Le Yuanming yuan ou jardin de la Clarté parfaite, la quintessence du jardin à la chinoise
Le jardin de la Clarté parfaite : Palais d'été, Pékin, 1744. Peinture de Tang Dai (1673-1752) et Shen Yuan (17..-17..); en regard, poème de l'empereur Qianlong (empereur de Chine ; 1711-1799), calligraphié par Wang Youdun (1692-1758), 2 vol. (40 bifol.) : peinture et calligraphie sur soie ; 82,5 x 148,4 cm. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FT 6-B-9
Le Yuanming yuan la quintessence du jardin à la chinoise
Le jardin du Yuanming yuan (Le jardin de l'Ancien palais d'été ou littéralement le jardin de la clarté parfaite) constitue sans doute l'apogée de deux mille ans d'évolution de l'art des jardins impériaux.
C'est en 1677 que l'empereur Kangxi (1662-1722) décide de restaurer un jardin hérité de la dynastie déchue des Ming, situé à proximité de la capitale. Rebaptisé Printemps glorieux, le parc devient la résidence de plaisance du souverain qui déserte la Cité interdite où règnent une chaleur étouffante en été et un froid glacial en hiver. En 1709, Kangxi offre à son fils, le futur empereur Yongzheng (1723-1735), un jardin attenant au domaine qu'il baptise Yuanming, "Clarté parfaite".
Dès son accession au trône, Yongzheng fait de ce lieu sa résidence principale. Le site est agrandi et remodelé d'après la configuration géophysique de la Chine de manière à constituer un microcosme de l'Empire dont il devient le centre politique. Élevé au Yuanming yuan, son fils, le futur empereur Qianlong (1736-1796), se passionne pour le jardin. Il parachève l'œuvre en faisant construire, par les artistes jésuites à son service, un ensemble de palais européens entourés de fontaines et de jeux d'eau. À son apogée le jardin des jardins s'étendait sur 350 hectares au Nord-Ouest de Pékin et renfermait d'inestimables trésors.
La réalisation de ce jardin au xviiie siècle correspond à l'apogée tant politique qu'économique et culturel de la Chine. Au cours du siècle suivant la corruption ne tarde pas à gangrener le pouvoir et la décadence s'installe parmi les mandarins. La Deuxième guerre de l'opium où s'affrontent la Chine et l'Europe éclate ainsi moins d'un siècle après l'achèvement du Yuanming yuan. Elle y trouvera son dénouement tragique. Le domaine est pillé par le corps expéditionnaire franco-britannique puis livré aux flammes par Lord Elgin en 1860. Aujourd'hui, il ne reste plus qu'un seul jardin restauré après l'incendie, bien modeste témoignage de la magnificence du jardin des jardins.
« Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, émaillez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves, des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument. » Victor Hugo, Lettre au Capitaine Butler.
Le jardin des jardins
On y retrouve la plupart des éléments caractéristiques du jardin chinois.
Le Yuanming yuan constitue avant tout la création d'un univers en miniature. Il peut sembler étrange de choisir un jardin aussi vaste et grandiose que celui du palais d'été pour illustrer le concept primordial de microcosme. Néanmoins si on considère qu'en tant que jardin impérial, le microcosme correspond à l'Empire tout entier, le paradoxe n'est plus qu'apparent.
Le jardin est entièrement artificiel jusqu'au relief et au lac qui le caractérisent. Tout a été créé par la main de l'homme sous la direction d'un bureau réservé à cet effet. On y retrouve les éléments naturels fondamentaux du jardin chinois, l'eau et le relief, qui structurent et divisent l'espace.
La nature est représentée ou plutôt idéalisée. Son agencement est le reflet de la personnalité de son propriétaire, l'empereur qui a, semble-t-il, travaillé personnellement à l'élaboration de ses plans.
Dans le cas du Yuanming yuan, le feng shui a sans doute joué un rôle majeur. Ainsi un rapport non daté évoque un examen minutieux ayant permis de montrer la parfaite concordance entre les éléments intérieurs (montagne et eau) et les figures géomantiques. En particulier la proximité à l'ouest de chaînes montagneuses forme un paravent de montagnes qui permet de préserver le qi, souffle vital du lieu.
À l'intérieur du cadre tracé par la montagne et l'eau, qui structurent le jardin, de multiples paysages ont été dessinés évoquant les plus célèbres sites chinois. Dans le jardin de la Clarté parfaite, rochers et plans d'eau ont été aménagés pour répondre à la configuration de l'Empire en « neufs régions et quatre mers ». Le point culminant représentait le mont Kunlun, géniteur des principales chaînes de montagne en Chine. De là partaient les trois grandes chaînes du jardin. L'eau se divisait en deux branches principales, l'une formait une fourche puis confluait vers un plan d'eau de quatre hectares ; l'autre bifurquait plusieurs fois avant de se déverser dans un immense lac de vingt-sept hectares, symbole de la mer de Chine. Il y est fait également référence à la doctrine confucianiste marquant ainsi le caractère impérial du lieu : le gouvernement de l'État au juste milieu et le respect des ancêtres sont ainsi des valeurs particulièrement mises en valeur. L'aménagement paysager devient ainsi le vecteur de messages politiques.
Le Yuanming yuan bâti sur une plaine parfaitement plane n'avait pas à s'adapter au relief, mais sa localisation démontre le souci d'utiliser l'environnement préexistant respectant ainsi les préceptes de Ji Chenh. Ainsi le secteur de Haidan est extrêmement bien pourvu en eau, élément essentiel s'il en est du jardin chinois.