Murashima Yuichi. Après la pêche
Murashima Yuichi (né en 1897), Après la pêche, technique mixte, encre, gouache et lavis, 85 x 91 cm.
La peinture, importée au départ de la Chine, devait se développer au pays du Soleil-Levant d’une manière... toute japonaise. En effet, l’une des constantes des arts nippons est cette étonnante faculté de transformer en idiome national tout élément étranger. À Paris en 1929, Albert Maybon souligne cet aspect dans la préface du catalogue de l’exposition consacrée à l’école classique contemporaine : «L’élève interpréta suivant son génie propre l’enseignement du maître, génie fait de clarté, de mesure, de naturel, de simplicité, de sobre élégance.» Le spécialiste en réfère aussi à l’introduction de la pensée confucéenne au IIIe siècle de notre ère. Et de noter : «Après chaque période d’imitation chinoise, le Japon s’isolait et se livrait à une œuvre de création originale»... Le modèle esthétique qui, de nos jours encore, imprègne l’art et la pensée du pays est hérité de la dynastie Song, la doctrine zen tout particulièrement. Selon M. Morita, professeur à l’école des beaux-arts de Tokyo, la peinture japonaise y puise ses grands traits, parfois légers, parfois appuyés, afin d’exprimer «par un tour elliptique le sentiment de la chose». Cette fragilité, cette vision amoureuse de la nature dans le moindre brin d’herbe, de la vie présente dans un oiseau, une fleur ou le plus petit des insectes, séduira les Européens. Les arts appliqués nippons, si prisés au XVIIIe siècle – notamment les laques, considérées supérieures aux créations chinoises, et les céramiques –, inspireront les artistes occidentaux de la seconde moitié du XIXe siècle. La peinture et, surtout, les estampes (un art créé pour une société de marchands) subjuguent par leur composition, leur gamme de coloris, leur art subtil de la suggestion. Degas, Monet et Van Gogh les premiers reconnaissent cette dette. Cependant qu’au Japon la peinture occidentale fait des adeptes, en priorité la peinture à l’huile et l’étude de la perspective, avec ses ombres peu convaincantes, voire répulsives pour un peintre traditionnel japonais. Pourquoi vouloir copier servilement la nature, quand une forme de montagne vue à travers une écharpe de brume ou cadrée par une branche de pin ou de cerisier en fleur suffit à en révéler toute la poésie ? À la fin du XIXe siècle, au Japon, la querelle des Anciens et des Modernes fait rage. L’époque Meiji marque une période d’ouverture sur le monde extérieur, même si les officiels s’intéressaient exclusivement aux éléments scientifiques et aux succès techniques. Mais on tolère la peinture «yoga» (à l’occidentale), pas si méprisée par l’élite japonaise, et au début du siècle dernier naissent des salons «Buten», sur le modèle parisien. L’un des premiers maîtres du «yoga», Takashi Yuichi (1828-1894), rencontre l’intendant du Konpira-San, le sanctuaire de la mer, et sollicite son aide pour l’extension de son école de peinture. Les trésors du lieu, peintures traditionnelles et celles de Takashi, sont actuellement exposés au musée Guimet, jusqu’au 8 décembre. Takashi Yuichi avait en effet fait don de trente-cinq œuvres au sanctuaire, vingt-sept y étant encore conservées. Murashima a peut-être été inspiré par ce style de peinture pour cette œuvre, qui participait à l’exposition de 1929. Ici, le peintre mêle adroitement une facture traditionnelle à l’encre aux couleurs de la gouache, pour rendre toutes les nuances de ces poissons et crustacés. Anne Foster www.gazette-drouot.com. Paris, jeudi 6 novembre 2008, espace Tajan. Tajan SVV. M. Wattel