Le Musée Pouchkine à la Fondation Custodia.
PARIS - Cette première grande rétrospective des œuvres graphiques du musée Pouchkine en France couvre les écoles européennes et russes, du XVe au XXesiècle. À travers une sélection de plus de 200 œuvres, le public pourra saisir la richesse de cette remarquable collection moscovite. Dürer, Véronèse, Rubens, Fragonard, Tiepolo, Friedrich, Kandinsky, Picasso, Matisse, Modigliani, Chagall ou encore Malevitch sont mis à l’honneur aux côtés de grands noms de l’impressionnisme et du postimpressionnisme : Renoir, Degas, Toulouse-Lautrec et Van Gogh.
Le Musée Pouchkine fut inauguré au début du XXe siècle. Ses collections furent fondées par le professeur Ivan Tsvetaev dès 1912, puis enrichies tout au long du siècle. Sa collection d’art graphique, qui comporte aujourd’hui plus de 350 000 gravures et 27 000 dessins, fut également construite grâce aux donations de collectionneurs privés russes, aux acquisitions et aux transferts d’œuvres, notamment depuis le Musée Roumiantsev, l’Ermitage, le Musée Russe et le Musée national d’Art moderne occidental.
RENAISSANCES ALLEMANDE ET ITALIENNE
Les visiteurs seront plongés dans ce panorama de l’histoire du dessin avec les feuilles allemandes de l’extrême fin du Moyen-Âge et de la Renaissance, dont les Putti danseurs et musiciens d’Albrecht Dürer.
Artiste anonyme du Haut-Rhin, Tête de Sibylle, fin du XVe siècle. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou
Albrecht Dürer (Nuremberg 1471 – 1528 Nuremberg), Putti danseurs et musiciens, avec un trophée antique, 1495. Plume et encre noire, 271 × 314 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Ces œuvres allemandes seront entourées de dessins des maîtres italiens de la Renaissance et du maniérisme. Illustrant un thème de la culture humaniste, Vittore Carpaccio décrit un érudit dans son cabinet de travail (1502-1507), tandis que les profils délicats et la douceur du modelé des Études de têtes (1525-1527) de Parmigianino révèlent le talent du dessinateur parmesan.
Vittore Carpaccio, Philosophe dans son étude occupé aux mesures géométriques, 1502-1507. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Francesco Mazzola, Études de têtes, 1525-1527. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Giuseppe Cesari, Étude pour les collecteurs d’impôts, 1591-1593. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Parmi les dessins du Cavalier d’Arpin présentés à la Fondation Custodia, deux furent réalisés pour un cycle décoratif sur la vie de saint Matthieu à la chapelle Contarelli de l’église Saint-Louis-des-Français à Rome. Ils sont les rares témoignages de la pensée de l’artiste en vue de toiles qui finalement ne furent jamais peintes.
POUSSIN, REMBRANDT ET RUBENS, LE XVIIE SIÈCLE.
Parmi les dessins français du XVIIe siècle sont présentées trois feuilles de Nicolas Poussin, grand représentant de l’art classique, dont l’étude magistrale pour Zénobie trouvée sur les bords de l’Araxe (vers 1640).
Nicolas Poussin, Zénobie trouvée sur les bords de l’Araxe, vers 1640. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Mais la section consacrée au XVIIe siècle de cette exposition est largement dominée par les dessins hollandais du Siècle d’or, parmi lesquels des paysages de Jan van Goyen, Allaert van Everdingen, Nicolaes Berchem, ainsi que des études de figures.
Les dessins de Rembrandt étaient souvent des notations faites sur le vif, lors de ses promenades. L’Étude d’une femme tenant un enfant dans les bras (vers 1650) du Musée Pouchkine est un bel exemple de ces rapides croquis à la plume, dans lesquels il préserve la pureté d’une impression.
Rembrandt Harmensz van Rijn (Leyde 1606 – 1669 Amsterdam), Étude d’une femme tenant un enfant dans les bras, vers 1650. Plume et encre brune, rehauts de blanc, 110 × 67 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Plusieurs dessins de Rubens ont fait le voyage de Moscou à Paris, et plus particulièrement le Centaure vaincu par l’Amour (1605-1608). Cette grande feuille est une étude faite d’après un marbre du IIe siècle avant J.-C., aujourd’hui au Louvre. Comme dans les œuvres de Rubens, la statue antique, dépourvue de toute raideur, semble animée de vie.
Peter Paul Rubens, Centaure vaincu par l’Amour, 1605-1608. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
LE SIÈCLE DES LUMIÈRES
Représentatif du goût galant de ce temps, un dessin d’Antoine Watteau introduit l’art français du XVIIIe siècle. Il trouve une réponse dans la pose gracieuse et relâchée de la Jeune femme endormie de François Boucher (vers 1758-1760), une académie à la facture soignée et achevée qui en fait une œuvre autonome.
François Boucher, Jeune femme endormie, vers 1758-1760. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Dans le vaste corpus graphique de Fragonard, L’Attaque du Musée Pouchkine est l’un des dessins les plus prodigieux. Le cadrage resserré et le mouvement fougueux du pinceau dans la pose du lavis confèrent à cet affrontement une intensité et une grande force plastique. Le même sentiment de monumentalité se dégage de l’Étude pour la figure d’Hersilie, un dessin de Jacques-Louis David préparatoire au personnage central du célèbre tableau des Sabines conservé au Louvre.
Jean-Honoré Fragonard, L’Attaque, fin des années 1770 © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Jacques-Louis David (Paris 1748 – 1825 Bruxelles), Étude pour la figure d’Hersilie, 1796. Pierre noire, estompe, craie blanche sur papier beige, 488 × 395 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Giovanni Battista Tiepolo, La Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste enfant, vers 1760. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
LE XIXE SIÈCLE
Caspar David Friedrich, sans doute la figure la plus importante du romantisme allemand, ouvre le XIXe siècle. Cet artiste fut très tôt apprécié et collectionné en Russie. Le dessin de Deux hommes au bord de la mer appartient aux œuvres tardives de l’artiste. Le caractère contemplatif de cette feuille est typique de l’art romantique.
Caspar David Friedrich (Greifswald 1774 – 1840 Dresde), Deux hommes au bord de la mer, 1830-1835. Pierre noire, plume et encre brune, lavis brun (sépia), 234 × 351 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Après Ingres, Corot et Delacroix, la découverte des dessins du Musée Pouchkine se poursuit avec les œuvres de Renoir, Toulouse-Lautrec, Degas, mais aussi avec Gustave Moreau et Odilon Redon.
Johann Adam Klein (Nuremberg 1792 – 1875 Munich), Le Peintre Johann Christoph Erhard dans son atelier, 1818, Aquarelle sur un tracé au graphite, 241 × 301 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Karl Brioullov, Vallée d’Ithôme avant l’orage, Chemin de Sinano après l’orage, 1835. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Seul dessin de Van Gogh conservé dans les collections publiques russes, le Portrait d’une jeune femme est lié à La Mousmé, toile peinte en juillet 1888 et conservée à Washington. Reproduisant le tableau, dont les couleurs sont décrites en marge, le dessin était sans doute joint à une lettre adressée à son ami Émile Bernard.
Vincent van Gogh, Portrait d’une jeune femme (La Mousmé), 1888. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Edgar Degas, Après le bain, vers 1890. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
MATISSE, PICASSO, KANDINSKY, LES AVANT-GARDES EUROPÉENNES ET RUSSES
La seconde partie de l’exposition est consacrée aux mouvements des avant-gardes européennes et russes qui s’exprimèrent dans la première moitié du XXe siècle, depuis Matisse et Picasso, jusqu’à Delaunay, passant par Signac, Juan Gris, Fernand Léger (représenté par sept dessins), mais aussi Franz Marc, Paul Klee, Giorgio De Chirico ou Modigliani.
Paul Signac (Paris 1863 – 1935 Paris), La Turballe, 1930, Aquarelle sur un tracé au crayon noir, 287 × 441 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
Le Musée Pouchkine conserve un fonds important de dessins de Matisse. La plupart de ces œuvres furent données par Lydia Delectorskaya, secrétaire, amie et collaboratrice de Matisse. Son Portrait est l’un des chefs-d’œuvre de l’exposition. Effaçant et travaillant sans cesse son motif, Matisse s’éloigne peu à peu de l’aspect descriptif initial pour atteindre un dessin aux lignes solides et pures.
Henri Matisse (Le Cateau-Cambrésis 1869 – 1954 Nice), Portrait de Lydia Delectorskaya, 1945. Fusain et estompe, 527 × 405 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou © Succession H. Matisse
Si le dessin de La Danse nous paraît si familier, c’est qu’il est lié au célèbre tableau homonyme de Matisse conservé au MoMA de New York. Découvrant cette œuvre en février 1909 à Paris, le fameux collectionneur russe Sergueï Chtchoukine souhaita obtenir un panneau similaire pour orner son hôtel particulier à Moscou.
Un cabinet est consacré dans l’exposition aux six feuilles de Picasso provenant de la collection moscovite. Parmi elles, l’étude préparatoire pour la Composition à la tête de mort (1908) est caractéristique de l’esthétique cubiste, dont Picasso fut le grand interprète : avec ses couleurs soutenues, le rythme des objets décomposés et insérés dans un espace abstrait.
Pablo Picasso (Malaga 1881 – 1973 Mougins), Étude pour la Composition à la tête de mort, 1908. Gouache et aquarelle sur un tracé au graphite, 323 × 249 mm. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou © Succession Picasso 2019
Comme une exposition dans l’exposition, les dessins russes évoquent les principales évolutions de cette école, depuis les membres des groupes artistiques du tournant du siècle (Mir Iskousstva, Goloubaïa, Union des peintres russes), jusqu’à l’art soviétique, dont les sujets nouveaux et les formules plastiques originales traduisent une réalité profondément modifiée. Si certains d’entre eux eurent une grande renommée en Occident dès leur vivant – Chagall, Kandinsky, Tatline ou Malevitch –, d’autres constituent une véritable découverte pour le public, comme Deïneka.
Kasimir Malevitch, Enfants dans un pré, 1908. © Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, Moscou.
La Composition E de Vassily Kandinsky illustre parfaitement les recherches de l’artiste au début des années 1910. Fasciné par l’art synthétique, il explora l’interaction entre la peinture et la musique, faisant le parallèle entre la couleur et le son, la ligne et le rythme. Cette aquarelle devient ainsi une véritable symphonie chromatique.
En 1964, l’historien de l’art et collectionneur à l’origine de la Fondation Custodia Frits Lugt (1884-1970) voyagea en Russie et visita le Cabinet des Arts graphiques du Musée Pouchkine. Celui-ci était selon lui la dernière grande collection de dessins qui lui restait à découvrir dans le monde. Le public français peut désormais lui aussi découvrir les chefs-d’œuvre de ce musée.
du 2 février au 12 mai 2019