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Alain.R.Truong
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13 novembre 2013

Tiziano Vecellio, dit Le Titien (Pieve di Cadore vers 1483/1485 - Venise 1576),Le Denier de Cesar

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Tiziano Vecellio, dit Le Titien (Pieve di Cadore vers 1483/1485 - Venise 1576),Le Denier de Cesar.  Photo courtesy Europ Auction

Toile;119,8 x 94 cm. Restaurations Au revers du chassis le cachet de la vente Sedelmeyer. Pas d'estimation

Provenance: Vente Sebastien Erard, Paris, 23 avril 1832 (Mes Lacoste et Coutellier), n° 46 (Titien. 1080 francs.
La vente eut lieu le 7 aout 1832) ; Collection du Baron Doazan; Collection du Baron Esprit de Bully ; Vente Baronne de Bully, Chateau de Cucilly, Paris (Maitre Duchesne), 21 mars 1891 ; Vente Ch. Sedelmeyer. Troisieme vente, Paris (Maitre Chevallier), 3-5 juin 1907, n° 188, reproduit (Titien) ; Collection Paul Christian Hardmeyer, Breganzona, Suisse (selon une etiquette au revers de la toile) ; Vente anonyme, Londres, Christie’s, 31 Octobre 1997, n° 73, reproduit en couleur (suiveur de Titien).

Situable vers 1560 – 1565, notre tableau est a rapprocher de celui de meme sujet conserve a la National Gallery de Londres (Fig. 2).
De tres nombreuses differences (le fond d’architecture, le vieillard derriere le Christ, la tenue du pharisien) montrent qu’il s’agit de deux tableaux completement differents, et par la technique et par l’esprit. Des morceaux comme la tension dynamique du pharisien de gauche, la main gauche de Jesus, le visage de saint Pierre, le fond d’architecture sont completement de la main de Titien.
Nous reconnaissons dans le vetement du pharisien, son dos et ses cheveux ainsi que dans la main gauche du Christ et son drape la technique particuliere du Maitre, sa couleur et ses brefs coups de pinceau.
La dynamique et le nœud de l’œuvre se trouve dans la confrontation du pharisien avec le Christ.
L’allant du pharisien vers le Seigneur et son geste menacant se confrontent au visage placide et au corps frontal du Christ.
Ce nœud iconographique apporte une telle force a l’œuvre qu’elle rend le tableau puissant et bien different de celui de Londres.
Des repentirs dans la main droite du Pharisien et la main gauche du Christ temoignent du caractere autographe du tableau.
Certes le tableau a connu des changements d’etat, que ce soit a la fin du XVIeme siecle avec probablement une collaboration de l’atelier et plus recemment comme le montrent les differences entre l’etat actuel et la photo lors de la vente Sedelmeyer, mais sa force reste intacte et temoigne du genie createur du Maitre venitien.
Mal jugee par Harold Wethey, la haute qualite de notre tableau a ete brillamment decelee par Nicholas Penny. Andrea Donati l’a rehabilitee totalement.
Nous publions a la suite l’etude que le professeur Andrea Donati a consacree au tableau (une etude tres complete du tableau et des differentes versions sera remise a toutes personnes interessees) et l’etat de conservation de notre restaurateur qui indique clairement les modifications qu’il a pu subir.

L’ANALYSE D’ANDREA DONATI, specialiste de Titien
L’episode du Denier de Cesar est raconte par trois des quatre Evangiles (Mt 22:17-22; Mc 12:16-17; Lc 20:21-26) et par deux recits apocryphes. Selon ces sources, lorsque Jesus prechait, certains voulurent le mettre en difficulte en lui demandant si les Juifs pouvaient refuser de payer l’impot aux Romains. Apres les avoir qualifie d’hypocrites, Jesus leur demanda de presenter une piece de monnaie en cours de validite.
Il les questionna ensuite sur l’identite de la personne figurant sur la piece. A l’affirmation qu'il s'agissait de Cesar, il repondit : «Rendez a Cesar, ce qui est a Cesar etaDieucequiestaDieu».
Titien peint trois tableaux du Denier de Cesar : le premier, conserve a Dresde, est destine a Alphonse I d'Este, le second, a Londres, est pour Philippe II d'Espagne et le troisieme, que j’appelle par commodite Erard/Sedelmeyer et dont nous ignorons aussi bien le commanditaire que le destinataire. Si le premier est fidele aux Evangiles de Marc et Mathieu – il represente en effet un seul interlocuteur, pharisien ou herodien – le second tient egalement compte de Luc en introduisant un scribe ou grand pretre, presente de maniere caricaturale comme un vieux pape de la Renaissance muni de besicles.
Le troisieme enfin, avec la figure de Pierre, est une variante des deux episodes precedents, devant un edifice faisant allusion a la synagogue batie par le centurion, donc par extension au village meme de Capharnaum.
La representation du Denier de Cesar est tres rare a la Renaissance. Titien est un des seuls a avoir traite ce theme.
(FIig.1)
Le Denier a Cesar pour Alphonse Ier d'Este (1515), conserve a la Gemaldegalerie de Dresde (Panneau, 75 x 56 cm. Fig. 1) Il faut observer que, a de rares exceptions pres, Titien reste fidele a un unique model masculin pour la representation du Christ adulte. Cela apparait
dans la premiere redaction du Denier de Cesar, peinte vers 1516 pour Alphonse d'Este.
Le Denier de Cesar pour Philippe II (1568) conserve a la National Gallery de Londres (Toile, 109 x 101,5 cm). Lorsque un demi-siecle apres cette premiere version, Titien reprit le theme du Denier de Cesar, ce fut pour Philippe II.
L’œuvre porte la signature
TITIANVS / F.
Le tableau pourrait avoir ete commence apres 1543 ou beaucoup plus tard, au debut des annees soixante.
Le Denier de Cesar Erard/Sedelmeyer selon Harold Wethey et Nicholas Penny.
Cette version est en effet une variante de celle de l'Escurial/Londres.
Elle fut mentionnee avec des dimensions legerement differentes, comme une copie de l'atelier de Titien de basse qualite («poor quality througout») par Wethey, dont le jugement negatif depend uniquement de l'examen d'une vieille photographie. Wethey toutefois mettait en evidence de grandes differences par rapport a la version de la National Gallery de Londres, comme par exemple la presence de Saint Pierre sur la droite et la frise sur le mur du fond. Sur ce point,Wethey fait une consideration fondamentale: « The main figures are the same size as those in NG 224, and it is surely likely that it was made, or at least begun, in Titian’s workshop before the National Gallery’s picture was sent to Spain in 1568 ».
La version Sedelmeyer n'est certainement pas une copie, car elle fut creee dans l'atelier de Titien.
Il pourrait pourtant s’agir du resultat d'une stratification plus complexe des inventions developpees par Titien bien avant la realisation finale du tableau Escurial/Londres. Nicholas Penny developpe :
« One difference in this version was not intended: Christ’s cloak is a dull grey-brown on account of the deteriorated smalt used for the blue. In other respects the differences can mostly be explained as unimaginative attempts at invention on the part of assistants who were perhaps encouraged by Titian not to copy too closely. Just possibly, however, both the dress of the Pharisee in one version and his bare shoulder in the other, and the hat in both, reflect Titian’s earlier ideas (and even earlier stages of execution) for the composition. This may also be true of the higher position of the Pharisee’s right arm which is found in both ».
La question des repliques de Titien, « pittor di macchie» (peintre de taches)
A propos des œuvres tardives du Maitre, David Rosand est retourne sur les concepts d’« ebauche, nonfinito, derniere maniere et dernier style », soulignant que le style transcende veritablement les l’intentions technique («technical means»).
Il s’appuie sur l’autorite de Vasari, qui rencontra une seconde fois Titien pendant son bref et dernier sejour a Venise en mai 1566. Giorgio Vasari soutenait que la maniere de faire de Titien dans les œuvres tardives « etait assez differente de celle de sa jeunesse [...] les premieres sont menees avec une certaine finesse et incroyable soin, et a voir de pres et de loin ; et ces dernieres, menees de trait, enlevees avec feu et avec des taches, de sorte que l’on ne puisse les voir de pres, mais apparaissent parfaites de loin ».
Une autre observation que l’on peut partager est que, lorsque Titien et son atelier repliquent un sujet au meme moment ou dans un temps restreint, les changements sont mineurs, alors que si la reprise du sujet advient apres un large ecart de temps, les variantes apparaissent bien plus evidentes : ce qui est bien evident en comparant le Denier de Cesar pour Alphonse Ier et les versions successives.
Le soi-disant style tardif de Titien et le jugement malveillant de Niccolo Stoppio, marchand d’art et erudit flamand
On entre ainsi dans le domaine du concept du nonfinito ou du « style tardif » ou encore « deuxieme style » de Titien, qui fait l’objet d’une dispute savante depuis longtemps.
L’aspect hautement colore et la surface soigneusement travaillee caracterisent le style tardif de Titien.
Giorgio Vasari se rendit compte que la facilite expressive et la spontaneite chromatique de Titien etaient le resultat d’un effort prodigieux de sa part.
La polemique est lancee par Niccolo Stoppio (-1570).
L’annee meme ou Titien envoyait le Denier de Cesar a Philippe II, Stoppio affirmait de maniere peremptoire que Titien avait la main tremblante et ne terminait pas ses œuvres, mais les faisait achever par des eleves, parmi lesquels il y avait un excellent, Emmanuel Amberger d’Augsburg (1533/1536 – apres 1581); Titien lui remettait de nombreuses toiles, qu’il terminait en deux coups de pinceaux et revendait comme œuvres totalement autographes. Stoppio etait un poete et erudit flamand, originaire d’Aelst et installe a Venise.
Il connaissait personnellement Titien et il eut l’occasion de le voir travailler dans son atelier.
Parmi toutes les œuvres tardives de Titien, la plus utile pour une confrontation avec le Denier de Cesar Erard/Sedelmeyer est la Sainte Cene.
Les ressemblances sont remarquables. A bien regarder, une grande partie de la composition de la Sainte Cene semble etre une sorte d’anthologie des pensees sur le Denier de Cesar. Certaines figures sont repetees dans des attitudes semblables entre elles, comme si Titien avait execute une serie de variations sur le theme du Christ et du pharisien.
Tout ceci ne met cependant pas en doute l’attribution a Titien du tableau Erard/Sedelmeyer, qui apparait evidente meme a la vue des analyses photographiques du studio Lumiere & Tecnology ; mais on ne peut exclure l’intervention de l’atelier, comme deja Nicholas Penny le suggerait aussi a propos du tableau de Londres.
En conclusion la comparaison avec la Sainte Cene de l’Escurial permit de comprendre davantage le tableau Erard/ Sedelmeyer et le fonctionnement de l’atelier de Biri Grande dans les annees 1560.
En conclusion nous pouvons bien affirmer que le Denier de Cesar Erard/Sedelmeyer n’est pas seulement une peinture authentique, mais un veritable original de Titien, qui correspond tout a fait au style du Maitre dans la derniere periode de sa carriere. Par rapport a la version envoyee a Philippe II, celle-ci doit etre consideree comme une variante pensee pour un autre client, probablement un grand personnage de la cour d’Espagne.

Europ Auction.Mercredi 13 novembre 2013. Drouot Richelieu - Salle 1 - 9, rue Drouot - 75009 Paris

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