Axel Vervoordt, "Academia: Qui es-tu? " aux Beaux-Arts
“L’essence du moment où l’on affronte une oeuvre d’art est une rencontre purement individuelle, une expérience individuelle en des termes individuels, quelque chose qui ne peut être enseigné, et que des quantités croissantes d’explication rationnelles et de discours verbaux affaiblira proportionnellement. » Bill Viola, ‘Reasons for Knocking at an Empty House – Writings 1973-1994’
Paris – Academia: Qui es-tu? a ouvert à La Chapelle de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris le 10 septembre et dure jusqu’au 23 novembre 2008. L’exposition propose une sélection de plus de 250 œuvres originales – des temps néolithiques à la pointe du contemporain- qui rencontrent des centaines de moulages exposés en permanence à la Chapelle. Les visiteurs sont mis au défi car, en l’absence de panneaux explicatifs, ils sont contraints de chercher en eux des réponses et d’écouter les œuvres plutôt que de lire à leur sujet. Academia: qui es-tu ? est la partie centrale d’une trilogie conçue par le collectionneur belge, Axel Vervoordt, qui commença en 2007 au Palais Fortuny à Venise avec Artempo: When time becomes art, et qui se conclura en 2009 par In-finitum à Venise.
Depuis des temps immémoriaux, l’humanité s’est posé « Qui es-tu ? » comme question première, et si l’on considère l’art contemporain aujourd’hui, la pertinence et l’immédiateté de la question n’a rien perdu de sa puissance. A travers les 6000 ans couverts par l’exposition, Academia révèle la présence continue du « Qui es-tu ? » dans chaque œuvre présentée. La question émerge avec force dans la stèle commémorative du Royaume de Saba, 3ème siècle après J.-C., tout comme dans le remarquablement pure Whiteout d’Anish Kapoor, 2004.
Academia: Qui es-tu? est dans sa quintessence l’expression d’un sens nouveau de l’éclectisme et de la pureté, tout compris, auquel le siècle nouveau a fini par adhérer. Ces deux éléments sont au cœur de la recherche qui a conduit Axel Vervoordt à chosir la Chapelle comme cadre pour mettre au monde la deuxième partie de sa trilogie. Bien que reflet d’un illustre passé, la Chapelle avec ces copies monumentales d’importants exemples de l’Histoire de l’art, porte aussi les traces du temps et des formes, dans lesquels Vervoordt a incorporé avec brio le concept et la scénographie d’Academia. Grâce à un ingénieux système de grilles métalliques qui sont superposées aux œuvres in situ, et servant ainsi de support aux œuvres exposées; il ouvre une nouvelle fenêtre dans l’art de la chapelle en y intégrant les oeuvres d’Academia. La première impression en entrant dans l’exposition est l’émerveillement . Puis au fil de la visite, des dialogues nous apparaissent , émanant de la présence des oeuvres. On n’a pas d’autre choix que de renoncer aux idées préconçues sur la fonction et le concept d’une exposition. On chemine dans le monde d’Academia, guidé par les œuvres elles-mêmes ; leurs essences, leurs formes et l’ invitation à converser.
Whiteout d’Anish Kapoor situé discrètement sous une voute de la chapelle, occupe l’un des endroits les plus sacrés de l’exposition. Une fois passé au travers de l’épais rideau de lin et s’être habitué à l’obscurité , l’immense pouvoir de la sculpture devient palpable. Le monolithe blanc de Kapoor pourrait symboliser l’épicentre d’Academia – le lieux où toutes les questions sont condensées dans une blancheur si intense qu’elle en devient invisible. Derrière l’œuvre Concetto spaziale de Lucio Fontana de 1962 est placé en silence la copie de la « Porta del Paradiso » de Ghiberti à Florence, comme en écho au geste de Fontana. En hauteur, deux œuvres majeures de Kazuo Shiraga, dont la force et le geste rencontre Michel-Ange.
Si Kapoor intériorise les forces du questionnement, Louise Bourgeois les lance au spectateur avec une énergie presque violente. Sa Cell XXVI, 2003, qui se trouve au centre de la scène de la Chapelle, exprime de façon primordiale le « Qui es-tu ? ». Une figure grandeur nature, prise dans des nœuds inextricables, se balance dans une immense cage de métal, contrainte à se contempler perpétuellement dans un miroir. Bourgeois n’adoucit pas les questionnements existentiels. Fortement influencée par les événements troublants qui ont parcouru son enfance, l’artiste est revenue à la crudité des premières étapes de sa vie.
Les murs de la Chapelle offrent une promenade à travers différentes facettes du crucial « Qui es-tu ? ». Dans la section consacrée à l’identité à travers le « Portrait », un délicat dessin d’Henri IV de Frans Pourbus le jeune (1569-1622), montre la tête légèrement tournée du roi de France au-dessus d’une large fraise. Ce dessin a probablement servi d’étude préparatoire pour le tableau actuellement conservé au Louvre. Alistair Butler de Robert Mapplethorpe, Isabel de Rineke Dijkstra, Autoportrait de Boltanski, et le double portrait de Francis Bacon par Richard Avedon, sont de splendides exemples photographiques de cette quête. Dark portrait, de la jeune peintre suédoise Anna Bjerger, qui suggère une tête par l’obscurité, contrebalance la franchise du travail photographique.
La section sur le “Corps” présente de nombreux artistes au sommet de leur pouvoir créatif. Les deux sculptures de Hans op de Beeck, Iris et Yves-Pascal, 2007, vêtues de complexes équipements corporels à des fins de recherche médicale et technologique. Avec Iris et Yves-Pascal, la frontière entre méthode classique de sculpture et procédé de création contemporain fondé sur la technologie se confondent. Pourtant, elles évoquent dans leur pureté et leurs élégantes poses la beauté pleine de grâce des sculptures grecques et romaines. Aschenmench de Günther Uecker, 1987 est une autre image frappante – dans ce cas précis la référence ne concerne pas tant le corps vivant mais plutôt le corps qui meurt lentement, puisque Uecker réalisa la série Aschenmench en souvenir des nombreux corps rejetés sur la plage de la Ostsee, qu’il devait enterrer après la guerre alors qu’il n’avait que 14 ans.
Le thème de l’ « Architecture » traite de l’importance du rapport de l’homme à l’espace, autant dans les sphères domestiques et professionnelles que dans sa relation au monde l’environnant. Atrium IV (édition 1/3), 2008, est une « maquette architecturale concrète » qui déploie ses secrets après une observation attentive. James Casebere, connu pour ses photographies de maquettes à petite échelle, qui suggèrent des espaces archétypaux déconcertants, est présent avec Two tunnels from left, 1998 ; alors que la toile du maître ancien, Dirk van Delen, Intérieur d’Eglise, 1629, offre une vue nocturne d’un intérieur d’église imaginaire éclairé aux chandelles. Avec ces formes complexes, rempli d’arcades, d’escaliers, de passages cachés, ornés de monuments et de sculptures, van Delen démontre son talent.
Le fil de l’exposition –parcouru de rencontres hétérogènes, comme un lingam indien du 10ème siècle; Cai Guo Qiang’s Chun Qiu: Bygones, 2006; une divinité-pilier syro-palestinienne du 4ème millénaire avant J.-C. ; Another Time II, 2006, d’Anthony Gormley ; Hollow Columns, 2007, de Tony Cragg; et Femme sur la place d’un cimetière, le bronze de Joan Mirò de 1981- mènent inévitablement au cabinet de collectionneur ou « Kunstkammer » qu’Axel Vervoordt a installé au bout de la Chapelle –un hommage silencieux à l’homme de la Renaissance dont le cabinet, première forme de collection, ouvrait un accès vers l’Universel. Ici, une riche collection ibérique rivalise avec la superbement tranquille Old Oak (Study), 2005, de Bill Viola ; La leçon de Musique d’Hiroshi Sugimoto, 2004 ; le Grow Finish Unit (Eva, Oklahoma), 2008 de John Gerrard; le magnifique dessin de Picasso de 1946, Les Centaures ; les peintures de Victor Vasarely, Erebus et Terreur, 1957 ; et un fabuleux ensemble d’objets d’études.
D’autres oeuvres à voir comme le tableau inachevé de Paul Cézanne, Paysage d’hiver, 1885-1895; Under the Snow # 16, 2005 d’Ilya et Emilia Kabakov ; Abstract Painting de 1959 d’Ad Reinhardt, majestueux dans la richesse et la profondeur de son obscurité reflétant les remarques de James Watt, qui déclare que regarder une peinture de Reihnardt équivaut méditer; et l’IKB115, 1959 d’Yves Klein, qui, avec la pureté de sa signature directe, son bleu, touche encore le (« void ») vide, si central dans le Zen.
Naga plane au-dessus d’Academia: Qui es-tu?, création musicale composée spécialement pour l’exposition par Mireille Capelle, aidée de Jean-Marc Sullon et exécutée par l’Hermès Ensemble. Mireille Capelle composa également Annello di se, la musique d’Artempo, la première partie de la trilogie, et sera aussi impliquée dans l’accompagnement musical de la troisième partie, In-finitum, qui se tiendra à Venise en 2009.
Exposition: 10 Septembre – 23 Novembre 2008, de 13h à 19h., ouverte du Lundi au Dimanche.
Axel Vervorrdt est un humaniste, un collectionneur, un marchand d'art avisé, un décorateur au goût sans pareil, bref, il représente pour moi, intellectiellement parlant, l'idéal du goût masculin.
Quelques unes des oeuvres de sa collection personnelle exposée:
Bas-relief gothique
Cai Guo Qiang, Chun Qiu: Bygones, 2006
Lucio Fontana, Hexagonal
Lingam rouge
FUSS 134
Roue bouddhique
Anish Kapoor, Whiteout, 2004
Isabel de Rineke Dijkstra
Autoportrait de Boltanski
Goudzwaard, 2003
Pharaon
Hans op de Beeck, Yves-Pascal, 2007
Kazuo Shiraga, Chiyusei
Thomas House, Ago