Moderne Maharadjah. Un mécène des années 30 au Musée des Arts Décoratifs
PARIS - Du 26 septembre 2019 au 12 janvier 2020, le Musée des Arts Décoratifs met à l’honneur l’extraordinaire figure du Maharajah d’Indore qui donne libre cours à son goût d’avant-garde artistique et décorative en créant, en Inde, un univers moderne unique. Personnalité visionnaire du milieu culturel européen des années 1920-1930, il est le commanditaire de la toute première construction moderniste de son pays : le palais de Manik Bagh (1930-1933), témoignage de l’effervescence de la scène artistique de l’époque. L’exposition met en lumière l’univers de cette demeure mythique évoquant les échanges entre l’Europe et l’Inde à travers la personnalité singulière et fascinante d’un jeune prince et de son épouse. Présenté dans la Nef du musée, ce prestigieux patrimoine rassemble plus de 500 pièces réunies pour la première fois. Il dévoile les créations iconiques de Louis Sognot et Charlotte Alix, Jean Puiforcat, Eileen Gray ou encore Le Corbusier ainsi que des archives inédites dans une scénographie confiée au studio BGC – Giovanna Comana et Iva Berton Gajsak.
Eckart Muthesius — Vue extérieure du palais Manik Bagh retouchée, vers 1933. © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Pendant les années 1920, Yeshwant Rao Holkar II (1908-1961), plus connu sous le nom de Maharajah d’Indore, est envoyé très jeune faire ses études à Oxford en Angleterre. Un précepteur francophone, le Dr. Marcel Hardy, aiguise sa curiosité en l’introduisant au milieu culturel européen. Sous la coupe de son mentor, il fait la connaissance de deux personnalités qui seront déterminantes dans sa démarche : l’architecte berlinois Eckart Muthesius, proche de l’avant-garde, et Henri-Pierre Roché, conseiller artistique et écrivain. Des séjours en Angleterre, en Allemagne et en France essentiellement, où il fréquente les différents salons, expositions et ateliers d’artiste, font naître en lui un réel intérêt pour les arts modernes.
Bernard Boutet de Monvel — S.A. Le Maharajah d’Indore (habit occidental), 1929. © Collection Al Thani / Adagp, Paris, 2019 Photo © Pascal Cadiou
En 1929, peu de temps après sa rencontre avec l’éminent couturier et collectionneur Jacques Doucet et la visite de son studio et collection, il décide d’ériger un palais dans son Inde natale, où se mêleraient luxe, confort et modernité. Le Maharajah confie à Eckart Muthesius la réalisation de ce projet : transformer les fondations d’un bâtiment préexistant pour en faire une nouvelle résidence privée pour la Maharani Sanyogita Devi et lui-même. Agencé selon leurs besoins quotidiens, le palais est pourvu d’un décor et d’un mobilier glorifiant les matériaux novateurs pour l’époque, tels le métal, le cuir synthétique ou encore le verre, avec une prédominance accordée à la couleur se déclinant dans chacun des espaces à vivre. Afin d’aménager ces intérieurs, près de vingt créateurs soigneusement sélectionnés sont sollicités, dont les réalisations sont devenues aujourd’hui des œuvres iconiques de cette période.
Eckart Muthesius — Hall d’entrée du Palais Manik Bagh, vers 1933. © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Eckart Muthesius — Escalier du grand hall, vers 1933. © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Eckart Muthesius, Chambre du maharajah vers 1933 © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Eckart Muthesius, Chambre de la maharani, vers 1933 © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Eckart Muthesius, Cabinet de travail du maharajah d’Indore, vers 1933 © Collection Vera Muthesius / Adagp, Paris, 2019
Parmi les plus emblématiques citons : le fauteuil Transat d’Eileen Gray, la paire de fauteuils en cuir synthétique rouge avec lampes intégrées d’Eckart Muthesius, les spectaculaires lits en métal et verre de Sognot et Alix, conçus pour les chambres respectives du couple royal, ou encore les tapis d’Ivan Da Silva Bruhns qui occupent les sols du palais comme de vastes tableaux colorés abstraits. L’exposition est une invitation à découvrir cet univers novateur, synonyme d’un moment marquant dans l’histoire des arts décoratifs. Dans la galerie côté rue de Rivoli, le visiteur est introduit aux personnalités phares que sont le Maharajah et la dynastie des Holkar à laquelle il appartient, puis aux échanges et rencontres entretenus par le souverain, notamment pour la construction du palais et de ses aménagements.
Eckart Muthesius, Paire de fauteuils à éclairage intégré, 1931. © Adagp, Paris, 2019 Photo © Écl’art - Galerie Doria, Paris
Ivan Da Silva Bruhns — Tapis de la chambre du Maharajah d’Indore, vers 1930. © Adagp, Paris, 2019 Photo © Phillips Auctioneers Limited. Tous droits réservés
Ivan Da Silva Bruhns, Carton de tapis d’un modèle conçu pour le palais du maharajah d’Indore, no 1021, 1931 © Adagp, Paris, 2019. Photo © Écl’art - Galerie Doria, Paris
Le Corbusier, Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret — Chaise longue basculante modèle B 306, édition Thonet, vers 1931. © Adagp, Paris, 2019 © F.L.C. / Adagp, Paris, 2019 Photo © Sotheby’s / Art Digital Studio
Eckart Muthesius — Dessin d’une applique murale fabriquée par Max Kruger, vers 1930. © Adagp, Paris, 2019 Photo © Phillips Auctioneers Limited. Tous droits réservés
En effet, les premières salles proposent de contextualiser l’histoire de ces commanditaires, en décrivant la façon dont le couple a procédé pour mener à bien ce projet ambitieux mais également le rôle de toutes les figures qui l’ont rendu possible. Elles insistent sur les prémices de cette construction palatiale et sur les différentes commandes passées à l’architecte durant sa collaboration avec le Maharajah : un train aménagé, un avion, une caravane ainsi que des projets non réalisés à l’image d’une péniche et d’une maison d’été. On découvre également les portraits magistraux du Maharajah et de son épouse, tous deux capturés dans une veine moderniste par le peintre Bernard Boutet de Monvel. Dans un contexte plus intimiste, les clichés du couple réalisés par Man Ray reflètent les dernières recherches expérimentales de l’artiste.
Bernard Boutet de Monvel, S. A. la maharani d’Indore (costume traditionnel), 1933-1934 © Collection Al Thani 2019 / Adagp, Paris, 2019 Photo by Prudence Cuming
Bernard Boutet de Monvel, S. A. la maharani d’Indore (robe du soir occidentale), 1931 © Collection Al Thani 2019 / Adagp, Paris, 2019 Photo by Prudence Cuming
Man Ray, Le maharajah d’Indore en tenue de soirée, vers 1927-1930 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris, 2019 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Guy Carrard
Man Ray, La maharani d’Indore en tenue de soirée, vers 1927-1930 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris, 2019 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Guy Carrard
Man Ray, Le maharajah et la maharani d’Indore, vers 1927-1930 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris, 2019 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Guy Carrard
Man Ray, Le maharajah et sa femme, vers 1927 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris, 2019 Photo © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Guy Carrard
Dans l’espace central de la Nef, des projections de films inédits réalisés par Eckart Muthesius animent l’exposition en révélant notamment le Maharajah et son épouse dans leur palais, mais aussi lors de cérémonies traditionnelles à Indore.
La galerie latérale, côté jardin des Tuileries, dévoile les aménagements intérieurs de la demeure : le cabinet de travail, les chambres à coucher du Maharajah et de la Maharani et la bibliothèque. Les activités de collectionneur du souverain font l’objet d’une section entièrement consacrée aux salons et aux expositions des années 1920 et 1930, à l’instar du Salon de l’Union des Artistes Modernes et du Salon d’Automne à Paris. Le Maharajah y fait l’acquisition de nombreuses pièces de mobilier et d’objets mais aussi de luminaires, notamment chez la Maison Desny. Il passe également d’importantes commandes pour ses services de table auprès de Jean Luce et de Jean Puiforcat qui réalise, le monogramme du Maharajah et de la Maharani figurant à l’entrée du palais Manik Bagh.
Eckart Muthesius, Coiffeuse mobile électrifiée pour la maharani, vers 1930, Collection Sheikh Saud Bin Mohamed Ali Al Thani Foundation © Adagp, Paris 2019 Photo © Écl’art - Galerie Doria, Paris.
René Herbst, Chaise longue modèle no 114, 1931 © Droits réservés. Photo © MAD, Paris / Jean Tholance.
Jean Puiforcat, Coupe en argent et cristal sur socle en bois, ayant inspiré le modèle 8272, vers 1932 © Paris, Patrimoine Puiforcat
L’exposition évoque également l’intérêt marqué du Maharajah pour les arts des grands Joailliers. Van Cleef & Arpels, Harry Winston mais aussi Chaumet réalisent à sa demande de majestueuses parures pour son épouse et lui-même. Parallèlement à ces différents aspects de sa collection, l’exposition donne à voir les projets préparatoires de Constantin Brancusi, incluant des dessins pour un projet de Temple de la Méditation à Indore et un plâtre de l’Oiseau dans l’espace dont le souverain commande trois exemplaires entre 1933 et 1936.
Mauboussin — Bague, vers 1940-1945. Platine, rubis et diamants © Collection Al Thani 2015 Photo by Prudence Cuming
Cette exposition est ainsi l’occasion unique de pouvoir admirer ces créations, initialement unies au sein d’un palais, telle une œuvre d’art totale, qui témoigne avant tout d’un goût affirmé du Maharajah d’Indore pour la modernité. Elle remet en pleine lumière la personnalité touchante et mystérieuse d’un jeune prince qui est allé du respect d’une tradition ancestrale à la rupture la plus radicale avec l’Inde traditionnelle. Cette exposition rend hommage à une figure majeure trop longtemps méconnue de l’art de son temps.
Après avoir étudié l’Esprit du Bauhaus en 2016 et l’œuvre de Gio Ponti, archidesigner en 2018, le Musée des Arts Décoratif, dont les collections Art déco et Moderniste comptent parmi les plus belles au monde, poursuit son exploration des années 1920-1930 en proposant une lecture nouvelle de l’histoire de la modernité européenne grâce au regard d’un immense amateur des arts.