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Alain.R.Truong
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Alain.R.Truong
23 juillet 2007

Chronique : entre tradition et modernité

1"En 1993, j'accompagnais Georges Condominas, l'anthropologue culturel ami du Vietnam, dans la province montagneuse de Thai Nguyên (Nord). Il y a visité avec une joie d'expert notre premier musée d'ethnographie. Mais il a déploré une certaine modernisation des danses, morceaux de musique, chants ethniques exécutés à une représentation au sein du musée.
Il n'est pas le seul ethnologue à critiquer le métissage des traditions ethniques surtout au service de la commercialisation et du tourisme. Mais, face au dynamisme interne des cultures en évolution et au besoin de mieux-être des habitants d'ethnies minoritaires, serait-il possible de préserver l'intégrité des traditions séculaires en notre époque de mondialisation ? Comment concilier tradition et modernité ? Le problème a été posé avec acuité au lendemain de la Révolution de 1945 qui avait mis un terme à la colonisation. Il s'agissait de faire revivre les traditions nationales ternies par la prédominance de la culture occidentale, mais en même temps de les moderniser pour répondre au goût d'un nouveau public. Les discussions à ce sujet ont fait couler beaucoup d'encre depuis un demi-siècle.

Le problème s'est récemment ravivé, lors du 2e Festival international de théâtre expérimental tenu à Hanoi fin 2006. Une polémique violente s'est déchaînée à propos de la pièce Hôn quê (Âme du village) de Vuong Duy Biên. Ce spectacle est une tentative d'amalgamer les marionnettes traditionnelles sur eau et l'art moderne de l'installation.

L'on sait que les marionnettes sur eau sont un produit spécifique des paysans d'une dizaine de villages du delta du fleuve Rouge. Cachés derrière des stores, les montreurs plongés dans l'eau jusqu'à mi-corps manipulent un système de perches de bambous et de ficelles pour faire évoluer les poupées de bois sur la surface d'une mare qui sert de scène. Les numéros se succèdent dans un mélange merveilleux de lumières, de couleurs, de musique et de chants populaires. Ils reflètent avec réalisme et humour la vie, ses joies et ses peines, les travaux et les jours. Les marionnettes sur eau avaient végété derrière la haie de bambou des villages pendant toute la période coloniale et n'ont refait surface qu'après la Révolution de 1945. Depuis la politique du Renouveau en 1986, elles ont acquis une réputation internationale.

Mais le spectacle devient banal s'il ne se renouvelle pas. Sous cette perspective, Vuong Duy Biên a élargi la scène aquatique, la plaçant dans l'ambiance de la vie villageoise, mettant à profit les ressources inépuisables offertes par l'installation. Tandis que les numéros habituels de marionnettes sont représentés, il fait vivre tout autour le quotidien du village tout entier : les travaux champêtres, les artisans au travail, la pipe à eau, le bol de thé vert, plaisanteries et grivoiseries, même le soleil et la pluie. Les techniques modernes sont mobilisées pour varier la vision et l'acoustique. Hôn Quê a suscité des louanges dithyrambiques et des critiques acerbes. Aucune autre représentation n'a suscité tant de controverse.

Les admirateurs, en particulier les artistes étrangers, soulignent de nombreuses qualités. Pour Alain Destandau, directeur du Théâtre Monte Charge, grâce à l'installation, le spectacle traditionnel attire dès le début par les objets familiers du paysan vietnamien : jarre, meule, toit de chaume, manteau en feuilles de latanier...Deux artistes suédois et norvégien trouvent la pièce originale et attrayante, mariage harmonieux de la tradition et de la modernité - exotisme de bon aloi. Trong Khôi, secrétaire général de l'Association des arts scéniques apprécie cette modernisation.

La partie adverse n'est pas à court d'arguments. La critique Nguyên Thi Minh Thai a ouvert le premier coup de feu : accusant l'auteur d'avoir démoli l'âme du village, dénaturé l'esthétique du genre traditionnel en faisant contacter les acteurs avec les marionnettes. D'autres critiques lui reprochent la crudité de l'assemblage des éléments esthétiques eau et terre. L'acteur Richard est d'avis que le spectacle ne lui fait voir que le Vietnam d'autrefois et non celui d'aujourd'hui. Un metteur en scène étranger souhaite une intrigue pour donner à la représentation plus de consistance et d'intérêt.

Je me rappelle le titre d'un ouvrage suédois sur l'art moderne en Suède All tradition is change. La modernisation des marionnettes sur eau peut choquer les ethnographes et les artistes puristes, mais je pense qu'en dernier ressort, c'est le public qui est le juge suprême. Il en est des marionnettes sur eau comme de tout art traditionnel. En même temps qu'il faut préserver aussi fidèlement que possible l'authenticité, il faut admettre les changements pourvu que l'esprit demeure. Le ao dài (longue tunique) en est un exemple. Cette modernisation de l'ancienne tunique à 4 ou 5 pans, d'abord honnie par les esprits confucéens aux années 20 du siècle dernier, est devenue maintenant le vêtement traditionnel de la femme vietnamienne". (Huu Ngoc/CVN)

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