et qui, par conséquent, ont une mémoire écrite. Ce fut là une différence capitale avec, par exemple, les civilisations de l'Amérique du Sud. De culture majoritairement orale, elles se montrèrent beaucoup moins résistantes au contact d'une autre culture, et ce d'autant plus que celle-ci fut imposée par la force. Ainsi, si certains pays d'Amérique du Sud, tels que le Pérou, une partie du Mexique et du Guatemala, conservent des traits très forts de leur culture originelle, la plupart des autres ne présentent que de très rares éléments autochtones comme c'est le cas par exemple au Chili. Une autre différence qui fait la particularité de l'Asie à cette époque réside dans la manière dont les contacts entre les cultures se sont effectués. Les colonies en Asie ne furent pas des colonies de peuplement. Les Européens procédèrent par l'établissement de comptoirs qui laissaient de côté des territoires immenses et très peuplés. Les contacts avec la culture occidentale étaient ainsi indirects et laissaient une plus grande marge de manœuvre aux indigènes, susceptibles d'assimiler plus librement les éléments de la culture dominante.

Durant la colonisation française au Vietnam, il y eut effectivement acculturation. Toutefois, cela n'a pas seulement conduit à l'intégration de la culture européenne mais aussi, fort heureusement, au maintien de la culture indigène. L'architecture de la cathédrale de Phat Diêm est l'une des premières manifestations de ce phénomène culturel.

Un exemple architectural d'acculturation
Haut lieu du catholicisme dans le Nord à l'époque de la colonisation française, la division du pays en 1954 entraîna le départ en masse vers le Sud de catholiques et la fermeture du sanctuaire. Ce qui est appelée "cathédrale de Phat Diêm" regroupe en fait de nombreux édifices dont la construction fut achevée en 1891. L'ensemble fut fondé par un prêtre vietnamien du nom de Six dont le tombeau se trouve sur le parvis de la cathédrale, bâtiment principal. Tout autour se dressent plusieurs sortes de chapelles, chacune dédiée à un saint. Cependant, si en visitant ce lieu de culte catholique, vous vous attendez à retrouver les grandes tours qui font la caractéristique de ces bâtiments, vous repartirez déçus. Tout en pierre, aux toits incurvés semblables à ceux d'une pagode, l'architecture de ce lieu s'inspire largement de celle des temples bouddhistes. Le mélange des 2 cultures est ici indéniable.

Le prêtre Six a veillé à représenter les éléments principaux du village vietnamien, à savoir la maison communale, l'étang et l'arbre nourricier tandis qu'un clocher, élément indispensable à tout lieu de culte catholique s'élève à l'arrière de la cathédrale. Toutefois, au premier étage de ce clocher, on retrouve un tambour de taille imposante, instrument utilisé pour sonner l'heure dans la religion bouddhiste. Au second étage, est suspendue une cloche, forgée toutefois selon le modèle oriental. Elle possède 4 points de contacts pour sonner l'heure, un par saison. Chacune d'elles est identifiée par un sinogramme tandis qu'un chant de prière est inscrit sur celle-ci en langue latine. Quatre petites tours se dressent à chaque coin du bâtiment, chacune surmontée d'une représentation d'un saint. Toutefois, alors que ceux-ci sont traditionnellement représentés debout, ici, ils sont assis à la manière du Bouddha.

Quittons la cathédrale pour entrer dans l'une des nombreuses chapelles entourant celle-ci. Les traces de l'influence de la culture européenne se mêlant à celle sino-vietnamienne demeurent. Au fond de la chapelle, se dresse un autel de pierre surmonté d'une statue de la Vierge Marie. Les bas-reliefs sur la face frontale de cet autel présentent les symboles occidentaux de la pureté : un jardin ainsi qu'un puits fermés. Les faces latérales quant à elles, sont gravées de fleurs de lotus, représentation de cette même idée de pureté dans l'imaginaire oriental.

L'importance d'une politique culturelle
L'architecture sino-vietnamienne d'inspiration européenne de ce bâtiment n'est qu'un des nombreux exemples de l'impact de la culture européenne sur la culture vietnamienne lors de la colonisation. Cela montre toutefois que, dans le cas du Vietnam, la culture indigène n'a pas été détruite mais maintenue. Ceci s'explique pour une grande part, par sa tradition de culture écrite qui a permis de forger une identité collective forte, c'est-à-dire un ensemble de caractères qui unissent les hommes et femmes d'un même groupe mais qui les distinguent également des autres groupes.

Ainsi, quelle que soit la force de l'acculturation sur un plan économique et même social, le fait qu'il existe une culture écrite permettant de forger une identité collective forte, autorise un échange entre les cultures (échange au demeurant toujours inégal) et non une destruction de celles-ci. Toutefois, aujourd'hui, peut-être plus qu'hier, la culture est intiment liée au domaine économique, facilitant d'autant la destruction de systèmes culturels.

D'où la nécessité pour chaque pays de défendre celle-ci par une politique culturelle capable de faire face aux enjeux de la mondialisation. Tel est l'objectif de la convention pour la promotion et la protection de la diversité culturelle, établie par l'UNESCO en octobre 2005. L'importance des enjeux soulevés par ce traité est largement reconnue au niveau international puisque depuis lors, il a été signé et ratifié par 56 pays et l'Union européenne (en tant qu'unité régionale). Le fait que les États-Unis, dont le secteur culturel occupe une place majeure dans l'économie américaine, s'oppose à son adoption lors du vote à l'UNESCO, ne fait que confirmer cette idée. (Anaïs Chavanne /CVN)

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