Divorce à Fontainebleau
Le divorce est consommé. A l'amiable. Au château de Fontainebleau (Seine-et-Marne), la discorde entre Bernard Notari, son directeur, et Jacques Moulin, l'architecte en chef des Monuments historiques chargé de la restauration, a abouti à leur séparation et au départ du second.
"Il n'y a ni gagnant ni perdant, assure Bernard Notari. Je ne veux pas polémiquer sur des sujets qui peuvent fâcher, mais avancer dans mon projet de mise en valeur."
Jacques Moulin, lui, parle franchement d'une "divergence totale sur l'avenir du château, la manière de le traiter, les objectifs poursuivis". "J'ai demandé depuis plusieurs mois à quitter le château", dit-il.
Pour l'architecte, la maison de campagne des rois de France - de Saint Louis à Philippe Le Bel, François Ier, Louis XIV ou encore Napoléon - "a l'épaisseur historique la plus importante de France, du Moyen Age à la IIIe République", d'où son engagement à y conduire les travaux auxquels il croit. "C'est le château de toutes les nouveautés architecturales, un des plus précieux, abritant une collection d'architecture, de jardins, de décors et de meubles, sans équivalent", insiste-t-il.
Au ministère de la culture, Michel Clément confirme le départ de l'architecte, "d'un commun accord, à la demande des uns et des autres". "Il a souhaité changer d'affectation", assure le directeur du patrimoine.
"C'EST UNE HÉRÉSIE"
Au vrai, le feu a pris pour une affaire d'enduit sur les façades du fameux quartier Henri-IV. "Il a tout peint en jaune, on se croirait à Marrakech, c'est une hérésie", hurle Georges Galipon, du Comité de défense de Fontainebleau, évoquant ce "quartier historique, une des plus belles places d'armes ennoblie par Henri IV". Cette association avait réagi, voilà un an, par un manifeste, quand, les échafaudages enlevés, la couleur fut dévoilée.
Aujourd'hui, Michel Clément tempère : "Au départ, ils (ces badigeons) ont surpris, ils étaient un peu soutenus, reconnaît-il. La couleur s'atténue." Tandis que Jacques Moulin s'explique : "Depuis le XVIe siècle, le château a toujours été peint, surtout le grès, on a toutes les preuves, jusqu'à Napoléon Ier. On a découvert des traces de badigeons dans tous les coins, jusqu'à sept épaisseurs, datant du XVIe au XIXe siècle." Selon lui, le grès, d'un gris sale, impossible à nettoyer sans le décaper de 3 mm, donnait un aspect "sinistre" au Quartier Henri-IV. Les badigeons ont été réalisés comme autrefois, avec "une chaux encollée teinte à l'ocre" dont le ton s'atténue en six mois, précise M. Moulin. Dans une lettre datée du 17 décembre 2007, répondant à la polémique, celui-ci donnait au ministère de la culture un résumé de l'option "badigeons", qui avait été choisie et approuvée, après étude préalable, le 17 janvier 2005, par la direction du patrimoine.
Cette affaire met en lumière l'objet même de la restauration d'un monument historique. Au fil des ans, l'oeil s'est habitué à la beauté des pierres nues. A contrario, pendant des siècles, le goût était aux façades peintes, des châteaux aux cathédrales. Faut-il y revenir ? Ou prendre un bâtiment dans l'état où il est parvenu en procédant a minima à sa restauration ? C'est tout l'enjeu du divorce bellifontain.Plus d'infos sur Le Monde.fr