Sotheby's. Collection Marceau Rivière, Paris, 18 juin 2019 - 19 juin 2019
Masque, Baulé, Côte d'Ivoire
Lot 23. Masque, Baulé, Côte d'Ivoire; haut. 22,5 cm ; 8 7/8 in. Estimate Upon Request. Photo Sotheby's.
Provenance: Collection Marceau Rivière, Paris, acquis ca. 1972.
Exhibited: Thouars, Bibliothèque municipale de Thouars, Exposition d’Art Africain, 13 - 16 avril 1979
Paris, Ecole Supérieure Internationale d'Art et de Gestion, Art Africain, 23 avril - 3 mai 1991
La Flèche, Château de Carmes, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 11 janvier - 3 mars 1997 / Nogent-le-Rotrou, Musée municipal du Château
Saint-Jean, 8 mars - 28 avril 1997
New Haven, Yale University Art Gallery, Baule: African Art, Western Eye, 30 août 1997 - 4 janvier 1998 / Chicago, The Art Institute of Chicago, 14 février - 10 mai 1998 / New York, Museum for African Art, 11 septembre 1998 - 3 janvier 1999 / Washington, Smithsonian, 7 février 1999 - 9 mai 1999
Paris, Galerie Ratton-Hourdé, Baoulé. Collection de Marceau Rivière, 14 juin - 27 juillet 2002
Le Mans, Carré Plantagenêt, musée d'archéologie et d'histoire, Masques d'Afrique, 12 mai - 29 août 2010.
Literature: Valbert, "L’avenir des danses traditionnelles", Arts d'Afrique Noire, Printemps 1979, n° 29, p. 10
Rivière, Exposition d’Art Africain, 1979, n° 13
Rivière et Lehuard, Art Africain, 1991, n° 12
Vogel, Baule: African Art, Western Eyes / L'Art baoulé, du visible et de l'invisible, 1997, p. 161
Boyer, Girard et Rivière, Arts premiers de Côte d'Ivoire, 1997, p. 84-85 et 131, n° 76
Ratton, Hourdé et Vogel, Baoulé. Collection de Marceau Rivière, 2002, p. 43-44
Arts d’Afrique Noire, Eté 2002, n° 122, p. 36-37
Boyer, Baule, 2008, p. 94 et 149, n° 11
Joubert et Rivière, Masques d'Afrique, 2010, p. 30 et 90, n° 23.
Le masque-lune, qui n’apparaît qu’occasionnellement lors des fêtes, est rarissime dans les collections ; il est ainsi d’autant plus surprenant[1]. Alors qu’on croit souvent que l’art des Baule est limité à des masques animaliers ou faciaux, cette figure circulaire témoigne de la fascination que la concision et la pureté exercent sur ce peuple trop souvent caractérisé par des créations dites emblématiques, comme les « portraits » (car un autre masque-disque, plus géométrique, doté d’une autre fonction (le kplekplé), survient aussi au cours d’une cérémonie distincte).
Lors de fêtes de réjouissances (les bla able, « danses de femmes » car elles étaient admises) ou pour des funérailles de femmes (sɛ bo able), l’anglo ba se manifestait en préambule, avant les masques animaliers qui étaient suivis, pour clore cette représentation hiérarchisée et graduée, du masque-portrait. Ces célébrations, distinctes des danses sacrées des hommes (interdites aux femmes), portaient différents noms selon les régions : ajusu de Bouaké à Bocanda, gbagba dans les environs de Yamoussoukro, ajemele dans la région de Béoumi, etc[2]. En inaugurant la séquence, le masque-lune anglo ba (avec, à l’occasion, un autre masque, le wia, « soleil ») instaurait une jonction entre les présences de la nature et l’ordre de la société. Remarque cruciale : il ne relevait en aucun cas - comme on l’a parfois dit - d’un culte de divinités astrales ; il était juste ce que les Baule appellent un signe, un pictogramme, une image ; et il ne s’agissait, pour le danseur, que d’effectuer une ouverture, au sens opératique, pour introduire les autres masques. Mais comme les sculpteurs baule tendent à humaniser toute forme visible, ils se plurent à inscrire un visage au cœur du cercle céleste. Par la délicate fusion, sur la même œuvre, de la lune et de traits humains, l’artiste, par cette représentation idéalisée, vise à réunir l’infiniment lointain et la proximité absolue.
Bien que le visage conserve quelques marques de l’organisation des masques faciaux (comme le kpwan), il diffère de la manière baule plus familière par son extrême stylisation. Affranchi de toute sujétion à la réalité, le sculpteur a éliminé les composantes adventices pour ne conserver du visage que quelques traits majeurs, devenus formes géométriques ciselées en bas-relief. En s’organisant comme un dessin d’une grande pureté de lignes, la figure se transmue en calligraphie. Des accords plastiques s’inscrivent au centre de l’œuvre, en écho au disque qui définit la forme générale : doubles courbes des arcades sourcilières et des yeux mi-clos; demi-sphères tronquées des paupières supérieures baissées, en légère protubérance dans les cavités oculaires. En contraste avec ces croissants, quelques lignes horizontales et verticales s’entrecroisent, esquissant une forme de T au centre de l’arrondi du visage : le trait rectiligne de l’arête nasale s’élargit délicatement en triangle, alors que les deux fines incisions oculaires horizontales, où filtrait la lumière, permettaient au porteur d’entrevoir (mais il était aussi guidé par ses akotos, « assistants »). Les lèvres projetées en avant semblent suggérer que le personnage est en train de siffler -d’après quelques sculpteurs interrogés, c’est du reste le cas : il siffloterait pour marquer son insouciance, puisqu’il s’agit d’un masque de divertissement. Une scarification, entre les deux yeux, sous le haut front qui reçoit la lumière, agrémente ce visage bombé, étonnamment lisse, brillant - car lentement poli, lustré avec les feuilles abrasives d’un ficus (le Ficus exasperata Vahi). La frise dentelée qui entourait le masque, véritable tour de force sculptural, avait pour dessein, en l’encadrant, de le magnifier. Trop fragile, elle n’a pas résisté, ce qui explique sans doute que l’objet a été retiré des célébrations et vendu. Subsistent quelques triangles ajourés qui surmontent, comme pour la mettre en valeur, la coiffure finement tressée, constituée d’incisions juxtaposées, et qui ceint la partie supérieure du disque, d’une oreille à l’autre.
Contrairement à l’image établie de créations baule qui seraient uniformes, ce masque dont la patine sombre, laquée, atteste un usage répété, confirme bien au contraire qu’il est riche de ressources plastiques inattendues. La tentation géométrique est adoucie par le rendu sensible du visage et, grâce à ses courbes, contre-courbes et arrondis délicieusement sensuels, il porte l’art de la sobriété, de l’épure, de l’ellipse à son sommet.
Anglo ba, Baule "moon mask". By Alain-Michel Boyer
A Baule moon mask, which only occasionally appears during celebrations, is extremely rare in collections [3]. While it is often thought that the art of the Baule is confined to animal or facial masks, this circular abstract form reveals the fascination that concision and purity exert on this people, too often defined through so-called emblematic creations, such as "portraits".
In Baule culture, during feasts of celebration (the bla able, "women's dances" because they were admitted to them) or for women’s funerals (sɛ bo able), the anglo ba featured in the preamble, before the animal masks, which in turn were followed, at the close of this hierarchical and graduated representation, by the portrait-mask. These celebrations, separate from the men’s sacred dances, bore various names depending on the region: ajusu from Bouake to Bocanda, gbagba in the vicinity of Yamoussoukro, ajemele in the region of Beoumi, etc[4]. As an opening to the sequence, the anglo ba moon mask (occasionally joined by another mask, the wia, "sun") created a link between the presence of nature and the order of society. A crucial note, it did not in any way - as has sometimes been said - relate to a cult of astral deities; the mask was just what the Baule call a nzɔliɛ, a sign, a pictogram, an image; and it merely allowed the dancer to perform an overture, in the operatic sense, to introduce the other masks. Baule sculptors tend to humanize all visible forms, and they delight in putting a face at the heart of the celestial circle. Through the delicate fusion, within the same form, of the moon and human facial features, the artist, aims to unite the infinitely distant with absolute proximity in a idealized form.
Although the face still bears certain marks of a facial mask organisation (such as the kpwan) it differs from the Baule technique more familiar to us in its extreme stylisation. Breaking free from any subjection to reality, the sculptor has done away with any adventitious components and retained only certain major features of the face turning them into geometric forms sculpted as bas-reliefs. As it unfolds like a sketch with great purity of outline, the figure transmutes into calligraphy. Aesthetic harmonies take centre stage echoing the disc that delineates the overall form: double curves of the eyebrows and half-closed eyes; truncated half-spheres of the lowered upper eyelids protruding slightly in the ocular cavities. In contrast to these crescent shapes, a few horizontal and vertical lines interweave, forming a T-shape in the centre of the rounded face: the straight line of the nasal bridge fans out delicately into a triangle, while the two fine horizontal eye incisions, that light filtered through, allowed the wearer to glimpse the outside world (although he would also have been guided by his akoto,“assistants”). The puckered lips seem to suggest that the figure is whistling - according to some sculptors who were questioned on the matter, this is indeed the case: he whistles to show his insouciance, since it is a mask for entertainment. A scarification pattern, between the eyes, underneath the high forehead that attracts the light, adorns this curved, surprisingly smooth, gleaming face - due to its slow polishing and glossing with the abrasive leaves of a ficus (Ficus exasperata Vahi). The openwork band surrounding the mask, a genuine sculptural tour de force, was designed to frame and magnify it. Too frail, it broke off, which probably explains why the object was removed from celebrations and sold. Only a few open triangles remain atop the finely woven coiffure - made up of juxtaposed incisions and surrounding the upper part of the disc, from one ear to the other - as if to enhance it.
As opposed to the established image of Baule creations that are often thought to be uniform, this mask with its dark, lacquered patina attesting to its repeated use, confirms that Baule art is full of unexpected aesthetic resources. The geometrical temptation is softened by the sensitive modelling of the face and, with its deliciously sensual curves, counter-curves and rounded outlines, it carries the art of sobriety, purity, and ellipsis to its apex.
[1] Toutefois, un autre masque anglo ba, recouvert d’une plaque de laiton, a été vendu en 2010. Voir : Alain-Michel Boyer : « The Baule Anglo ba mask from the Kahane collection/Le masque baoulé Anglo ba de la collection Kahane », dans : Six Masterpieces of African Art from the Kahane Collection/Six chefs-d’œuvre d’art africain de la collection Kahane, Paris, 1 Décembre 2010, pp. 18-21.
[2] Sur les cérémonies ajusu, ajemele, gbagba et les autres dénominations, voir : Alain-Michel Boyer : Baule, Milan, 5Continents, 2008, pp. 66-74.
[3] However, another anglo ba mask, with a brass plate upper layer, was sold in 2010. See: Alain-Michel Boyer: « The Baule Anglo ba mask from the Kahane collection/Le masque baoulé Anglo ba de la collection Kahane », in : Six Masterpieces of African Art from the Kahane Collection/Six chefs-d’œuvre d’art africain de la collection Kahane, Paris, 1 December 2010, pp.18-21.
[4] Regarding ajusu, ajemele, gbagba ceremonies and other denominations, see: Alain-Michel Boyer: Baule, Milan, 5 Continents, 2008, pp. 66-74.