Paul Klee, L'ironie à l'œuvre au Centre Pompidou du 6 avril au 1er août 2016
Paul Klee, L'ironie à l'œuvre : Affiche.
PARIS - Le Centre Pompidou propose une nouvelle traversée de l’œuvre de l’un des artistes les plus emblématiques du 20è siècle, figure singulière de la modernité : Paul Klee. Il s’agit de la première rétrospective importante présentée en France depuis l’exposition de 1969 au musée national d’art moderne.
Réunissant deux-cent trente œuvres, provenant du Zentrum Paul Klee, Berne, des plus grandes collections internationales et de collections particulières, cette rétrospective pose un nouveau regard sur l’œuvre de Klee. Elle met en évidence la façon dont Klee pratique l’ironie selon une démarche qui trouve son origine dans le premier romantisme allemand. Il s’agit d’un balancement constant entre satire et affirmation d’un absolu, fini et infini, réel et idéal. A cet égard, Paul Klee s’inscrit dans la pratique de l’ironie inspirée par le philosophe Friedrich Schlegel : « Tout en elle doit être plaisanterie, et tout doit être sérieux, tout offert à coeur ouvert, et profondément dissimulé »
L’exposition se déploie en sept sections thématiques qui mettent en lumière chaque étape de l’évolution artistique de Paul Klee : « Les débuts satiriques » (les premières années) ; « Klee et le cubisme » ; « Théâtre mécanique » (à l’unisson avec Dada et le Surréalisme) ; « Klee et les constructivismes »; « Regards en arrière » (les années 1930) ; « Klee et Picasso » (la réception par Klee après la rétrospective de Picasso à Zurich en 1932) ; « Années de crise » (entre la politique nazie, la guerre et la maladie).
Cette exposition est dédiée à Pierre Boulez.
Hugo Erfurth, Portrait de Paul Klee, 1922, Photographie, 28,5 x 22, 2 cm Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, MNAM-CCI / Legs de Mme Nina Kandinsky en 1981. Georges Meguerditchian/Centre Pompidou, MNAM-CCI/Dist. RMN-GP © Adagp, Paris 2016
« Nul n’a besoin d’ironiser à mes dépens, je m’en charge moi-même. » Paul Klee (janvier 1906)
Cette exposition se propose de relire pour la première fois l’ensemble de l’œuvre de Paul Klee à l’aune des correspondances que celui-ci affiche avec les concepts romantiques de l’ironie, caractérisés comme une « bouffonnerie transcendantale ». Se représentant tour à tour comme moine ou comme comédien, Klee affine tout au long de sa vie une stratégie jouant sur les antagonismes, procédé fondamental dans la définition de l’ironie romantique. Il oscille entre affirmation et négation, intégrant dans sa création une réflexion sur les moyens et les principes propres à l’art. Selon lui, celui-ci devrait être « un jeu avec la loi » ou « une faille dans le système »
Cette exposition dévoile comment, au fil des différentes périodes de sa carrière, Klee parvient à dénoncer avec ironie les dogmes et les normes établis par ses contemporains, de ses débuts satiriques à son exil à Berne, en passant par ses années au Bauhaus. Pour le compositeur Pierre Boulez, l’insoumission de Klee, sa façon de poser simultanément « le principe et la transgression du principe », serait ainsi la plus importante des leçons de l’artiste.
Les débuts satiriques
À l’issue de ses études à Munich, Klee passe l’hiver 1901-1902 en Italie. Devant la grandeur de la culture antique et sa renaissance, le jeune artiste prend conscience de sa situation historique, celle d’un imitateur contraint à perpétuer un idéalisme classique jugé dépassé. Son issue sera la satire, un mode d’expression moderne susceptible d’affirmer, d’une part, des valeurs idéales élevées et, de l’autre, un point de vue critique sur l’état du monde. « Je sers la beauté en dessinant ses ennemis (caricature, satire) », écrit-il dans son journal.
À partir de ce renversement dialectique au cœur de l’ironie romantique, Klee commence une production essentiellement graphique où il livre ses réflexions, souvent mordantes, sur la relation entre les sexes, son rapport à la société ou sa position en tant qu’artiste. C’est aussi une époque d’expérimentations techniques. Klee réalise des peintures sous verre et s’intéresse aux formes plastiques. Cette période culmine dans les illustrations de Candide ou l’Optimisme de Voltaire, écrivain vénéré par Klee.
Paul Klee, Verkommenes Paar Couple mauvais genre, 1905, Peinture sous verre, 18 x 13 cm. Zentrum Paul Klee, Berne.
Paul Klee, Der Held mit dem Flügel, Le Héros à l’aile, 1905, Gravure à l’eau forte, 25,7 x 16 cm. Zentrum Paul Klee, Berne.
Klee et le cubisme
Klee découvre le cubisme dès la fin de l’année 1911, à Munich et, un an plus tard, pendant un séjour Paris. Dès lors, les inventions formelles du cubisme vont nourrir sa recherche picturale, souvent de façon dialectique. C’est ainsi que Klee, tout en s’inspirant du vocabulaire prismatique, dans ses dessins au style enfantin, ironise à propos de la décomposition des figures cubistes qu’il estime dépourvues de vitalité. Dans la série des peintures à l’aquarelle réalisées lors de son mythique voyage à Tunis (1914), l’artiste introduit des effets de distanciation, par exemple en laissant en réserve des bandes verticales correspondant à l’empreinte des élastiques utilisés pour peindre sur le motif. Cette mise à distance est également perceptible dans sa démarche, très singulière, consistant à découper ses compositions, une fois réalisées, en deux ou en plusieurs parties qui deviennent ensuite des œuvres autonomes ou sont recombinées sur un nouveau support. Klee affirme là une volonté créatrice dont les racines se trouvent paradoxalement dans l’acte destructeur.
Théâtre mécanique
À l’issue de la Grande Guerre, une imagerie de figures mécanisées apparaît dans l’œuvre de Klee. Inspiré par ses expériences dans les services d’aviation, Klee transforme les oiseaux en avions, souvent en formation d’assaut. Il commence à employer la technique indirecte du décalque à l’huile, qui entraîne une dépersonnalisation des traits de dessin. L’esthétique de la machine est alors à la mode dans les cercles dadaïstes, de Francis Picabia à Raoul Hausmann. Le contact avec les dadaïstes de Zurich ravive notoirement l’intérêt de Klee pour les représentations de machines et d’appareillages, ainsi que pour les effets produits par leurs mécanismes. Enseignant au Bauhaus, Klee commence à créer des êtres hybrides, à la fois humains et objets. Il s’empare du motif de l’automate ou de la marionnette pour mieux dénoncer, par le truchement de la schématisation mécanique, la perte de vitalité et le rétrécissement de la vie intérieure à l’heure de la rationalisation industrielle. « Quand la machine enfantera-t-elle ? » ironise-t-il ainsi.
Paul Klee, Kamelskopf, Tête de chameau, 1915, Statuette en plâtre, 13.5 x 8 x 8.5 cm. Zentrum Paul Klee, Berne.
Paul Klee, Vorführung des Wunders, Présentation du miracle, 1916, Gouache, stylo et encre sur tissu apprêté, monté sur carton, 29,2 × 23,6 cm, The Museum of Modern Art, New York. © 2016. Digital Image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence.
Paul Klee, Angelus novus, 1920, Décalque à l’huile et aquarelle sur papier sur carton, 31,8 x 24,2 cm, The Israel Museum, Jérusalem. Œuvre présentée les deux premiers mois de l’exposition.
Klee et les constructivismes
La nouvelle devise proclamée en 1923 par Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus (« Art et technique – une nouvelle unité ») amorce un tournant pour l’école. Klee n’y reste pas insensible. Adoptant la posture du funambule, il commence un exercice de corde raide, cherchant un équilibre entre son approche intuitive et les nouveaux dogmes contemporains. Ainsi reprend-il certains éléments des idiomes modernistes tels que la grille, tout en déjouant sa rigidité. Ses tableaux structurés par des carrés évoquent tour à tour des rythmes musicaux, des peintures de vitraux, des tapisseries, des parterres multicolores ou encore des champs vus d’en haut. L’installation du Bauhaus dans la ville moderne de Dessau, en 1925, renforce l’orientation de l’école vers une technicité optique, dont le nouvel enseignant, László Moholy-Nagy, est le fervent défenseur. Klee réagit à sa manière : l’esthétique rationnelle prend la fonction d’un repoussoir qui lui permet de mieux affirmer sa position antagoniste. Selon Klee, « les lois ne doivent être que les bases sur lesquelles il y a la possibilité de s’épanouir. »
Paul Klee, Landschaft bei E. (in Bayern), Paysage près de E. (en Bavière), 1921, Huile et plume sur papier sur carton, 49,8 x 35,2 cm. Zentrum Paul Klee, Berne.
Paul Klee, (Jugendlicher) Schauspieler=Maske, [Masque de (jeune)=comédien], 1924, Huile sur toile sur carton cloué sur bois, 36,7 x 33,8 cm, The Museum of Modern Art, New York The Sidney and Harriet Janis Collection. © 2016. Digital Image, The Museum of Modern Art, New York/Scala, Florence.
Regards en arrière
Dès ses dernières années au Bauhaus, les renvois aux différents temps du passé se multiplient dans l’œuvre de Klee. Inspiré par ses voyages et les nombreuses publications qu’il lit sur le sujet, Klee introduit des éléments picturaux évoquant des mosaïques anciennes, la civilisation égyptienne, ou encore les figures et signes gravés sur les parois des grottes du paléolithique. La dimension préhistorique, en tant que telle, constitue une structure récurrente dans son imaginaire : fossiles, cavernes, montagnes en formation, plantes et animaux originels, pierres sacrées, inscriptions indéchiffrables sur des rochers, etc., y font tous allusion à des degrés divers. Le mode d’appropriation choisi par Klee est le simulacre. En reproduisant les effets qu’exerce le temps à la fois sur l’objet (usure, moisissure, érosion) et son contenu, les œuvres de Klee revêtent un caractère en quelque sorte parodique. Si Klee puise dans le répertoire des « signes » de cultures « primitives » ou non occidentales, il ne fait que mimer les principes de leur organisation initiale.
Paul Klee, La Belle jardinière, 1939, Huile et tempera sur toile de jute, 95 x 71 cm. Zentrum Paul Klee, Berne.
PARIS - The Centre Pompidou is proposing a journey through the work of a singular figure in modernity and one of the 20th century’s most iconic artists: Paul Klee. This is the first major retrospective in France since the 1969 exhibition at the Musée National d’Art Moderne.
Featuring two hundred and thirty works loaned by the Zentrum Paul Klee in Bern and various major international and private collections, this retrospective casts a fresh look on Klee’s work. It sheds light on the way he used irony through an approach originating in the early German Romanticism, consisting in a constant shift between a satire and the affirmation of an absolute, finite and infinite, real and ideal. In this respect, Klee’s use of irony is inspired by the philosopher Friedrich Schlegel: «Everything in it must be a joke, and everything must be serious: everything must be offered up with an open heart, and profoundly concealed.» This new approach also explores Klee’s relationship with his peers and the artistic movements of his time.
The exhibition is divided into seven thematic sections highlighting each stage in Klee’s artistic development: «Satirical beginnings» (the early years); «Klee and Cubism»; «Mechanical theatre» (in line with Dada and Surrealism); «Klee and Constructivisms» (the Bauhaus years in Dessau); «Looking back» (the 1930’s); «Klee and Picasso» (Klee’s reaction after the Picasso retrospective in Zurich in 1932); and «The crisis years» (marked by Nazi policies, war and illness).
This exhibition is dedicated to Pierre Boulez.