Jacob Jordaens (Anvers, 1593-1678), La Tribune des musiciens dans une loggia, vers 1645
Jacob Jordaens (Anvers, 1593-1678), La Tribune des musiciens dans une loggia, vers 1645, aquarelle et gouache sur traits de pierre noire, contrecollée sur carton, 34,5 x 38,2 cm. Estimation : 15 000/18 000 euros. Saintes, Abbaye-aux-Dames, dimanche 20 avril. Geoffroy-Bequet SVV.M. Daniel Greiner, Cabinet Philippe Ravon et Christine Chaton.
Le noble art du dessin peut à bon droit être appelé père de la peinture», écrit Karel van Mander dans son ouvrage Het-Schilder Boeck, publié en 1604. Bien plus qu’une simple technique, il joue effectivement un rôle capital dans la naissance d’un tableau. Développant des compositions grandiloquentes, le style baroque a favorisé la pratique intensive du dessin : soumises à l’approbation des commanditaires, les études fouillées serviront de modèles aux peintres, dont Jacob Jordaens. Appartenant au triumvirat artistique du siècle d’or flamand, Jordaens travaille d’abord à Anvers aux côtés de Rubens, d’ailleurs plus comme collaborateur que comme élève : notre artiste participe activement à l’élaboration des vingt et un tableaux peints, à la demande de Marie de Médicis, pour orner le palais du Luxembourg à Paris. Unissant le savoir-faire flamand à la tradition picturale italienne, Jordaens devient, à la mort de Rubens, en 1640, le peintre le plus sollicité d’Anvers. Il compte dans sa clientèle le roi d’Angleterre, la reine Christine de Suède... Artiste reconnu, Jordaens se fait construire dans la Hoogstraat une riche demeure, influencée par le décor de la villa du peintre vénitien Véronèse. À cette époque, les simples croquis à la plume et au pinceau cèdent la place aux oeuvres détaillées à l’aquarelle, comme notre dessin. Proposé en excellent état de conservation, celui-ci arbore de plus un pedigree prestigieux. Présenté lors de l’exposition d’Anvers en 1905, il a appartenu au peintre lillois Arnould de Vuez (1644-1720), puis fut conservé dans sa descendance jusqu’à nos jours. Illustrant la rare maîtrise de l’artiste, cette aquarelle gouachée en révèle aussi la technique : posant rapidement de larges taches de blanc et de noir, le dessinateur représente le sujet d’une ligne épaisse, puis colore l’ensemble à l’aide d’aquarelle, les couleurs opaques suggérant le volume.
Pour finir, d’un pinceau chargé d’encre, il accentue le contour des formes. Reprenant aux caravagesques italiens l’art de peindre en contre-plongée, la scène est transcrite dans un imposant cadre architectural. Elle reflète le tempérament de Jordaens, son goût pour la couleur. Débordante de vie et de mouvement, elle atteste encore un sens réel du décor aux détails pittoresques. Belles notes vénitiennes, la perspective en trompe l’oeil et les personnages accoudés à la balustrade font songer à l’art de Véronèse.
En un véritable hymne à la joie, elle mêle allègrement figures et animaux dans un naturalisme généreux. Les pelages sont rendus avec toute leur densité en seulement quelques traits de lavis et de gouache. La particularité de chaque espèce est de plus évoquée. Les perroquets bariolés, métaphores de l’éloquence, surveillent la représentation, singe et chien s’apprêtant à jouer quelques facéties. Au total, notre dessin, «de qualité internationale», fait résonner de concert illusionnisme, naturalisme et exubérance baroque.
En avant la musique ! Chantal Humbert www.gazette-drouot.com