L'Oréal : le bureau de la discorde
Bureau d'Eugène Schueller, don de L'Oréal au Musée des années 30, à Boulogne-Billancourt © D.R.
Attribué à Jacques-Émile Ruhlmann, le bureau d’Eugène Schueller, fondateur de L’Oréal, vient d’intégrer les collections du Musée des années 30, à Boulogne-Billancourt, grâce au don de la société internationale de cosmétique. Mais Florence Camard, expert mondial de Ruhlmann, réfute l’authenticité de ce bureau.
PARIS - Donné par la société L’Oréal, le bureau Art déco présenté comme celui du fondateur de L’Oréal, Eugène Schueller, « d’après un modèle créé vers 1929 » par Jacques-Émile Ruhlmann, a fait son entrée le 26 mai au Musée des années 30 de la ville de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Ce don, expertisé par le cabinet Gurr Johns International à la demande de L’Oréal, aurait été estimé 750 000 euros. Or, l’expert mondial de Ruhlmann, Florence Camard, conteste cette attribution à Ruhlmann et l’a bien fait savoir lors de cette inauguration où elle a joué l’invitée surprise. « Au vu de ses proportions [2,75 x 1,30 m], ce meuble a plus l’allure d’une table de conseil que d’un bureau, précise-t-elle d’abord. Le document présenté à cette soirée, et qui fait partie des archives Ruhlmann conservées au musée, reproduit la table de conseil du gouverneur du Crédit Foncier de France exécutée en 1933. » D’ailleurs, le meuble donné au musée n’est pas estampillé. « Il existe des meubles de Ruhlmann qui ne sont pas estampillés. Celui-ci a pu être fabriqué après 1933 [année de la mort de Ruhlmann] », objecte Frédéric Chappey, directeur du Musée des années 30 et successeur depuis 2009 d’Emmanuel Bréon, qui avait initié ce don pour le musée. Mais selon Florence Camard, « les meubles non estampillés de Ruhlmann sont antérieurs à 1925, soit avant qu’il n’ouvre ses propres ateliers. Et ce meuble tardif ne présente pas non plus la mention "modèle de Ruhlmann édité par Porteneuve" ». Elle ajoute : « Vers 1975, alors que j’accompagnais Jules Deroubaix, ébéniste préféré de Ruhlmann chargé de l’entretien des mobiliers Schueller et Bettencourt, j’ai vu ce "grand bureau" au siège de L’Oréal. Je me souviens très bien que monsieur Deroubaix m’a dit qu’il n’était pas de Ruhlmann, raison pour laquelle il n’avait pas apposé la double estampille Ruhlmann/Deroubaix, comme il était habilité à le faire. »
Et d’un point de vue stylistique ? « Ce meuble est lourd et indigne de Ruhlmann, si sensible aux proportions et à l’équilibre dans tout ce qu’il concevait », répond l’expert. Alors que pour Frédéric Chappey, cette massivité « traduit l’ergonomie du pouvoir de Schueller ». Reste qu’une photographie de ce « bureau » in situ, figurant dans le livre sur Ruhlmann, publié aux éditions du Regard en 1983, a servi de document de référence dans le dossier de L’Oréal. « Je suis bien l’auteur du texte de ce livre, confirme Florence Camard. Mais l’éditeur, qui m’a fait signer le contrat après parution, avait constitué seul l’iconographie et la maquette, sans me consulter et sans juger bon de mettre mon nom sur la couverture. » Florence Camard a publié, en 2009, un nouvel ouvrage sur l’œuvre de Ruhlmann aux éditions Monelle Hayot, dans lequel le « bureau de L’Oréal » est passé à la trappe, à la différence du bureau personnel de monsieur Schueller, exécuté en 1929 sur le modèle présenté dans l’Hôtel du collectionneur à l’Exposition internationale de 1925 à Paris. Conservé aujourd’hui chez sa fille, madame Liliane Bettencourt, ce bureau assurément serait un très beau cadeau à faire à un musée. Armelle Malvoisin www.artclair.com