La galerie Jeanne Bucher Jaeger honore cet automne "Les Russes à Paris, 1925-1955"
Nicolas de Staël, Eau de Vie, 1948.Huile sur toile CR 140, 101 x 81.3 cm. Photo Georges Poncet © Jeanne Bucher Jaeger
PARIS.- En écho à l’exposition dédiée à l’avant-garde russe à Vitebsk au Centre Pompidou et à l’occasion du Parcours des Mondes de la rentrée estivale, la galerie Jeanne Bucher Jaeger honore cet automne les artistes russes qu’elle a présentés en ses murs durant la période 1925-1955. 1925, année de création de la galerie Jeanne Bucher, 1955, disparition de Nicolas de Staël.
Cette exposition s’inscrit, dans le même quartier et au même moment, en dialogue avec l’exposition consacrée aux monochromes de Serge Charchoune par les galeries Le Minotaure et Alain Le Gaillard.
PARIS.- This Fall, in conjunction with the exhibition dedicated to the Russian avant-garde in Vitebsk at the Centre Pompidou, and on the occasion of the September 2018 Parcours des Mondes, the Jeanne Bucher Jaeger Gallery honors the Russian artists that it showed on its walls between 1925 and 1955. 1925 was the year that the gallery Jeanne Bucher was created, and 1955 was the year of Nicolas de Staël’s death.
This exhibition is in dialogue, in the same neighborhood and at the same moment, with the exhibition dedicated to Serge Charchoune by the Le Minotaure and Alain Le Gaillard galleries.
La plupart de ces artistes ont quitté leurs pays après la Révolution de 1917, transitant par l’Allemagne ou la Belgique, avant de s’installer en France à Paris, ville rêvée pour nombreux peintres russes de l’époque qui y voient le pays de la liberté et de la douceur de vivre. Car Paris fut bien cette « capitale des arts », creuset des avant-gardes qui se succédèrent depuis le Réalisme de Courbet jusqu’à la Figuration Narrative des années 70. Des avant-gardes dont elle accueille les créateurs venus de partout, des artistes étrangers venus étudier, œuvrer, exposer alors que l’art qu’ils créaient s’internationalisait et devenait universel et que ces artistes étaient regroupés sous le nom d’Ecole de Paris, un mouvement gommant à la fois les frontières et les références nationales. Il n’y a pas d’étranger en art écrivait Brancusi en 1922, indiquant ainsi qu’il est impossible de distinguer dans cette école ce que les artistes étrangers peuvent emprunter aux français ou ce que les français leur empruntent. Une esthétique commune – rejetant l’académisme avec une tendance abstraite – était née chez ces artistes de toutes origines qui ne parlaient pas la même langue.
L’exposition parisienne de 1937 intitulée Origines et développement de l’art international indépendant au Musée du Jeu de Paume, présentant Kandinsky et Klee, jouera un rôle considérable pour les artistes russes comme Staël, Poliakoff et Lanskoy, dans un climat d’avant-guerre souvent hostile à l’abstraction.
The majority of these artists left their country after the Revolution of 1917, going through Germany or Belgium, before settling in Paris, a city dreamed of by numerous Russian painters of the time who saw in it a place of liberty and ease of living. For Paris was indeed the “Capital of the Arts,” the nexus of avant-gardes that followed upon each other from the Realism of Courbet through to the Narrative Figuration of the 1970s. These avant-garde creators, which Paris welcomed, came from all over the world to study, create, and display their work. The art that they created became international and universal, so much so that they were grouped together under the name “School of Paris,” a movement that erased borders and national references. “There are no foreigners in art,” wrote Brancusi in 1922, underlining the fact that it was impossible to distinguish, in that school, that which the foreign artists borrowed from the French and that which the French borrowed from the foreigners. A common aesthetic— rejecting academicism, with an abstract tendency— was born from artists of all nationalities, many of whom did not even speak the same language.
The 1937 Paris exhibition entitled Origines et développement de l’art international indépendant at the Musée du Jeu de Paume, presenting Kandinsky and Klee, had a huge impact on Russian artists such as de Staël, Poliakoff and Lanskoy, in a pre-war climate often hostile to abstraction.
Présenté à Jeanne Bucher par Christian Zervos en 1932, Kandinsky, est exposé à quatre reprises à la galerie, entre 1936 et 1944. Sa dernière exposition, coïncidant avec la première de Staël, se déroule quelques mois avant sa disparition. Louant son intégrité et son œil sans faille, l’artiste russe décrivait Jeanne Bucher comme « Une mouette parmi les corbeaux noirs ». L’œuvre Communauté de 1942, cadeau de l’artiste à la galerie, occupe une place importante dans l’histoire de l’art et de la galerie ; elle a souvent été présentée au sein d’expositions internationales majeures consacrées à l’artiste.
Introduced to Jeanne Bucher by Christian Zervos in 1932, Kandinsky had four exhibitions at the gallery between 1936 and 1944. His last exhibition, which coincided with de Stael’s first exhibition, took place a few months before Jeanne Bucher’s death. Praising her integrity and her infallible eye, the Russian artist described Bucher as “a seagull among black crows.” The 1942 work Communauté, a gift from the artist to the gallery, occupies an important place in the history of both art and the gallery; it has often been presented in major international exhibitions dedicated to the artist.
Au cours du printemps 1939, Jeanne Bucher fait la connaissance d’un jeune peintre russe âgé de 25 ans, Nicolas de Staël. Elle lui apporte alors son soutien pour se loger et lui achète ses premiers dessins en 1943. C’est en février 1944 que Jeanne Bucher expose l’artiste pour la première fois, aux côtés de Domela et Kandinsky. La première exposition personnelle de Nicolas de Staël à la galerie se déroulera un an plus tard, en avril 1945. Jeanne Bucher dira alors: Nos vieux peintres sont merveilleux, vous le savez : je place très haut van Dongen, Klee, Kandinsky, Pevsner, Marcoussis et Lurçat (qui ne s’occupe plus que de tapisserie et après avoir été dans la Résistance, continue sa belle politique dans le Lot). Parmi les jeunes (car je ne parle pas de M. Ernst, Dalí, Miró, Tanguy et Masson que vous connaissez et qui forment une classe à part), il y a surtout Lapicque, Estève et Bazaine. J’aime le plus Lanskoy et Nicolas de Staël qui sont les plus abstraits, qui ne suivent ni Matisse ni Bonnard, ni même Picasso. Sept autres expositions monographiques seront par la suite consacrées à l’artiste, dont un vibrant hommage à l’occasion des 30 années de sa disparition, lors de la FIAC 1985.
During the course of the Spring of 1939, Jeanne Bucher made the acquaintance of a young Russian painter of 25 years of age, Nicolas de Staël. She helped him with his housing and bought his first drawings in 1943. It was in February 1944 that Jeanne Bucher exhibited the artist for the first time, aside Domela and Kandinsky. De Staël’s first solo exhibition at the gallery took place a year later, in April 1945. Jeanne Bucher said at the time: “Our old painters are marvelous, as you know: I have a very high opinion of van Dongen, Klee, Kandinsky, Pevsner, Marcoussis and Lurçat (who does only tapestries now, and since he has been in the Resistance, continues his beautiful political activity in the Lot). Among the young, since I do not speak of M. Ernst, Dalí, Miró, Tanguy and Masson, whom you know and who are in a class by themselves, there are above all Lapicque, Estève and Bazaine. My favorites are Lanskoy and Nicolas de Staël, who are the most abstract and follow neither Matisse nor Bonnard, nor even Picasso.” Since that time, seven other solo exhibitions would be dedicated to de Staël, for whom there was a vibrant tribute on the 30th anniversary of his death during the 1985 FIAC.
Nicolas de Staël, Composition, 1945. Huile sur toile, 16 x 22 cm. Photo Jean-Louis Losi © Jeanne Bucher Jaeger
L’unique exposition monographique d’André Lanskoy à la galerie, en mai 1944, se déroule sous l’Occupation et la censure, l’abstraction étant alors considérée comme un « art dégénéré ». Les toiles et gouaches qui y sont présentées rendent visible la décomposition des scènes d’intérieur par la couleur et les formes opérées par l’artiste. Cette exposition marquera la rencontre de Lanskoy avec son compatriote Nicolas de Staël.
The only solo exhibition of André Lanskoy at the gallery in May 1944 took place under the Occupation and censorship, abstraction being considered to be “degenerate art” at the time. The canvases and the watercolors that were presented there rendered visible the decompositions of interior scenes that the artist undertook through colors and forms. This exhibition would also mark the first encounter between Lanskoy and his compatriot de Staël.
L’exposition qui suit celle d’André Lanskoy à la galerie réunit, en juin 1944, Dora Maar, alors ex-compagne de Picasso, et la jeune artiste géorgienne Vera Pagava. Arrivée à Paris en 1923, l’artiste se lie, dès ses débuts à l’académie Ranson, d’une amitié indéfectible avec Vieira da Silva. En 2016, une rétrospective remarquée, dont le commissariat fut confié à Matthieu Poirier, lui est consacrée par la galerie, en collaboration avec les galeries Le Minotaure et Alain le Gaillard. Alors que William Turner transcrivait la lumière aveuglante du soleil et que Robert Delaunay ou Giacomo Balla traduisaient le rayonnement d’un éclairage électrique par des couleurs vives et des rayons acérés, Vera Pagava privilégie quant à elle un rayonnement indirect ou sous-jacent, comme filtré par plusieurs couches de peinture à l’huile. Le langage de Pagava est celui d’une palpitation chromatique subtile, d’un sublime à la fois atmosphérique et intime (…) Matthieu Poirier
The exhibition that followed that of André Lanskoy at the gallery reunited, in June of 1944, Dora Maar, the ex-companion of Picasso, and the young Georgian artist Vera Pagava. Having arrived in Paris in 1923, Pagava became, from the very start of her studies as the Académie Ranson, an unswerving friend of Vieira Da Silva.
In 2016, a notable retrospective, for which Matthieu Poirer was engaged as curator, was dedicated to her by the gallery, in collaboration with the Le Minotaure et Alain Le Gaillard galeries. Just as William Turner transcribed the dazzling light of the Sun, and as Robert Delaunay and Giacomo Balla translated rays of electric lighting through bright colors and sharp lines, Vera Pagava favored indirect or implicit rays, as if filtered by several layers of oil paint. Pagava’s language is that of a subtle chromatic palpitation, of a sublimity at once atmospheric and intimate… Matthieu Poirer
Représentant de la seconde École de Paris, Serge Poliakoff, installé à Paris dès 1923, n’a jamais eu d’exposition personnelle à la galerie. Il fut cependant un visiteur régulier du Boulevard du Montparnasse dans les années 1950. Quelques chefs-d’œuvres présentés à cette période révèlent une étonnante luminosité caractérisée par l’utilisation de pigments purs et par la superposition de couleurs.
Representing the second school of Paris, Serge Poliakoff, who moved to Paris in 1923, never had a solo exhibition at the gallery. He was however a regular visitor at Boulevard du Montparnasse in the 1950s. Several masterworks exhibited at that time reveal an astonishing luminosity characterized by the use of pure pigments and by the superposition of colors.
Serge Poliakoff, Composition, 1955. Huile sur toile, 100 x 81 cm. Photo Jean-Louis Losi © Jeanne Bucher Jaeger
L’unique présentation de Serge Charchoune à la galerie a lieu en 1926, rue du Cherche-Midi: Serge Charchoune, un peintre inconnu du cubisme ornemental. Marqué par l’art mozarabe et l’anthroposophie de Rudolf Steiner, le peintre rencontre Jeanne Bucher par l’intermédiaire d’André Salmon et de Waldemar George.
The only exhibition of Serge Charchoune’s work at the gallery took place in 1926, at the rue du Cherche-Midi gallery: “Serge Charchoune, an unknown painter of ornamental cubism.” Influenced by Mozarabic art and the anthroposophy of Rudolf Steiner, the painter met Jeanne Bucher through the efforts of André Salmon and Waldemar George.
L’ukrainien Youla Chapoval, proche du grand collectionneur Henri Dutilleul et de Jean Cocteau, eut une carrière fulgurante à Paris, au début de la Seconde Guerre mondiale jusqu’à sa disparition en 1951, à l’âge de 32 ans. Deux expositions, rencontrant un vif succès, lui sont consacrées par la galerie en 1947 et 1949. Georges Pompidou y acquiert sa première œuvre, Paule Auriol, belle- fille du Président Auriol, y vient accompagnée de Robert Rey qui fait l’acquisition d’une œuvre pour le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Dina Vierny, Gildas Fardel, Jean Leymarie, le jeune Pierre Boulez, Charles Estienne et Madeleine Rousseau sont également présents, curieux de la découverte du jeune prodige, dont la carrière prendra fin prématurément.
The Ukranian artist Youla Chapoval, an intimate of the great collector Henri Dutilleul and Jean Cocteau, had a lightning-swift career in Paris, from the beginning of the Second World War until his death in 1951, at the age of 32. Two exhibitions, both of which were very successful, were dedicated to his work at the gallery, in 1947 and 1949. It was there that Georges Pompidou himself acquired his first artwork; Paule Auriol, daughter-in-law of President Auriol, came accompanied by Robert Rey, who acquired a work for the Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris; and Dina Vierny, Gildas Fardel, Jean Leymarie, the young Pierre Boulez, Charles Estienne and Madeleine Rousseau were also present, eager to discover this young prodigy whose career would be cut so prematurely short.
Les artistes exposés ont, pour la plupart, été présentés au sein des expositions de la galerie, qui, dès son origine, fut ouverte aux talents artistiques les plus avant-gardistes de son époque.
The artists exhibited have, for the most part, been presented in exhibitions mounted at the gallery, which from its inception has been open to the most avant-garde artistic talents of its time.