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Bureau plat, son cartonnier et sa pendule de cartonnier du début de l’époque Louis XVI, Estampille de Philippe-Claude Montigny, vers 1760-1770Estimation: €2,000,000 - €3,000,000 ($2,203,002 - $3,304,503)Prix Réalisé: €2,225,500 ($2,451,391). Photo Christie's Image Ltd 2015

En placage d’ébène, ornementation de bronze ciselé et doré, LE BUREAU PLAT, le dessus rectangulaire gainé de cuir noir, la ceinture ornée d’une frise de postes feuillagés, ouvrant d’un côté par trois larges tiroirs et de l’autre par une large tirette également gainée de cuir noir, les pieds en gaine aux angles évidés surmontés de guirlandes de laurier et terminés par des sabots reposant sur des boules aplaties, estampillé sous la traverse gauche MONTIGNY à deux reprises et trois fois JME, sous la traverse droite une fois MONTIGNY et JMELE CARTONNIER, la partie haute sommée de pommes de pin aux angles, présentant cinq cartons associés sur trois rangs, les côtés évasés appliqués d'un mascaron surmontant un fleuron, la partie basse ornée en ceinture d'une frise de postes feuillagés surmontant des réserves et ouvrant de chaque côté par un tiroir et un vantail, estampillé à deux reprises MONTIGNY et JME ; LA PENDULE, le cadran émaillé signé MARTIN / A PARIS, le mouvement signé Martin AParis, inscrits dans une boîte dite en tête de poupée, surmontée d'une graine feuillagée et flanquée de larges et souples feuilles d'acanthe, la base en plinthe reposant sur des patins ; on y joint DEUX ÉCRITOIRES D'EPOQUE LOUIS XVI, vers 1770, en placage d'ébène et ornementation de bronze ciselé et doré, ornée en ceinture d'une frise d'entrelacs fleuris, chacune présentant un plumier et trois compartiments, la plus petite ouvrant également par un tiroir latéral estampillé dessous MONTIGNY etJME
Bureau plat:
Hauteur: 83 cm. (32 ¾ in.) ; Largeur: 178 cm. (70 in.) ; Profondeur: 89 cm. (35 in.)

Cartonnier et sa pendule:
Hauteur: 181 cm. (71 ¼ in.) ; Largeur: 89 cm. (35 in.) ; Profondeur: 32 cm. (12 ¾ in.)

Grande écritoire:
Hauteur: 9,5 cm. (3 ¾ in.) ; Largeur: 40 cm. (15 ½ in.) ; Profondeur: 26 cm. (10 ¼ in.)

Petite écritoire:
Hauteur: 7 cm. (2 ¾ in.) ; Largeur: 24 cm. (9 ½ in.) ; Profondeur: 12 cm. (4 ¾ in.)
Philippe-Claude Montigny, reçu maître en 1766

ProvenanceTrès probablement, Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté (1727-1794), hôtel des Menus-Plaisirs, rue Bergère, Paris.
Très probablement Martine-Marie-Pol de Béhague (1870-1939), puis par descendance jusqu’au propriétaire actuel.

Bibiographie comparativeP. Kjellberg, Le mobilier français du XVIIIe siècle, dictionnaire des ébénistes et des menuisiers, Paris, 1989, pp. 587-592.
A. Pradère, Les ébénistes français de Louis XIV à la Révolution, Paris, 1989, p. 304.

ExhibitionGrands ébénistes et menuisiers parisiens du XVIIIe siècle 1740-1790, musée des Arts décoratifs, Paris, 1955, n°215 (cartonnier, pl. 49).

AN EARLY LOUIS XVI ORMOLU-MOUNTED EBONY DESK, ITS CARTONNIER STAMPED BY PHILIPPE-CLAUDE MONTIGNY AND ITS CARTONNIER’S CLOCK SIGNED BY MARTIN, CIRCA 1760-1770; TOGETHER WITH TWO LOUIS XVI ORMOLU-MOUNTED EBONY INKSTANDS, ONE STAMPED BY PHILIPPE-CLAUDE MONTIGNY, CIRCA 1770
The rectangular black leather-lined top above a husk-filled Vitruvian scrolls, fitted to one side with three drawers, the square tapering legs headed with laurel swags, stamped MONTIGNY and three times JME; the cartonnier topped with four pine cones above five drawers flanked by slopping sides each centred with a mascaron, the lower section decorated en suite with a cupboard to each side, stamped twice MONTIGNY and JME; the clock with a circular enameled dial within a ribbon-tied guilloche frame, the lyre-shaped case headed with an acanthus final, flanked by scrolling handles, the movement signed Martin AParis; together with two écritoires with an entrelacs, the smaller stamped MONTIGNY and JME

NotesCe remarquable bureau, un des plus importants meubles néoclassiques encore en main privée, est caractéristique du « goût à la grecque » qui fit fureur à Paris au début des années 1760. Charnière des arts décoratifs du XVIIIe siècle, il est associé à deux des collections les plus passionnantes du XVIIIe siècle et de la Belle Epoque, celle de l’Intendant des Menus-Plaisirs de la Maison du Roi Papillon de la Ferté, et celle de la comtesse Martine-Marie-Pol de Béhague. Amateurs exigeants, le choix de cet emblématique bureau pour leurs collections révèle d’autant plus sa qualité.

Un chef-d’œuvre du goût à la grecque
Le retour au goût classique en réaction aux excès du rocaille prend naissance dans les années 1750. 
Alors que certains architectes tels que Blondel ou Contant d’Ivry prônent un modernisme mesuré, d’autres tels que le peintre Louis-Joseph Le Lorrain ou des érudits tels que le comte de Caylus se plaisent à une relecture extrême et épurée de l’art antique. Le comte de Caylus (1692-1765), homme de Lettres passionné d’antiquités, parait comme l’un de ces précurseurs. Le choix fait dans ses collections d’un cénotaphe romain de porphyre datant IIe siècle, pour en faire son tombeau dans l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, est à mettre directement en lien avec ce renouveau et les sources antiques qui ne tardent pas à être réinterprétées. La commande du collectionneur Ange-Laurent Lalive de Jully (1725-1779) est également d’une grande importance. Financier passionné des Arts, introducteur des ambassadeurs de Louis XV à partir de 1756, il passa commande d’un ensemble de meubles précurseurs composé d’un bureau, de son cartonnier, un coquiller, un fauteuil et un encrier (A. Forray-Carlier, Le mobilier du château de Chantilly, Dijon, 2010, n. 10, p. 57). Son portrait par Jean-Baptiste Greuze conservé à la National Gallery of Art de Washington présente deux de ces créations novatrices : le fauteuil à haut dossier et le bureau plat. L’impact du modernisme de ce mobilier, dont le bureau se trouve actuellement conservé au château de Chantilly suite à un achat du duc d’Aumale, fut immense. Certains commentateurs parlèrent de création « à la grecque », expression désignant alors, d’une manière générale, tout ce qui se réclamait de l’antiquité. Le Lorrain s’était vu confier cette réalisation et il peut être considéré comme l’un des chantres de ce style naissant. D’autres, tels que le graveur, historien et collectionneur Pierre-Jean Mariette, firent aussitôt référence au grand style d’André-Charles Boulle, établissant un lien avec les créations louis-quatorziennes. Cette dénomination « à la grecque » eut un très large succès et qualifie cette mode qui déferla sur Paris durant toute la décennie des années 1760. Ainsi, Lalive, lui-même, s’en plaignit dans le Catalogue Historique qu’il publia en 1764, précisant que même les devantures des boutiques se faisaient maintenant dans cette mode. Les gravures humoristiques du peintre Alexandre Petitot dans la Mascarade à la grecque dénoncent parfaitement ces excès (A. Petitot et B. Bossi,Mascarade à la grecque, Parme, 1771).

Notre bureau s’inscrit parfaitement dans la mouvance de ces meubles, réalisés dans le goût de celui de Lalive, pour des collectionneurs soucieux d’afficher leur appartenance au cercle élitiste des « modernes ». Le bureau dessiné par Le Lorrain a été réalisé par l’ébéniste Joseph Baumhauer, d’autres ébénistes s’en inspirèrent fortement, particulièrement Philippe-Claude Montigny, créateur du bureau présenté.  

Philippe-Claude Montigny, un ébéniste audacieux
Figure incontournable de l’ébénisterie parisienne de la fin du règne de Louis XV et du règne de Louis XVI, Philippe-Claude Montigny (1734-1800), est le fils de Louis Montigny, ébéniste privilégié du faubourg Saint-Antoine. Il succède à son père et reprend l’atelier familial, cour de la Juiverie, dans le quartier de la Bastille. Il collabore ensuite avec son cousin René Dubois (1734-1798) dont l’atelier prospère rue de Charenton à la fin des années 1760. Dubois fait également partie de ces ébénistes qui attirent une clientèle prestigieuse au goût influencé par le style néoclassique naissant et le regain d’intérêt pour le mobilier Boulle. Conjointement à cette coopération, Montigny est en contact direct avec des œuvres du Grand Siècle. En effet, avec Etienne Levasseur, il est chargé de la restauration de certains meubles réalisés par André-Charles Boulle et faisant partie des collections de la Couronne (aujourd’hui au musée du Louvre, inv. V2314, V2316, V4834, V4835). Mais Montigny est surtout connu comme un des principaux initiateurs du premier style Louis XVI. A l’instar de notre bureau, il affectionne tout particulièrement les riches placages d’ébène et le contraste que cette essence peut produire avec la dorure des bronzes.

Un corpus restreint
On connaît de cet ébéniste un ensemble de neuf grands bureaux plats présentant un répertoire décoratif proche de celui de Lalive de Jully (F. Quéré, « L’ébéniste Montigny », in L’Estampille L’Objet d’Art, avril 2007, pp. 60-73). Il faut désormais ajouter notre bureau, totalement inédit, provenant de la collection Béhague.

Les grands bureaux de Montigny peuvent être classés par catégories grâce à des caractéristiques spécifiques. 
Un premier groupe, restreint, est composé de deux meubles dont une des particularités principales est d’offrir des pieds circulaires à cannelures. Il s’agit des bureaux de l’ancienne collection Norton, orné d’une frise d’entrelacs (P. Kjellberg,Le mobilier français du XVIIIe siècle, Paris, 1989, p. 589) et de celui ayant fait successivement partie des importantes collections de Sir Richard Wallace, puis Lurcy (vente New York, 8 novembre 1959, lot 214) et enfin Stavros Niarchos. Ce dernier exemplaire est le seul connu à présenter une frise de rinceaux feuillagés.
Le deuxième groupe, dans lequel figure désormais notre bureau, est celui qui fait le plus référence au bureau de Lalive, dont il reprend la frise de postes. Par cet élément décoratif caractéristique des années 1755-1765, le bureau ici présenté doit être placé parmi les plus anciennes et novatrices réalisations de Montigny datant du début de son accession à la maîtrise en 1766. Ce groupe comprend également un bureau passé en vente à Paris (vente Tajan, Paris, 17 juin 1997, lot 197), et un bureau en bois de placage et non plus en placage d’ébène des anciennes collections Joseph Bardac (vente Galerie Georges Petit, Paris, le 9 décembre 1927, lot 112) et George Blumenthal (vente galerie Georges Petit, Paris, 2 décembre 1932, lot 173).
Un troisième groupe se détache grâce à un décor de frise d’entrelacs et de rosaces en bronze doré. Ce type de bureau est décrit lors de la dispersion de la collection du baron de Saint-Julien en 1784 : « 203. Un bureau, genre de Boulle, à dessus de maroquin noir, bordé d’une moulure carrée en bronze, décorée d’une frise à entrelacs faisant le pourtour, enrichi de huit rosaces à chaque angle, avec chute de guirlandes de laurier ornant les quatre pieds à filets de cuivre, et garni de sabots en bronze doré. Hauteur 30 pouces, longueur 6 pouces (il faut lire probablement 6 pieds), largeur 30 pouces ». On trouve ainsi dans ce troisième corpus un bureau provenant de l’ancienne collection Demachy (vente Ader, Picard, Tajan, Hôtel George V, Paris, 17 juin 1980, lot 187), celui des collections de la duchesse de Mouchy, née Marie de la Rochefoucauld (vente Sotheby’s, Monaco, 18 juin 1999, lot 120, rapproché par François Quéré du bureau à entrelacs décrit dans la vente Saint-Julien mais différant de celui-ci par sa longueur). Rajoutons à ce groupe un bureau plat en ébène, sans frise de bronze doré, orné simplement de rosaces et de guirlandes (vente Sotheby’s, Monaco, 17 juin 1988, lot 741). Enfin, un ensemble, particulièrement intéressant pour la compréhension de l’œuvre de Montigny, encore en partie conservé dans les collections du duc de Bedford à Woburn Abbey, doit être particulièrement étudié.

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Le bureau comparable de Montigny conservé à Woburn Abbey.

Le bureau Bedford
De tous les bureaux référencés, un seul est aussi important que le nôtre, il s’agit de celui des ducs de Bedford.
Les ducs de Bedford sont présents dès 1547 à Woburn Abbey, à quelques kilomètres au nord de Londres. Un château est aménagé à partir des années 1620, puis les travaux d’Henry Flitcroft en 1747 ouvrent Woburn au palladianisme triomphant. La résidence conserve des trésors d’arts décoratifs français tels que le service en porcelaine de Sèvres offert par Louis XV au 4e duc de Bedford après les négociations du traité de Paris, ou encore un bureau de Jean-Henri Riesener provenant du palais des Tuileries. Parmi ces œuvres figure également le bureau de Montigny accompagné de son cartonnier. Cet ensemble est exceptionnel puisqu’il est l’unique témoignage d’une suite complète, contemporaine à la réalisation de notre bureau, comprenant un bureau plat, son cartonnier à pendule et son écritoire. Malheureusement, alors que le bureau est toujours conservé in situ, la pendule du cartonnier a été vendue il y a plus de dix ans (vente Christie’s, Londres, 9 juin 1994, lot 109). Notre modèle est ainsi, aujourd’hui, le plus complet existant. 
La très précise frise à motifs de rosaces insérées dans des rinceaux doit être mise en parallèle avec celle de notre bureau. En effet, bien qu’elle soit d’une qualité exceptionnelle, l’apparition de notre bureau sur le marché de l’art révèle l’usage du motif très peu fréquent des postes. Chères à Le Lorrain et à Joseph Bauhaumer qui l’utilisèrent pour le bureau de Lalive de Jully, cet ornement est, avec la frise de grecques, le tore de laurier et la pomme de pin, l’empreinte du « goût à la grecque ». Notre bureau présente d’ailleurs quatre intéressantes pommes de pin sur la partie supérieure de son cartonnier, à mettre directement en relation avec celles du bureau de Lalive.
Les bronzes dorés présents sur le bureau sont d’une inhabituelle précision. Les masques émergeant de larges feuilles d’acanthe sur les angles incurvés de la partie supérieure du cartonnier sont à rapprocher directement des productions d’André-Charles Boulle. En effet, Boulle, de par l’attribution d’un logement au Louvre, pouvait fondre lui-même ses bronzes et passer au-delà du système corporatif. Un atelier de fonderie s’ajoutait ainsi à celui d’ébénisterie et il put atteindre, sous le règne de Louis XIV, un niveau de perfection inégalé. Le répertoire décoratif utilisé par Montigny est donc inspiré par ses productions et il est évident que Montigny, lorsqu’il décide de renouer avec le XVIIe siècle, entend se positionner dans sa droite ligne et s’attirer les faveurs d’une clientèle similaire composée de princes du Sang, de hauts représentants de l’Administration ou de grands financiers comme la clientèle de Boulle qui comprenait des membres de la famille royale tels que le Dauphin, les princes de Condé, ou encore des personnalités telles que le président de Machault d’Arnouville, Pierre Crozat, Augustin Blondel de Gagny, Maximilien Radix de Saint-Foy, Grimod de la Reynière ou le marquis de Marigny. 
Comme nous l’avons mentionné précédemment, ces bureaux se destinaient donc, de toute évidence, à une riche clientèle composée de collectionneurs et d’amateurs qui appréciaient tout particulièrement le nouveau goût dérivant de l’œuvre du Lorrain et du bureau de Lalive. Néanmoins, de nos jours, trop peu de bureaux peuvent se revendiquer de provenances illustres. Le but désiré par Montigny est cependant atteint puisqu’un important membre de l’Administration royale fait l’acquisition de son bureau, il s’agit de Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté.

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Profil de Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté (1727-1794) par Henri-Victor Roguier (1758-1841), château de Versailles © RMN

Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté, Intendant des Menus-Plaisirs de la Maison du Roi
La personnalité passionnante de Denis-Pierre-Jean Papillon de la Ferté doit être étudiée. Né à Châlons-sur-Marne en 1727, il étudie en province et profite d’une éducation soignée grâce à la position de son père, Pierre Papillon, président trésorier de la Généralité de Champagne et lieutenant du Roi à Châlons. Il vient à Paris afin d’exercer chez un avocat. Alors que son père souhaitait lui acheter une charge de Maître des Requêtes, un riche mariage lui permet d’acquérir des intérêts dans les fermes qu’il revend en 1755 suite à la réforme de Jean Moreau de Séchelles, contrôleur général des Finances. L’année suivante, il achète pour la somme considérable de 261.000 livres la charge d’Intendant Contrôleur général de l’Argenterie, des Menus-Plaisirs et Affaires de la Chambre du Roi. Protégé par Louis Phélypeaux, comte de Saint-Florentin, il acquiert une solide réputation puis achète une seconde charge suite à la démission d’un de ses collègues. La publication de son étonnant Journal permet de cerner ses relations et le degré élevé de sa position (E. Boysse, Journal de Papillon de la Ferté (…) 1756-1780, Paris, 1887).
Papillon de la Ferté est membre de plusieurs sociétés dont celle des Antiquaires de Cassel, ou de la Maison philanthropique fondée par le marquis Charles-Pierre-Paul Savalette de Langes. Cette dernière loge maçonnique réunissant des membres hauts placés de l’administration est fréquentée par Papillon, ainsi que celle de Saint-Jean d’Ecosse du Contrat Social.
La très importante place qu’il détient au sein de l’Administration, bien que contrôlée par les quatre Gentilshommes de la Chambre du Roi, ainsi que ses divers engagements et les ouvrages qu’il publia, permettent de comprendre l’intérêt qu’il put avoir à commander des meubles d’une qualité exceptionnelle. Le bureau plat à gradin en acajou chenillé, essence extrêmement rare en ébénisterie, passé en vente il y a quelques années est un des rares témoins de ces commandes (vente Ferri, Drouot, 12 juin 2009, lot 233). Arrêté et emprisonné durant la Révolution, il est guillotiné le 7 juillet 1794, comme plusieurs membres de son entourage parmi lesquels il faut compter son frère, Nicolas-Jacques Papillon d’Anteroche de Sannois, ancien Fermier général.
Son inventaire après décès est dressé le 18 décembre 1795 dans la Maison dite des Menus-Plaisir rue Bergère à Paris (27 frimaire an 4, Archives nationales, Minutier central). Bien que travaillant dans une institution royale, Papillon avait en effet des biens propres. On retrouve ainsi dans sa bibliothèque :

« Un grand bureau à trois tiroirs en bois d’ébène à bordures de cuivre, garni en boutons et guirlandes de cuivre doré, avec son serre papier assorti, une pendule de Martin à Paris, le tout prisé quatre cens soixante dix livres cy 470 (livres) »

Il s’agit donc de notre bureau. La pendule présente sur notre cartonnier est à la fois signée sur le cadran émaillé et sur le mouvement, alors que la pendule du bureau Bedford n’est signée que sur son mouvement. Il est fort peu probable qu’un inventaire du XVIIIe siècle mentionne la seule marque présente dans le mécanisme et on peut admettre que notre bureau ainsi que son cartonnier et sa pendule sont ceux décrit dans cet inventaire. Notons que le cartonnier a été présenté parmi les chefs-d’œuvre de l’ébénisterie française au musée des Arts décoratifs à l’exposition Grands ébénistes et menuisiers parisiens du XVIIIe siècle 1740-1790, de décembre 1955 à février 1956, évènement considéré comme un jalon dans la redécouverte du mobilier du XVIIIe siècle.

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Portrait de Martine-Marie-Pol de Béhague, P.-A. Dagnan-Bouveret, vers 1900, huile sur toile, collection privée © DR

LA COLLECTION BEHAGUE
Comme nous avons pu le voir, l’histoire des grands bureaux plats de Montigny est souvent liée à de grandes collections : Demachy, Niarchos, de Mouchy, Blumenthal et, pour notre bureau, Papillon de la Ferté. Il ornait au début du XXe siècle l’hôtel parisien de la célèbre comtesse de Béhague.
Martine-Marie-Pol de Béhague (1870-1939) fut une collectionneuse éclectique et une amatrice éclairée. Ce bureau, qu’elle reçut peut-être de son père, un des plus grands bibliophiles de son époque, reflète la qualité de ses collections qui comprenait quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre de l’ébénisterie parisienne du XVIIIe siècle. Collectionneuse dès ses vingt ans et ce jusqu’à sa mort en 1939, la comtesse de Béhague comptait parmi les rares femmes de son époque à avoir constitué de prestigieuses collections d’objet d’art ; citons également Nélie Jacquemart (1841-1912), Marie-Thérèse de la Béraudière (1872-1958) et Béatrice Ephrussi (1860-1934). 
Ses collections se partageaient entre son hôtel du 123 rue Saint-Dominique construit par l’architecte Walter-André Destailleur en 1893 et actuelle ambassade de Roumanie, son château de Fleury-en-Bière et sa villa de la presqu’île de Gien. Là n’était pas la pompe méthodique des Rothschild, mais plutôt une sorte d’agitation d’objets, de meubles, de tapis, de sculptures, de tableaux, qu’elle changeait constamment de place. Se côtoyaient les bronzes et objets antiques, les tapis de la Savonnerie, les meubles de grands ébénistes, mais aussi quelques grands noms de Ia peinture impressionniste dont Renoir, Cézanne et Degas. La multiplicité de ses goûts et l'éclectisme de ses collections, étaient le reflet de son exceptionnelle curiosité et d'une très grande soif de culture.

Témoin unique du renouveau stylistique à la fin du règne de Louis XV, ce bureau est le plus complet référencé des créations à la grecque de l’important ébéniste Philippe-Claude Montigny. Ses provenances remarquables ajoutent à ce meuble exceptionnel un poids considérable, véritable marqueur du goût pour les arts décoratifs français.

CHRISTIE'S. THE EXCEPTIONAL SALE, 4 Novembre 2015, Paris