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Alain.R.Truong
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5 novembre 2015

"La Mode retrouvée : Les robes trésor de la comtesse Greffulhe" au Palais Galliera

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La Mode retrouvée : Affiche

PARIS - Pour la première fois, le Palais Galliera expose la garde-robe d’exception de la comtesse Greffulhe, née Élisabeth de Caraman-Chimay (1860-1952). Cousine de Robert de Montesquiou, passée à la postérité sous la plume de Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu, la comtesse prête ses traits à la duchesse de Guermantes : « Aucun élément n’entre en elle qu’on ait pu voir chez aucune autre ni même nulle part ailleurs, écrit-il à Montesquiou. Mais tout le mystère de sa beauté est dans l’éclat, dans l’énigme surtout de ses yeux. Je n’ai jamais vu une femme aussi belle. »

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 Photographie de Otto, la comtesse Greffulhe dans une robe de bal, vers 1887. © Otto / Galliera / Roger-Viollet

 La divine comtesse vécut la fin du Second Empire, deux Républiques, deux guerres mondiales, connut la Belle Époque, les Années folles, et régna sur le gotha durant un demi-siècle. Son influence se déploie après son mariage avec le très fortuné comte Henry Greffulhe. La plus belle femme de Paris – tant d’allure que d’esprit – tient salon dans son hôtel particulier de la rue d’Astorg, reçoit au château de Bois-Boudran ou dans sa villa de Dieppe. Avant l’heure, elle invente le fundraising : elle fonde la Société des grandes auditions musicales et va transformer les bonnes œuvres en relations publiques ; pragmatique, elle lève des fonds, fait de la production de spectacles, de la promotion – Tristan et Isolde, Le Crépuscule des dieux de Wagner, les Ballets russes de Diaghilev, Isadora Duncan... Parmi tant d’autres de ses combats, la comtesse soutient le capitaine Dreyfus, Léon Blum, le Front populaire, la République ; se passionne pour les sciences – Marie Curie et l’Institut du radium, Édouard Branly et ses recherches...

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© Aurore de La Morinerie

Élégance faite femme, exubérante dans ses toilettes, la comtesse Greffulhe met en scène ses apparitions, sait se faire rare, fugitive et incomparablement fascinante dans ses envolées de tulle, de gaze, de mousseline et de plumes, ses vestes kimono, ses manteaux de velours, ses motifs orientaux, ses tonalités d’or, d’argent, de rose et de vert... Elle choisit ses tenues pour souligner sa taille fine et mettre en valeur sa silhouette élancée. 

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Paul-César Helleu, Portrait de la comtesse Greffulhe, 1891. Pastel sec sur papier. Collection particulière.

Le Palais Galliera présente une cinquantaine de modèles griffés Worth, Fortuny, Babani, Lanvin... manteaux, tenues d’intérieur, robes de jour et du soir, accompagnés d’accessoires, de portraits, de photographies et de films... Autant d’invitations à la mode retrouvée, à la rencontre de cette grande dame du Tout-Paris dont l’image est inséparable de ses atours. 

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Maison Soinard, robe de jour, vers 1887. Satin de soie vieux rose, applications de velours de soie marron © Julien Vidal/Galliera/Roger-Viollet

La comtesse Greffulhe s’est montrée fidèle à certains couturiers. Cette élégante robe de jour, mêlant des couleurs éteintes qu’elle affectionnait – en particulier le vieux rose – témoigne de son goût pour la maison Soinard. Cet établissement, oublié de nos jours, avait été le fournisseur principal de son trousseau dont une facture, datée de novembre 1878, est conservée dans le fonds Greffulhe aux Archives nationales.

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Worth, cape du soir dite « Cape russe », vers 1896. Velours de soie bordeaux brodé à motifs de rosaces, dentelle mécanique, filés métalliques, galon tissé sur un métier à plaquettes en fils de soie multicolore, lamé doré à armure taffetas, tulle de coton © Patrick Pierrain/Galliera/Roger-Viollet

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Détail. Photo Alain R. Truong

Lors de sa visite en France en 1896, le tsar Nicolas II avait offert à la comtesse Greffulhe un riche manteau d’apparat, dit « khalat », provenant de Boukhara (actuel Ouzbékistan). La comtesse fit transformer ce fastueux présent diplomatique par son couturier, Jean-Philippe Worth, pour en faire une cape du soir. Elle la portera, hiératique et magnifique, dans un portrait photographique par Otto qui la fait ressembler à une madone. Huit ans plus tard, ayant fait modifier la pièce pour suivre la mode, elle fit sensation « avec son grand manteau russe, d’étoffe d’or, rapporté du Turkestan » peut-on lire dans le Figaro du 15 avril 1904, lors d’une soirée de gala organisée au théâtre Sarah-Bernhardt au bénéfice des blessés russes.

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Otto (Otto Wegener, dit), vers 1896, Portrait de la comtesse Greffulhe dans la cape du soir offerte par le tsar lors de sa venue à Paris et adaptée par Worth. Tirage au charbon collé sur carton. Photo Alain R. Truong

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Worth, robe d’intérieur ou tea-gown, vers 1897. Velours ciselé bleu foncé sur fond de satin vert, dentelle de Valenciennes © Stéphane Piera/Galliera/Roger-Viollet

Tout à la fois robe de réception et tenue privée, cette robe d’intérieur a été portée par la comtesse pour recevoir ses amis intimes, en fin d’après-midi – d’où le nom anglais de « tea-gown », ou robe pour prendre le thé, que l’on donne à ce type de pièce. La comtesse choisissait volontiers un vert intense pour ses tenues mettant en valeur l’auburn de sa chevelure. Spectaculaire par ses immenses motifs, cette robe est caractéristique des créations de Jean-Philippe Worth, qui avait succédé en 1895 à son père, Charles Frederick, l’inventeur de la haute couture. Le fils affectionnait les tissus historicisants dont ce velours ciselé imitant les velours de Gênes de la Renaissance est un exemple somptueux.

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© Aurore de La Morinerie

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Maison Worth, robe byzantine portée par la Comtesse Greffulhe pour le mariage de sa fille, 1904, Taffetas lamé, soie et filé or, tulle de soie, application de paillettes. © L. Degrâces et Ph. Joffre / Galliera / Roger-Viollet

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Détail. Photo Alain R. Truong

Vêtue de cette robe singulière, la comtesse Greffulhe attira tous les regards lors du mariage de sa fille Elaine, le 14 novembre 1904. La presse rendit compte avec précision de sa tenue : « […] fascinante jusqu’à l’éblouissement, dans une sensationnelle toilette d’impératrice byzantine : robe de brocart d’argent couverte d’artistiques broderies à reflets nacrés rehaussés d’or et de perles fines, ourlée d’une bande de zibeline. Splendide collier de chien et sautoir en perles fines. Immense chapeau en tulle argent bordé de zibeline, avec, de chaque côté, de volumineux Paradis, entre lesquels se dressait droit et fier, un énorme diamant brillant comme une grosse larme de joie irisée de soleil […] » (La Femme d’aujourd’hui, décembre 1904)

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Beauchez, robe du soir à transformation et à deux corsages, vers 1900. Velours de soie bleu nuit et marron, dentelle mécanique, mousseline de soie et tulle écrus, broderies de perles et paillettes © Julien Vidal/Galliera/Roger-Viollet

« Elle arrivait avec l’élégante vivacité, en même temps que la délicate majesté d’une gazelle, qui aurait rencontré une pièce de velours noir et qui la traînerait après soi, avec une grâce infinie ». – Robert de Montesquiou, La Divine comtesse.
À la fin du xixe siècle et jusqu’en 1914, les robes de cérémonie, de bal ou de soirée de la comtesse sont trempées dans le noir tragique. Les pièces d’archives du trousseau de 1878 mentionnent déjà des vêtements à la tonalité sombre. Le noir, couleur du deuil, dont l’usage est codifié dans les manuels de savoir-vivre du XIXe siècle. Dans les années 1920 et 1930, les modèles multiplient ce noir envahissant à une période où la comtesse est âgée de plus de soixante ans. Noir de ses prestigieuses robes du soir sculptant son irréprochable silhouette. Jusqu’à cet article paru dans la presse en 1943 rendant un bel hommage à son inaltérable élégance : « La comtesse Greffulhe gainée de satin noir, rallume les fastes de la duchesse de Guermantes […] elle est
aussi flexible et fuselée que l’écriture de celui qui la prit pour modèle.» Carrefour, 23 juillet 1943.

La comtesse Greffulhe conserve pour le jour et pour le soir le goût des modèles toujours singuliers. En témoignent cette robe du soir de Jeanne Lanvin aux manches ouvragées telle une vannerie de taffetas, comme cet ensemble du soir bicolore noir et ivoire de Nina Ricci. Un manteau de Jeanne Lanvin entièrement pavé d’un motif de briques de satin noir fait du vêtement de haute couture un manifeste surréaliste…
Les soeurs Callot, Redfern, Philippe et Gaston, Jenny, Louiseboulanger, Maggy Rouff, Caroline Reboux griffent d’autres éléments de la garde-robe de la comtesse, cliente exigeante et directive à une époque où règne l’industrie d’excellence de la haute couture.

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Vitaldi Babani, manteau, vers 1920 & Attribué à Vitaldi Babani, manteau du soir, vers 1912. Velours de soie vert imprimé or, bouton en verrePhoto Alain R. Truong

Ce manteau attribué à Vitaldi Babani est fortement imprégné du style de Mariano Fortuny. C’est par l’impression et non par le tissage que ce dernier restitue l’éclat et la somptuosité des textiles anciens façonnés dont il conserve une importante collection.
La symétrie de la composition, les motifs végétaux et floraux sont influencés par la Renaissance. Le vert du velours de soie est ici rehaussé par le rouge de la doublure tandis qu’un bouton en verre de Murano introduit une discrète touche de fantaisie.

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Manteaux et robe de Babani. Photo Alain R. Truong

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A gauche, Attribué à Vitaldi Babani, robe de jour, vers 1925. Satin de soie noir, broderies de fils de soie ivoire et verts et de fils métalliques or, applications de fils métalliques or. Photo Philippe Truong

Les motifs végétaux soulignés de frises géométriques, inspirés de la céramique crétoise de Camarès, reprennent en broderie les motifs peints d’une robe d’intérieur de Vitaldi Babani datée vers 1912. Ils témoignent de la constante prédilection de la comtesse Greffulhe pour ce type de décor.

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Babani, manteau du soir, vers 1920. Soie brochée argent et noir, velours de soie vert © R. Briant et P. Ladet / Galliera / Roger-Viollet

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Photo Alain R. Truong

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Ensemble du soir (non griffé), vers 1925. Boléro : lamé or et vert, dentelle métallique dorée. Robe : dentelle métallique or et argent, tulle de soie beige brodé de filés métalliques or © Julien Vidal/Galliera/Roger-Viollet

La découverte de la tombe de Toutankhamon en 1922 vient relancer l’engouement pour l’Egypte ancienne. La géométrie et l’aspect graphique des hiéroglyphes détachés ici sur la dentelle métallique, s’inscrivent dans le vocabulaire Art déco.

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Manteau du soir (non griffé), vers 1925. Lamé argent entièrement brodé de perles, tubes et paillettes bleus et or © R.Briant et L.Degrâces / Galliera / Roger-Viollet

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Photos Alain R. Truong

La mode des années 20 voit triompher l’ethnographie et l’exotisme influençant aussi bien la création vestimentaire, les décors et les textiles, que la dénomination des modèles. L’inspiration chinoise est omniprésente. Les motifs traditionnels, végétaux, nuages et pagodes, parfois très stylisés, déploient leurs broderies jusqu’à faire d’un vêtement un paysage.

 

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Callot soeurs, Cape, vers 1926-1927. Maille de laine et soie grège, cordelières en fils de soie blancPhoto Alain R. Truong

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Jenny, robe de grand soir, vers 1924-1925. Satin de soie ivoire, mousseline de soie couleur chair, broderies de strass et de tubes argentésPhoto Alain R. Truong

 

 

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Nina Ricci, ensemble du soir, vers 1937. Robe : crêpe ivoire et noir, plumes d’autruche Boléro : crêpe noir, plumes d’autruche © Julien Vidal/Galliera/Roger-Viollet

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Photos Alain R. Truong

C’est avec Paul Nadar, fils de Félix Nadar, que la comtesse s’initie à la photographie dès 1883, développant une pratique amateur, répandue dans les milieux aristocratiques de la fin du XIXe  siècle, au même titre que la musique ou le dessin. Outre l’amitié qui la lie à Paul, le choix de l’atelier Nadar pour faire réaliser la plupart de ses portraits, est élitiste; une référence à la clientèle artiste et bohème des années 1850 de Nadar père. La comtesse Greffulhe vient y poser régulièrement entre 1883 et 1901. Elle confie également son image à un photographe nouvellement installé à Paris, Otto Wegener, d’origine suédoise, qui ouvre son atelier place de la Madeleine en 1883 et attire une clientèle élégante issue de la haute société. La photographie accompagne sa transformation en jeune femme charismatique, et, en studio, immortalise ses passages fugitifs dans les soirées mondaines. Dans le contrôle de son apparence, elle met en valeur son port de tête, sa silhouette, sa taille extrêmement fine. Elle réserve la diffusion de ses portraits à quelques proches et les suspend au mur de ses différentes demeures pour mieux célébrer le culte d’elle-même. Car plus que la peinture, la photographie cristallise son pouvoir de séduction et son narcissisme. N’écrit-elle pas : «Miroir […] que mon regard soit tel qu’un rideau, que j’abaisserai sur ta glace, afin d’y enfermer à jamais les plus chers trésors de mon être, ainsi, devenue immortelle! »

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Paul Nadar, 1883, Portrait de la comtesse Greffulhe dans la robe de son arrière grand-mère, Madame Tallien. Tirages argentique d'époque, environ 25 x 19 cm sur feuille 28 x 21 cm. Epreuve signée par P. Nadar en marge et portant le timbre humide du photographe aux dos © Chayette & Cheval.

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Paul Nadar, 1886, Portrait de la comtesse Greffulhe et sa fille, Élaine. Papier albuminéPhoto Alain R. Truong

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Paul Nadar, vers 1887, Portrait de la comtesse Greffulhe en robe du soir. Papier albuminé collé sur carton. Photo Alain R. Truong

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Photo Alain R. Truong

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Worth, robe de garden-party, 1894. Mousseline crêpée de soie rose, taffetas de soie imprimé à motifs de fleurs d’orchidées © Julien Vidal/Galliera/Roger-Viollet

Par sa couleur rose-mauve et son aspect vaporeux, cette robe est caractéristique du goût de la comtesse Greffulhe. Elle l’a portée le 30 mai 1894 lors d’une fête en plein air organisée par son oncle Robert de Montesquiou dans sa demeure versaillaise.
Le Tout-Paris mondain et littéraire s’y était pressé pour écouter Sarah Bernhardt, Julia Bartet et Suzanne Reichenberg réciter des poèmes de Chénier, Verlaine, Hérédia et, bien entendu, de Montesquiou. Quant à Marcel Proust, fasciné, il avait obtenu une invitation et a décrit la fête dans un article publié sous le pseudonyme de « Tout-Paris » dans Le Gaulois : « Mme la comtesse Greffulhe, délicieusement habillée : la robe est de soie lilas rosé, semée d’orchidées, et recouverte de mousseline de soie de même nuance, le chapeau fleuri d’orchidées et tout entouré de gaze lilas. »

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 Maison Worth, robe du soir dite « Robe aux lys », vers 1896, Velours noir, applications de soie ivoire en forme de lys rebrodées de perles et de paillettes métalliques. © L. Degrâces et Ph. Joffre / Galliera / Roger-Viollet

Réalisée par son couturier attitré Worth, cette robe est avant tout une « création» de la comtesse Greffulhe. Elle présente une coupe « princesse », sans couture à la taille, inhabituelle pour l’époque, mettant en valeur la minceur de celle qui la portait. La berthe, sorte de col, qui pouvait se replier en ailes de chauve-souris constitue une allusion à l’animal tutélaire de son oncle Robert de Montesquiou, tandis que le motif de fleurs de lys fait référence au poème que ce dernier avait composé en l’honneur de la comtesse.

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Photographie de Paul Nadar, la comtesse Greffulhe portant la « Robe aux lys » créée par Worth, 1896. © Nadar / Galliera / Roger-Viollet

Comme il le fit pour bon nombre des personnes qu’il admirait, Marcel Proust a longtemps cherché à obtenir la photographie de la comtesse Greffulhe. À la veille de sa mort, il renouvelle une dernière fois sa quête : « Je suis trop malade pour vous écrire plus longuement mais je me permets de vous rappeler ma demande d’une photographie (fût-ce du portrait de Laszlo). Pour me la refuser jadis, vous aviez allégué une bien mauvaise raison, à savoir que la photographie immobilise et arrête la beauté de la femme. Mais n’est-il pas précisément beau d’immobiliser, c’est à dire d’éterniser un moment radieux. C’est l’effigie d’une éternelle jeunesse; j’ajoute qu’une photographie vue jadis chez Robert de Montesquiou me paraît plus belle que celle du portrait de Laszlo

Dans l’image tant convoitée, la comtesse Greffulhe est vêtue d’une exceptionnelle robe du soir de Worth en velours noir et applications en forme de lys. Le lys est devenu l’emblème d’Élisabeth depuis le poème à elle dédié par Robert de Montesquiou : «Comme un beau lys d’argent aux yeux de pistils noirs. Ainsi vous fleurissez profonde et liliale […]».

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© Aurore de La Morinerie 

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