Lot 116. Rarissime paire de fauteuils à dossier plat, Travail allemand, du XVIIIème siècle. Estimation 60 000 € / 80 000 €. Photo Aguttes.
très finement sculpté et doré, sur toutes ses faces, à décor, à l’amortissement d’une coquille dans des encadrements latéraux à larges volutes à feuilles d’acanthe sur des fonds de grattoirs. Les épaulements feuillagés. Attaches d’accotoir à feuilles d’acanthe et rosace. Les supports à chutes festonnées, soulignées de feuillages. Bras cambrés à ombilics et chicorée, à enroulement à la partie inférieure. Les ceintures chantournées, ajourées, sur trois faces, présentant des coquilles sur des fonds de lambrequins. Les têtes de pied à masque de satyre ailé. Les traverses et l’arrière des dossiers, reparés de croisillons à pois et festons, soulignés de filets et de feuillages. Garniture en velours ciselé Bordeaux. H: 105 - L: 71 - P: 57 cm
Provenance : Ancienne collection Fischer-Böhler
Note: Suite à la Guerre de trente ans (1618-1648) et au traité de Westphalie (1648), le Saint-Empire germanique fut fractionné en de multiples états ou principautés. A l’époque, l’on comptabilisait près de 311 états représentés à la Diète générale et plus de 1200 seigneurs non représentés, chacun désireux d’affirmer son autorité politique et de posséder sa cour, ses palais et ses propres artistes. C’est dans ce contexte d’effervescence que virent le jour certains grands foyers artistiques représentatifs du goût du prince dirigeant, notamment à Berlin, Dresde, Ansbach, Augsbourg et Munich. Cette dernière ville, située en Bavière, était la riche capitale d’un état ou « électorat » dirigé par un prince-électeur. Depuis 1679, c’était Max-Emmanuel (1662-1726), plus connu sous le nom de Maximilien II, qui dirigeait la principauté. Ce prince était entièrement acquis à l’art français, mais les nombreuses et coûteuses guerres auxquelles il prit part, puis son exil à Paris imposé par l’Empire, l’empêchèrent dans un premiiier temps de mener à bien son dessein : recréer dans ses résidences le luxe et le faste français. Au cours de son séjour parisien, entre 1705 et 1715, il s’imprégna de l’art français le plus avant-gardiste du temps et s’appliqua à le décliner aussitôt revenu à Munich en 1715. Il fit tout d’abord l’acquisition de nombreuses œuvres d’art à Paris, notamment des meubles et de l’orfèvrerie, puis les fit reproduire ou imiter par des artistes et des artisans munichois sélectionnés pour leur savoir-faire. Il fit également venir quelques artistes français, mais ayant certainement la volonté de s’affranchir des contraintes parisiennes et désirant fonder un véritable centre artistique autonome, l’Electeur envoya ses artistes les plus brillants se former à Paris, notamment le sculpteur sur bois Johann-Adam Pichler et l’architecte Joseph Effner, les deux grands protagonistes de la création de la paire de fauteuils que nous présentons dont la composition et le décor sont l’illustration la plus parfaite de l’influence plus ou moins directe de la menuiserie en sièges parisienne sur la menuiserie en sièges munichoise dans le premier tiers du XVIIIe siècle. Ainsi l’on peut relever que les proportions générales de la paire de fauteuils proposée sont similaires à celles des modèles parisiens de la même période, notons également le même type de dossier plat dit « à la reine », le même type de pied violoné, la même disposition des accotoirs, des consoles d’accotoirs et des pieds. Toutefois, sur ce bâti « à la parisienne » s’exprime le génie créateur des ateliers munichois perceptible par certains motifs et détails stylistiques ou artistiques. Tout d’abord, le pied console avec une courbure très prononcée bien caractéristique de la Bavière, tel que l’on peut la voir sur certaines gravures de sièges réalisées par l’ornemaniste Franz-Xaver Habermann publiées à Augsbourg vers le milieu du XVIIIe siècle. Ensuite, la présence de rocailles godronnées plissées et replissées, particulièrement visibles sur les consoles d’accotoirs, que l’on retrouve uniquement sur les sièges munichois de l’époque (voir plusieurs exemplaires conservés à la Résidence de Munich). Notons également l’ajourage des motifs sculptés, aussi bien celle de la coquille centrale de la devanture (similaire à celle d’un tabouret conservé à la Résidence de Munich ; Inv. Reiche Zimmer), que celle de la jonction traverse latérale et console d’accotoirs ; relevons également la découpe originale de la traverse haute du dossier qui, par ressauts successifs, s’abaisse à partir de la coquille centrale jusqu’aux épaulements que l’on retrouve sur un siège munichois conservé au château de Nymphenburg (illustré dans H. Kreisel, Die Kunst des deutschen Möbels, spätbarock und rokoko, 1970, n°363). Enfin, signalons les têtes de satyres à grandes oreilles et plumet disposés au haut des pieds antérieurs qui semble avoir été l’un des motifs préférés des ateliers munichois du temps et qui font office de nos jours de véritable signature. A l’appui de ses constatations il ne semble faire aucun doute que les fauteuils proposés sortirent du Französischen Hofkistlerei (« Atelier de meubles français de la Cour ») créé par Max-Emmanuel afin de meubler les différentes résidences de son l’électorat. Cet atelier était une véritable manufacture qui comprenait pas moins de 80 ébénistes et menuisiers spécialisés dans la reproduction et l’interprétation des modèles parisiens et dont la direction avait été confiée au sculpteur Johann-Adam Pichler sous l’autorité de l’architecte Joseph Effner qui était le créateur des modèles et qui imprégna les arts décoratifs munichois de son goût artistique attaché à l’esprit Régence français. C’est cet esprit caractéristique de la manière d’Effner qui apparaît sur nos sièges et qui permet de les rattacher à la production princière munichoise des années 1715-1730. Il est probable qu’ils étaient destinés à l’une des nombreuses résidences que Max-Emmanuel possédait à Munich et en Bavière, notamment les châteaux et les pavillons de Schleissheim, de Nymphenburg et la Résidence de Munich. S’il n’a pas été répertorié dans les grandes collections privées ou publiques allemandes de sièges de modèles exactement identiques aux nôtres, nous pouvons néanmoins faire de nombreux rapprochements avec des modèles, notamment de consoles, connus pour avoir été fabriqués dans les ateliers princiers munichois. Ainsi le Getty Museum possède une console (Inv. 88.DA.88) dessinée par Joseph Effner vers 1730 et probablement sculptée par Pichler, réputée provenir de l’abbaye d’Ettal, l’une des résidences de l’Electeur ; elle appartient à une suite de quatre consoles en bois doré, dont deux appartiennent au Museum of Fine Arts de Boston et une au Museum für Kunsthandwerk de Francfort. La Résidence de Munich possède une table console, également dessinée par Effner vers 1730, dont la composition est proche de celle du Getty et qui présente des motifs sculptés, une courbure des pieds et des têtes de satyres, similaires à ceux de nos sièges. Ces mêmes têtes de satyres si caractéristiques figurent également sur deux tables consoles, l’une à huit pieds, l’autre à six, conservées au château de Schleissheim et toutes deux réalisées d’après des projets de Joseph Effner (voir H. Kreisel, op.cit., 1970, n°356) ; ainsi que sur un tabouret exécuté à Munich vers 1730 et conservé dans les collections de la Résidence de Munich (reproduit dans H. Schmitz, Deutsche Möbel, Barok und Rokoko, 1923, p.131). Joseph Effner (1687-1745) était le fils du jardinier du château de Dachau. Il démontra très tôt un talent hors du commun et fut envoyé à Paris par Max-Emmanuel de 1706 à 1715 pour étudier l’architecture française avec Boffrand. Il conservera de son séjour parisien de fortes relations avec quelques grands noms du style Régence : Bérain, Marot et Oppenordt. A son retour à Munich, il dirigea l’ensemble des travaux des palais de l’Electeur, notamment Dachau (1715-1717) et Nymphenburg (1725), et de ses pavillons de Pagodenburg, de Badenburg et de Magdalenenklause; ainsi que les aménagements de la Résidence de Munich détruits lors de l’incendie de 1729. A partir de 1726-1730, Effner fut progressivement supplanté par François de Cuvilliès qui devint le nouvel architecte de la Cour.
D’Origine tyrolienne, Johann-Adam Pichner fut l’un des plus importants artisans munichois du premier quart du XVIIIe siècle. A l’instar d’Effner, il fut envoyé à Paris pour parfaire sa formation entre 1709 et 1715 et y étudia la sculpture sur bois. De retour à Munich, il dirigea l’atelier princier. En rapport constant avec Effner, son équipe et lui-même réalisèrent la quasi-totalité des intérieurs reconstruits par l’architecte, des boiseries jusqu’aux sièges et meubles de menuiserie.
Nous remercions Monsieur Bill G.B. Pallot de nous avoir permis d’utiliser la recherche qu’il avait réalisée en 1990 sur cette paire de sièges.
AGUTTES, Tableaux Anciens, Mobilier et Objets d'Art (Neuilly), le 12 Avril 2016 à 14h30