Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Alain.R.Truong
Alain.R.Truong
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 50 897 175
Archives
Newsletter
Alain.R.Truong
21 décembre 2007

La collection Lefèvre dispersée pour 21,8 millions d'euros, dont 11,6 millions pour un Miró

PARIS - La dispersion de dix toiles de la collection Lefèvre a atteint, jeudi chez Drouot-Richelieu, un produit total de 21,8 millions d'euros, établissant trois records, dont un pour la toile "Blue Star" de Joan Miró, qui s'est envolée à 11.586.520 euros (frais inclus), record mondial pour l'artiste.

3

Joan MIRO (1893-1983) - Blue Star, 1927

Huile sur toile, signée et datée en bas à droite, contresignée et datée 1927 au dos - 116 x 89 cm - Estimé : 5 000 000 / 7 000 000 €

Provenance : Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 25 novembre 1965, n° 65
Héritier André Lefèvre, Paris

Bibliographie : Catalogue raisonné, tome 1, par Jacques Dupin, édition Daniel Lelong, reproduit sous le numéro 264

Exposition : Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n° 195 du catalogue

Notes :
“…j'ai rendu visite à Miró à Mallorca, afin de discuter de notre projet avec lui.
Lors de cette visite, Miró a beaucoup insisté sur la haute signification de cette exposition afin de démontrer un aspect très important mais méconnu de son œuvre.
Nous avons regardé ensemble les photos de peintures susceptibles à le représenter et il m'a tout particulièrement signalé Etoile bleu en tant qu'un tableau clé de son œuvre de cette époque. L'importance de ce tableau aux yeux de Miró tient du fait que l'on y trouve exceptionnellement la représentation de figures humaines et de signes cosmiques réunie dans une seule image.”

Extrait de la lettre du Musée Guggenheim à Madame Lefèvre

Un des éléments qui caractérise cette période très productive de Joan Miró entre 1925 et 1927, aussi appelée période “des peintures de rêves”, réside à la fois dans l'utilisation de ce fond monochrome bleu que l'on retrouvera en 1961 dans son triptyque - Bleu I, II, III - mais aussi dans cette relation toute particulière que l'artiste entretient entre la peinture et le dessin.
Miró s'exerce à une véritable méthodologie du fond par un “battement” entre le bleu du plus transparent au plus saturé. Cette surface est préalablement encollée afin d'absorber mieux les pigments. Ce premier travail de préparation de la toile de coton ou de lin est primordial pour le rendu de la texture finale qui, recouverte de ce bleu cobalt ou azur, semble si vivante et émouvante. Miró y trace sans bavure les lignes, les signes et les formes suspendues de son lexique “miromondien”. Les formes noires au contour précis ainsi que la couleur rouge sont traitées par aplats et s'accrochent à la toile, reliées par des lignes pures qui s'apparentent à l'écriture.
Bien sûr, le fond bleu évoque pour beaucoup l'azur et le ciel catalan mais Miró va au-delà et n'hésite pas à pervertir la couleur. Le bleu n'est pas nécessairement lié ici à un thème qui le présuppose. L'un de ses contemporains, Matisse, utilise également l'azur ou le bleu cobalt à cette même époque comme valeur de fond dans La conversation (1909) ou La fenêtre bleue (1913).
On sait pourtant que Miró appréciait le travail de Matisse qu'il avait vu à Barcelone ou à Paris mais leur rencontre et les possibles visites d'atelier n'auront lieu que plusieurs années après 1925-1927.
Ce fond monochrome, qu'il reprendra en 1961, est emblématique chez Miró et souvent associé au monde onirique. C'est Jacques Dupin, qui, dès 1961 parle de “peintures oniriques” et remet sur le devant de la scène critique cette période de l'artiste, en raison notamment du triptyque Bleu I, II, III. Pourtant, il ne faut pas écarter la part d'ombre et d'agressivité sexuelle que porte la peinture de Miró à cette époque, élément qui avait déjà été relevé par ses contemporains Michel Leiris et Georges Bataille.

Miró cherche à se libérer des conventions picturales de son temps. Il déclare que ses œuvres “sont à l'état d'embryon, répulsives et incompréhensibles comme des fœtus”1. Quelques mois plus tard il annoncera à Michel Leiris : “Destruction quasi-totale de tout ce que j'ai laissé l'été dernier et que je pensais reprendre. Trop réelle encore! Je me dégage de toute convention picturale.” 2

1 - Lettre à J. F. Ràfols, Montroig
26 septembre 1923, dans Ecrits..., op. cit., p. 94
2 - Ibid, p. 98

“Pour moi c'était la plus grande liberté. Quelque chose de plus aérien, de plus dégagé, de plus léger que tout ce que j'avais jamais vu. En un sens, c'était absolument parfait. Miró ne pouvait pas poser un point sans le faire tomber juste. Il était si véritablement peintre qu'il lui suffisait de laisser trois taches de couleur sur la toile pour qu'elles existent et soient un tableau.” Alberto Giacometti

Un autre Miró, "L'Oiseau", a trouvé preneur à 5 millions d'euros, pour une estimation initiale comprise entre 2,5 et 3,5 millions d'euros.

2

Joan MIRO (1893-1983) - L'oiseau, 1926

Huile sur toile, signée et datée 1926 en bas à droite, contresignée et datée 1926 au dos. 73 x 92 cm -

Provenance : Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris,
24 novembre 1967, n° 119
Héritier André Lefèvre, Paris

Bibliographie : Catalogue raisonné, Tome 1, par Jacques Dupin, édition Daniel Lelong, reproduit sous le numéro 188

Expositions : Galerie Simon, Paris
The Mayor Gallery, Londres n° 2016
Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n° 193 du catalogue

Notes : Les années 1924 à 1927 représentent la période picturale la plus riche de Joan Miró qui met alors en place les bases de son langage singulier au travers de signes graphiques rares et de fonds monochromes. Les sujets sont libérés de toute pesanteur et prennent place dans ces compositions aériennes, voire célestes, qui bouleversent le paysage artistique de l'époque.
Joan Miró travaille à la suppression de toute structure logique de récit ainsi qu'à une certaine incohérence visuelle. De la peinture, il dit :
“Mon unique certitude est que je veux détruire, détruire tout ce qui existe en peinture. J'éprouve un profond mépris pour la peinture, seul l'esprit pur m'intéresse”.1
Dès l'origine Miró se veut “l'assassin de la peinture” et cette ambition va le guider tout au long de son œuvre. Il base sa peinture sur la recherche de la simplification de l'expression picturale. Son style lui permet d'être accueilli et adopté par tous les Surréalistes dès sa première exposition parisienne à la Galerie Pierre en 1926. Il utilise les codes du primitivisme avant de partir à la recherche d'une expression originelle et combine les différents langages plastiques en associant des techniques de création comme le collage, le grattage et l'insertion de matériaux divers.
Dans sa recherche de stylisation simplifiée des formes et des surfaces, il en arrive à ne plus utiliser qu'un fond monochrome et symbolique : le bleu du ciel et de l'eau ou la toile brute pour la terre. Il sera aussi en cela le précurseur et l'inspirateur du Minimalisme et du Monochromatisme dont tous les artistes les plus importants du XXe siècle se réclament.
Miró met donc en place un véritable travail autour de l'intériorité spirituelle, de l'accomplissement de soi et s'oriente vers une abstraction lyrique. Il développe cette liberté absolue qui le caractérise en déviant les travers d'un enfermement possible dans les carcans cubistes ou surréalistes de l'époque.
Sa liberté et cette individualité propre le mèneront au rang des plus grands artistes de ce siècle.

Très proche d'André Breton, ce dernier dit de lui “il est le plus surréaliste d'entre nous”.2

“Quand je peins, je caresse ce que je fais, et l'effort de lui rendre une vie communicative me fatigue énormément. Parfois, au bout de mes séances de travail, je me laisse tomber dans un fauteuil, épuisé comme après l'acte sexuel de faire l'amour !”3

1 - Lettre à Roland Tual, Montroig, 31 juillet 1922, dans ibid, p. 92
2 - Conversation avec Joan Miró, La Publicitat, 14 juillet 1928
3 - Lettre à Roland Tual, p. 92

Une toile de Henri Laurens, "L'Etang-la-Ville" (1917) a pulvérisé son estimation haute à 80.000 euros. Cette gouache et papier collé a trouvé preneur à 607.208 euros, également un record mondial pour l'artiste.

1

Henri LAURENS (1885-1954) - L'étang-la-ville : Halte, 1917

Gouache et papier collé, signé et daté 17 en bas vers la gauche - 50 x 34 cm -

Monsieur Quentin Laurens a bien voulu confirmer l'authenticité de cette œuvre qui figurera dans le catalogue raisonné en préparation.
Un certificat de Monsieur Quentin Laurens sera remis à l'acquéreur

Provenance : Ancienne collection Eluard, Paris
Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 24 novembre 1967, n° 16
Héritier André Lefèvre, Paris

Exposition : Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n°140 du catalogue

Biographie : Né à Paris, Henri Laurens étudia tout d'abord la sculpture décorative, notamment à travers la pratique de la technique traditionnelle de la taille de pierre sur des chantiers, qu'il finira par revisiter au cours du vingtième siècle. Par ailleurs, il s'intéressa également à la sculpture médiévale, romane et gothique.
Au début de sa carrière d'artiste, il fut fortement influencé par le style de Rodin. Mais ce n'est que plus tard en qualité de sculpteur et après s'être installé à Montparnasse qu'il découvrit les Ateliers de La Ruche et rencontra le mouvement Cubiste. C'est dans ses lieux qu'il fit la connaissance d'écrivains célèbres, de peintres et notamment de Chagall et Léger, ainsi que de sculpteurs dont Archipenko.
Cependant, sa rencontre en 1911 avec son futur ami Georges Braque se révélera être la plus importante et la plus déterminante pour la suite de son œuvre. L'influence de Braque constitua la source d'inspiration des premiers travaux cubistes de l'artiste datant de 1915.
Quelques temps plus tard, en 1917, Laurens se verra offrir la possibilité d'être l'unique artiste d'une exposition dans la galerie de Léonce Rosenberg, l'Effort Moderne, à Paris. L'année suivante, il signera un contrat avec cette même galerie.
Ce tableau appartient à une série de collages austères réalisés par Laurens en 1916 et 1917. Chacune de ces pièces se compose d'une gamme de matériaux limitée : un fond blanc, des morceaux de papier brun, quelques fois des morceaux de papier noir ou des coupures de journaux, de la craie noire ou blanche.

"Le Joueur de guitare" de Juan Gris (1918), parti à 2.168.600 euros, constitue un record français pour cet artiste.

3

Juan GRIS (1887-1927) - Le joueur de guitare, 1918 (Arlequin à la guitare)

Huile sur toile, signée et datée en bas à droite “Juan Gris 10-18” - 100 x 65 cm

Monsieur Quentin Laurens a bien voulu confirmer l'authenticité de cette œuvre et que celle-ci figure dans les archives de l'atelier.

Provenance : Léonce Rosenberg, Paris
Galerie Percier, Paris
Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 25 novembre 1965 n° 37
Héritier André Lefèvre, Paris

Bibliographie : Cahiers d'Art, 1929, n°10, reproduit p. 454
Raynal, 1948, reproduit pl. 28
R. Nacenta, School of Paris, Greenwich, Connecticut, 1960, planche 8
Juan Gris, catalogue raisonné de Douglas Cooper, n° 286, reproduit p. 63

Expositions : Berlin, janvier 1927, Galerie Thannhauser, Erste Sonderausstellung, n° 121, reproduit
Paris, juin 1932, Galerie Braun, Vingt-cinq ans de Peinture Abstraite, n° 17
Paris, Les Maîtres de l'Art indépendant, 1895-1937, (Petit Palais, juin-octobre 1937, n° 9 du catalogue, New York, 1938, n°17, Chicago, 1939, n°18)
Londres, L'École de Paris, 1900-1950, Royal Academy of the Arts, 1951, n° 10 du catalogue
Bern, Musée des Beaux-Arts, 1955
Venise, XXVIe Biennale, 16 juillet-21 octobre 1956, n° 15 du catalogue
Paris, Musée national d'Art Moderne, mars-avril 1964, n° 100 du catalogue

Biographie : José Victoriano Carmelo Carlos González-Pérez, mieux connu sous le nom de Juan Gris, s'installa à Paris de façon permanente avant qu'il n'ait atteint l'âge de vingt ans. Comme la grande majorité de ses contemporains espagnols, il était conscient des opportunités de réussite que Paris pourrait lui offrir. Après avoir vendu le peu de biens qui lui appartenaient et dans l'espoir de réaliser son rêve d'artiste, il arriva à Paris à la fin du mois de septembre 1906 avec rien de plus que seize francs en sa possession.

Dès son arrivée à Paris, Juan Gris se lia d'amitié avec les plus grands talents artistiques du moment, et plus particulièrement avec Matisse, Braque, Léger et Modigliani. Au cours de cette période, le jeune peintre influençable qu'il était fut le témoin de l'avènement du mouvement cubiste formé par Braque et Picasso. Il fut tout particulièrement inspiré par ce mouvement qui allait au fil du temps alimenter et façonner sa propre carrière artistique.

La première période du mouvement cubiste, dite période analytique, débute en 1910. Elle fut inaugurée par les Demoiselles d'Avignon de Picasso en 1907 et se distingue par ses influences “Cézanniennes”. La seconde période, dite synthétique, prend son essor en 1912 et 1913. Elle se caractérise par une nouvelle organisation picturale ne s'attachant plus à illustrer les détails d'un objet mais laissant place à une représentation dans laquelle l'objet est suggéré par ses principaux signes distinctifs.

Dans un premier temps, l'œuvre de Juan Gris s'inscrit dans le style de la période analytique, mais après 1913 son œuvre s'oriente progressivement vers le style synthétique dont il allait devenir un interprète convaincu, utilisant de manière intensive la technique du collage ou “papier - collé”.
A la différence de Picasso ou de Braque dont les réalisations sont monochromes, Juan Gris se distingue par l'utilisation audacieuse d'une harmonie de couleurs vives, de nouvelles combinaisons à la manière de son ami Matisse.
L'œuvre de Juan Gris se caractérise avant tout par son attachement à peindre la réalité. Contrairement à la plupart de ses contemporains, l'ensemble de ses réalisations ne fait pas référence aux grandes scènes mythologiques ou historiques. Son univers se définit comme une projection de la réalité, de la vie telle qu'il la voit : le quotidien et ses objets, souvent considérés comme banals. Les guitares, les silhouettes féminines ou les paysages donnent naissance à des natures mortes. Les personnages empruntés au théâtre, bouffons et arlequins, sont inhérents à sa peinture1. Juan Gris était trop exigeant pour céder à la tentation de dépeindre le folklore espagnol. Néanmoins, la guitare et le violon constituent des objets de culte qui jouèrent un rôle fondamental dans son œuvre, comme le montre le tableau ci-contre. La guitare apparaît dans ses réalisations en 1912. Juan Gris éprouvait une véritable fascination pour le contraste mis en évidence par la linéarité des cordes et les courbes du corps de l'instrument. Dans ce tableau, et malgré le caractère fragmenté de cette représentation, l'objet est omniprésent. Il est conçu telle une symphonie de courbes et de lignes interconnectées donnant naissance à un ensemble équilibré et harmonieux.

1 - Claude Mollard, Juan Gris, Paris : Editions Cercle d'Art, 2006, p. 7.

Une autre toile de Juan Gris datée de 1920, "Le Broc", a été adjugée 545.248 euros.

2

Juan GRIS (1887-1927) - Le broc, 1920

Huile sur toile, signée et datée 9-20 en bas à gauche - 46 x 33 cm

Monsieur Quentin Laurens a bien voulu confirmer l'authenticité de cette œuvre et que celle-ci figure dans les archives de l'atelier.

Provenance : Galerie Simon, Paris
Raoul Laroche, Paris
Galerie Rosenberg, Charpentier 1957, Paris
Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 29 novembre 1966, n° 80
Héritier André Lefèvre, Paris

Bibliographie : H. Hildenbrandt, Die Kunst des 19. und 20.
Postdam, 1924, reproduit p. 313
George, 1931, planche 37
Daniel-Henry Kahnweiler, Juan Gris, sa vie, son œuvre, ses écrits, Gallimard, 1946, pl. XXII
Douglas Cooper, Letters, n° CI du 18 octobre 1920 à D.-H. Kahnweiler, reproduit p. 8
Douglas Cooper, Juan Gris, catalogue raisonné de l'artiste, n° 343, reproduit p. 143

Expositions : Paris, 1923, n° 10
Stockholm, Art espagnol, 1937
Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n° 106 du catalogue Dortmund-Cologne, 1965-1966, n° 64

Note : Cette nature morte témoigne du rôle joué par Juan Gris au sein du mouvement cubiste. Il fut avant tout un peintre, un organisateur et un chef d'orchestre. Il considérait la nature morte comme une scène de théâtre dans laquelle les objets devenaient les comédiens et lui le metteur en scène. Son rôle consistait par conséquent à mettre en scène des objets du quotidien sans prétention : tables, comptoirs, bouteilles et fruits lui servaient simplement de prétexte pour peindre. Ce n'est donc pas par hasard que Juan Gris consacra une partie significative de son temps pendant les dernières années de sa vie à la réalisation de décors et de costumes de théâtre et d'opéra pour le prestigieux fondateur des Ballets Russes, Sergei Diaghilev. Ce tableau, appartenant à la période analytique du cubisme, révèle avec pertinence un ensemble d'objets issus du quotidien : un pichet, un verre, une poire, un morceau de journal se juxtaposent contre le dossier d'une chaise. Cette composition qui pourrait passer pour une simple nature morte est cependant le résultat d'une démarche architecturale méthodique approfondie, à l'image de toutes les compositions cubistes de Juan Gris.
Juan Gris fut et reste l'artiste de l'objet organisé méthodiquement dans une géométrie de l'espace.
Architecte ambitieux des formes et des lignes, il demeure un peintre de petits formats dont l'objectif premier repose sur la structuration d'ensemble de chacune de ses réalisations.
Juan Gris était un homme de raison et par conséquent la composition mentale des objets dans ses œuvres avait davantage d'importance que leur positionnement réel.

“J'ai le désir… de ne faire rentrer dans la construction que des formes géométriquement déterminées, c'est-à-dire ayant déjà une vie propre en elles-mêmes…” (Henri Laurens dans une lettre au marchand d'art Léonce Rosenberg)

Une autre gouache et collage monogrammé "Composition à la guitare", de Henri Laurens (1919), s'est aussi envolée à 89.222 euros, alors qu'elle était estimée entre 30.000 et 40.000 euros.

3

Henri LAURENS (1885-1954) - Composition à la guitare, 1919

Gouache et collage, monogrammé et daté 1919 en bas à droite, contresigné et daté sept. 1919 au dos - 26.5 x 17 cm

Monsieur Quentin Laurens a bien voulu confirmer l'authenticité de cette œuvre qui figurera dans le catalogue raisonné en préparation.
Un certificat de Monsieur Quentin Laurens sera remis à l'acquéreur

Provenance : Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 29 novembre 1966, n° 27
Héritier André Lefèvre, Paris

Note : Henri Laurens fut le seul sculpteur dont l'approche artistique fut véritablement analogue à celle de ses grands amis peintres : Picasso, Braque, Juan Gris et Léger qui le considéraient comme leur égal. A la suite du départ de Braque qui partit combattre pendant la Première Guerre Mondiale, Henri Laurens semble prendre la relève et marcher sur les traces de son mentor : ses premières œuvres font apparaître l'utilisation d'un vocabulaire géométrique semblable, un jeu identique avec les propriétés de la perspective, aussi bien dans sa pratique du collage que dans la construction de ses œuvres.

En tant qu'artiste, Henri Laurens était particulièrement attentif à ce conseil fondamental de Cézanne : “Il te faut d'abord étudier les lignes géométriques, les cônes, les cylindres, les sphères”2. L'art d'Henri Laurens, comme celui de Juan Gris à qui il rendit fréquemment visite au cours de sa période constructive (dite aussi cubiste synthétique), consiste en un art réfléchi et conscient, une recherche à la fois intellectuelle et émotionnelle.3 Par conséquent, les matériels, et même les plus ordinaires, sont sélectionnés avec soin, selon les espaces à dépeindre. L'artiste ne faisait pas confiance au hasard, il ne se contentait pas d'assembler les différents éléments choisis, les fragments d'une réalité difficile. Il formait, coupait, courbait pour obtenir une œuvre telle qu'il l'avait pensée. Par ailleurs, on note dans les œuvres les plus réussies de l'artiste un parasitage ou une fusion entre les courbes du corps féminin et les formes de la bouteille traditionnelle, deux éléments récurrents dans ses réalisations dont les lignes déterminent les contours d'une colonne.4 Sa manipulation des volumes, qui s'éloigna de la spontanéité de ses toutes premières sculptures cubistes, indique un art de l'assemblage, plus construit, qui ouvrira la voie à des mouvements artistiques ultérieurs tels que le Constructivisme de Gabo et Pevsner.

2 - Isabelle Monod-Fontaine Henri Laurens, Château de Biron, Dordogne, 1990, p. 19
3 - Ibid, p. 18
4 - Ibid, p. 18

Plus sages, deux Fernand Léger, "Les Plongeurs noirs" (1943) et le "Le Pot de fleurs" (1950) ont légèrement dépassé leur estimation haute, respectivement adjugés 59.481 et 69.935 euros.

3

Fernand LÉGER (1881-1955) - Les plongeurs noirs, 1943

Gouache, monogrammée et datée 43 en bas à droite, contresignée et titrée au dos - 37.5 x 27.5 cm

Provenance : Galerie Simon, Paris
Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 1er décembre 1964, n° 59
Héritier André Lefèvre, Paris

Exposition : Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n° 171 du catalogue

Note : C'est à Marseille en 1940 que, pour la première fois, Léger songe à peindre cette scène des plongeurs qu'il exploite et développe à New York.
“De jeunes dockers se baignaient dans le port. J'ai été tout de suite emballé par la trajectoire de leurs corps brunis dans le soleil et puis dans l'eau. Un mouvement fluide, épatant. Ces plongeurs, ça a déclenché tout le reste, les acrobates, les cyclistes, les musiciens, je suis devenu plus souple, moins raide”. 1

L'œuvre que nous présentons ici, datée de 1943, donne à voir des figures puissantes et équilibrées à la fois.

Les personnages aux volumes simplifiés semblent mécaniques et en mouvement permanent. Le corps humain, traité à l'égal d'un objet, sans être individualisé, est malgré tout valorisé. La structure géométrique du visage est en forme de disque ou d'ovale et les traits du visage sont réduits à leur plus simple expression. Parallèlement, toute trace d'humanité ou d'émotivité est effacée. Si l'on considère que Léger puise son inspiration dans son quotidien, on pense tout de suite, en voyant les couleurs changeantes, du rouge au jaune puis du jaune au bleu qui donnent un dynamisme à l'ensemble, aux projecteurs publicitaires lumineux qu'il découvre sur Broadway.

“Je pars aux Etats-Unis et je vais un jour à la piscine. Les plongeurs, n'étaient plus cinq ou six, mais deux cents. Allez-vous y reconnaître ! A qui la tête ? A qui la jambe ? A qui les bras ? Je ne savais plus. Alors j'ai représenté des membres dispersés dans mon tableau. En faisant cela, il m'a semblé être beaucoup plus proche de la réalité que Michel-Ange étudiant en détail les muscles de chaque membre.”

Fernand Léger a réalisé plusieurs dessins et peintures sur ce thème :
Les Plongeurs 1941-42, 228,6 x 172,8 cm, (Museum of Modern Art, New York). Les Plongeurs noirs,
186 x 221 cm (MNAM, Paris). Les Plongeurs sur fond jaune 190 x 219 cm (The Art Institute of Chicago).
Les Plongeurs polychromes (1942-46) sans doute sont-ils les plus dynamiques de la série. 2

1 - Catalogue F. Léger du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, 1956
2 - Catalogue Musée national Fernand Léger, Biot
Bibliographie : Fernand Léger, éditions “cahier d'art”, Paris 1952, Léger, gouaches, aquarelles et dessins, éditions Berggruen Paris 1979

2

Fernand LÉGER (1881-1955) - Le pot de fleurs, 1950

Aquarelle, monogrammée et datée 50 en bas à droite - 38 x 25 cm

Provenance : Galerie Louise Leiris, Paris
Collection André Lefèvre, Paris
Héritier André Lefèvre, Paris

Note : “
Chaque époque a son réalisme. Celui des impressionnistes est très différent du nôtre.
Le signe plastique de notre temps, c'est la libération de l'objet en tant que valeur plastique ; il a une valeur en lui-même qu'il était nécessaire de mettre en valeur. En cela réside le nouveau réalisme. Le sujet fut, dans les époques anciennes, l'armature picturale dans laquelle l'objet était enfermé; nous l'avons mis en lumière et il devient à son tour l'armature principale des tableaux modernes.
Peut-être verrons-nous de nouveaux sujets.
Ils ne seront valables qu'à la condition absolue que l'objet en soit valeur principale et ne soit pas sacrifié. Dans cette évolution moderne le dessin reprend sa place. Dessin d'abord. Couleur ensuite. Ce sera l'ordre nouveau.”
1

Entre 1940 et 1945, Léger séjourne aux Etats-Unis pendant toute la durée de la guerre et puise son inspiration dans la réalité de l'environnement quotidien qu'il fait sien, “il réinvente le monde selon ses vues”.2 Chargé de cours à Yale avec Henri Focillon et Darius Milhaud, il s'investit dans des projets de décorations pour Radio City, le Rockfeller Center et nombre de ses tableaux sont marqués par cette intensité américaine dont il dira :

“Le milieu ne m'influence aucunement. L'œuvre d'art est la résultante d'un état intérieur et ne doit rien devoir au pittoresque extérieur. Peut être le rythme new-yorkais ou l'atmosphère climatique d'ici me permettent-ils de travailler «plus vite». C'est tout.”3

Pourtant Léger découvre les projecteurs publicitaires de Broadway qui balayent la rue en changeant de couleur, ceux-ci nourrissent son imaginaire et, par effet d'écho, dynamisent ses compositions.

Léger cherche un véritable sens à la vie des choses. Sa préoccupation principale est de donner à voir l'expression essentielle de celles-ci.

En d'autres termes Fernand Léger est très loin des préoccupations des courants réalistes et son œuvre ne sera jamais une imitation pure et vulgaire de la nature.

1 - Léger, gouaches, aquarelles et dessins, éditions Berggruen Paris 1979
2 - Ibid
3 - Ibid

Contre toute attente, l'aquarelle de Picasso "L'Absinthe, le poète Cornuty", peinte pendant l'hiver 1902-1903, n'a pas trouvé preneur

3

Pablo PICASSO (1881-1973) - L'Absinthe, Le poète Cornuty. Paris, hiver, 1902-1903

Aquarelle, signée en haut à droite, notice au dos de Max Jacob sur Cornuty - 30.5 x 23.5 cm - Estimé : 1 500 000 / 2 500 000 €

Provenance : Collection André Lefèvre, Paris
Vente Palais Galliéra, Paris, 29 novembre 1966, n° 37
Héritier André Lefèvre, Paris

Bibliographie : Zervos, Picasso, Cahiers d'Art, Paris, 1957, vol. 1, reproduit n° 182

Expositions : Collection de la Peau de l'Ours, vente Hôtel Drouot, Paris, 2 mars 1914, n° 122
Musée national d'Art Moderne, Paris, mars-avril 1964, n° 239 du catalogue
Musée des Beaux-Arts, Quimper, Max Jacob et Picasso, juin-septembre 1994
Musée Picasso, Paris, octobre-décembre, 1994, n° 14 du catalogue

Note : “Ce portrait est celui d'un poète nommé Cornuty que Picasso avait connu à Barcelone. Cornuty que j'ai connu éthéromane et mourant de faim était absorbé dans ses pensées sous les baguettes de sa chevelure ; il distillait ses mots d'une voix creuse et avançait sa main longue, les doigts vers le front et vers l'infini.” 1

Cette œuvre fut réalisée au début de la période bleue de l'artiste, période la plus tourmentée du jeune Picasso sur les plans émotionnel et financier, faisant suite au suicide de son meilleur ami l'artiste espagnol Carlos Casagemas. Au cours de cette période, pendant laquelle Picasso utilise essentiellement des teintes monochromes de bleu et de vert, son travail est imprégné de nuances mélancoliques. L'artiste s'inspire principalement de sujets sombres tels que les prostituées, les mendiants ou les ivrognes. Selon ses propres termes : “J'ai commencé à peindre en bleu quand j'ai appris la mort de Casagemas”. Cette même humeur est perceptible dans notre œuvre L'Absinthe, Le poète Cornuty, réalisée lors de son deuxième séjour à Paris durant l'hiver 1902-1903. Malgré ces épreuves personnelles et financières, cette période se révélera particulièrement formatrice pour le jeune peintre. D'une part, elle lui permit de poser les bases d'une amitié durable avec le poète Max Jacob qui le soutiendra dans ces moments les plus difficiles. D'autre part, elle constituera une source d'inspiration et représentera une période déterminante pour la suite de sa carrière.

La relation entre ces deux artistes de génie du vingtième siècle connut un démarrage rapide à l'occasion d'une rencontre fortuite au début de l'année précédente, en 1901, alors que Picasso exposait pour la première fois à Paris à la galerie Vollard, rue Laffitte. Vollard était un marchand d'art réputé pour ses goûts excentriques et parfois polémiques. Six années plus tôt, il avait osé exposer les œuvres scandaleuses de Cézanne. Vollard reconnut immédiatement le talent et le potentiel du jeune Picasso. En ce début d'année 1901 et par pure coïncidence, Max Jacob, ancien critique d'art qui continuait à fréquenter régulièrement les galeries par plaisir, s'arrêta devant la vitrine de la galerie de M. Vollard, stupéfait et ému face au talent du jeune Picasso. Il lui laissa un message écrit lui exprimant toute son admiration et fut peu de temps après contacté par le premier vendeur d'œuvres de Picasso, Pedro Manach, qui l'invita à voir la collection de l'artiste. Max Jacob décrit ci-dessous l'une de leurs premières rencontres :

“Il me salua en serrant mes deux mains dans les siennes comme s'il m'avait toujours connu. Il me présenta ensuite, dans un jargon franco-espagnol, une quantité de tableaux encore plus importante que celle exposée à la galerie Vollard. Nous nous sommes quittés en nous serrant la main avec la ferveur d'une amitié naissante… Il y avait là une dizaine de ses amis espagnols… le lendemain, tout le groupe est venu chez moi Quai aux Fleurs. Picasso a dessiné mon portrait au milieu de mes piles de livres et de documents. Je lui ai lu pendant toute la nuit…des poèmes que j'avais ébauchés depuis mon enfance. Picasso a pleuré, m'a serré dans ses bras et m'a dit que j'étais le seul véritable poète français du moment…C'est à ces mots que je dois toute ma carrière.”

C'est à partir de cette première rencontre que le sort de ces deux âmes sœurs fut scellé. Picasso parlant un français approximatif et Jacob ne maîtrisant que quelques mots d'espagnol, l'amitié immédiate qui s'ensuivit se construisit sur la base d'une estime mutuelle davantage spirituelle. 1

Le succès initial et immédiat de Picasso se révèlera être de courte durée; après un court séjour à Barcelone où il apprend le suicide de son ami, il retourne à Paris durant l'hiver 1901 détruit émotionnellement et sans argent. A son arrivée, Picasso emménage dans une chambre d'hôtel lugubre rue de Seine, qu'il partage avec un sculpteur espagnol, rustre et désordonné, du nom de Sisket. Ses conditions de vie sont déplorables. Animé par une responsabilité personnelle, Max Jacob ressent le devoir de veiller sur son ami et de partager avec lui le peu qu'il possède. Il lui propose alors de s'installer avec lui dans sa chambre située boulevard Voltaire.2

Malgré la solidité des liens d'amitié qui unissaient ces deux hommes, ils vécurent néanmoins une période très difficile ; Max Jacob n'avait pas d'emploi fixe et les tonalités tristes et sombres des peintures de Picasso n'étaient pas du goût du public de l'époque. Cependant, Max Jacob avait davantage foi en la carrière du jeune peintre que Picasso n'en avait en la sienne. Il assura pour lui le rôle d'un agent, essayant de vendre ses œuvres et de faire la promotion de cet immense talent prometteur. Mais, sans revenu, l'artiste finit par se retrouver à court de toiles et de matériel; la légende raconte qu'à la fin de cette période Picasso fut même contraint de brûler une quantité importante de ses œuvres pour chauffer la petite chambre qu'ils occupaient. Comme l'a déclaré Max Jacob : “Lui comme moi étions deux enfants égarés”.3
C'est au cours de cet hiver particulièrement froid que Picasso réalisa cette œuvre, L'Absinthe, Le poète Cornuty. Ce portrait laisse transparaître les stigmates de la pauvreté et de l'abus de l'alcool. Il illustre les sentiments de misère, de détresse et de douleur refoulés par Picasso. Il suffit de prêter attention à la forme fuselée des mains, aux formes émaciées de la partie supérieure du corps du poète ainsi qu'aux expressions apathiques et distantes des deux visages pour comprendre que cette œuvre fut réalisée au cours d'une période de pauvreté et de grand froid.
En examinant l'œuvre, on peut aussi remarquer la référence au travail du peintre expressionniste contemporain Edvard Münch, dont l'œuvre fut façonnée par un combat intérieur contre la dépression. Son style se caractérisait par des visages aux contours noirs soulignant une certaine rigueur et une incontestable énergie émotionnelle.
Picasso n'oubliera jamais cette période extrêmement difficile ni l'amitié bienveillante de Max Jacob. La rencontre de ces deux immenses artistes influencera fortement le vingtième siècle. Max Jacob allait redéfinir en profondeur la poésie, alors que Picasso, comme nous le savons tous, allait jouer un rôle majeur dans l'histoire de l'art de son siècle.

En 1926, des années après que les chemins de Picasso et de Max Jacob se soient séparés, Jacob se trouva à nouveau concerné à titre personnel par cette œuvre réalisée pendant l'hiver 1902. Esseulé et dans le besoin, Max Jacob décida de rédiger une note à l'attention de M. André Lefèvre lui décrivant le portrait de Cornuty et qui serait fixée au dos du tableau. Dans une lettre écrite à M. Lefèvre le 22 février 1926, Max Jacob raconte l'histoire d'Henri - Albert Cornuty, connu aussi de ce milieu bohème pour être monté à Paris à l'âge de 15 ans afin de rencontrer son idole Paul Verlaine, qu'il avait découvert en lisant les “Poèmes Saturniens”. Cornuty resta au chevet du poète durant les trois derniers mois de sa vie tourmentée, atteint à son tour par l'absinthe et la folie dont souffrait son modèle.
“Les hommes de ma génération ont connu Cornuty. C'était un adolescent de petite corpulence dont les mains et les cheveux faisaient penser à une araignée. On avait l'impression qu'il louchait. Il est mort de faim ou d'épuisement […]. Sa famille le haïssait; il était parti avec un acrobate et trouva un jour à Lyon une femme-serpent qui lui donna à manger, puis l'empoisonna comme Putiphar eut voulu empoisonner Joseph […].”4
Cette lettre décrit parfaitement l'homme dont Picasso exprime ici le malheur.

1 - Max Jacob et Picasso, Quimper, Musée des Beaux-Arts, 21 juin-4 septembre 1994, p. 2.
2 - Picasso, 1900-1906, catalogue raisonné de l'œuvre peinte, Pierre Daix, p. 55
3 - Max Jacob et Picasso, p. 14.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité