Exposition Le mystère Mithra au Musée Saint-Raymond de Toulouse
Mithra portant le taureau. Marbre. Vers 389. Saïda (Liban) – Sidon, province de Syrie-Phénicie. Musée du Louvre, Département des antiquités orientales. RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux
Les plus anciennes représentations de Mithra apparaissent en Orient. Le dieu porte une tunique plissée, un pantalon bouffant et un haut bonnet de feutre, traditionnellement associés aux peuples de cavaliers d’Iran et d’Asie centrale.
Dans l’Empire romain, l’image de Mithra associe à ces éléments orientaux un visage imberbe et juvénile, une chevelure bouclée rappelant les représentations d’Apollon ou d’Alexandre le Grand. Cette iconographie n’est toutefois pas spécifique à Mithra. Elle correspond à l’image de « l’Oriental ». Le bonnet phrygien permet d’identifier les personnages venant d’Orient comme Attis ou Cautès et Cautopatès, les porteurs de torche qui accompagnent le dieu. Comme dans les représentations les plus anciennes, Mithra porte une tunique plissée et un pantalon bouffant.
Des neuf œuvres en marbre qui furent découvertes à la fin du XIXe siècle à Sidon, quatre sont présentées dans cette exposition. Les bases de trois d’entre elles, dont cette tauroctonie, portent une inscription, en grec, qui mentionne non seulement leur donateur, Flavios Gerontios, mais aussi la date de la dédicace : l’an 500 de l’ère de Sidon, qui correspond à l’an 390 de notre calendrier. L’inscription est donc l’une des plus tardives du culte à Mithra.
Les sculptures ont été exécutées par différents ateliers et pourraient bien ne pas avoir été conçues à la même époque.
Mithra tuant le taureau, Marbre. Vers 389. Saïda (Liban) – Sidon, province de Syrie-Phénicie. Musée du Louvre, Département des antiquités orientales. Photo : Musée du Louvre (distr. RMN-Grand Palais / Franck Raux).
Le premier épisode du mythe est celui de la naissance de Mithra qui est « pétrogène », c’est à dire « né d’une pierre ». Sur les images, il jaillit d’un rocher, nu bien que déjà coiffé du bonnet phrygien et souvent déjà armé et déjà encadré des deux dadophores, Cautès et Cautopatès.
Le deuxième épisode récurrent du récit est celui du pacte : Sol, dieu du jour, envoie un corbeau messager à Mithra lui ordonnant le sacrifice du taureau.
L’épisode suivant est celui qui est le plus représenté : le sacrifice du taureau (tauroctonie). Mithra a capturé le taureau et l’emmène dans une grotte où il procède au sacrifice. Les représentations de cet épisode mettent souvent en scène des animaux : un chien, un serpent, un scorpion, parfois un lion.
Enfin, le récit du mythe s’achève avec l’alliance de Sol et Mithra. Ils se serrent la main dans un geste très représenté, puis ils partagent un banquet, avant l’ascension de Mithra au ciel.
UN MYTHE EN IMAGES
Ce n’est pas par les textes que nous connaissons le « mythe de Mithra », mais par les images. Sculptées, gravées ou peintes sur des supports variés, elles mettent en scène des figures bien identifiables : les dieux Mithra et Sol, un corbeau et un taureau, ainsi que les deux dadophores (« porteurs de torches ») Cautès et Cautopatès.
Limitées en nombre, les scènes semblent illustrer les différents épisodes d’une histoire que l’on cherche, depuis les travaux de Franz Cumont, à recomposer. On en propose parfois une lecture plus symbolique, avec un « sens caché », mais les deux visions peuvent se compléter
Les images diffèrent d’un sanctuaire à l’autre. L’ordre des scènes n’est pas toujours le même et certains épisodes peuvent ne pas apparaître. Ces différences s’expliquent : le choix des images est sans doute lié aux rituels, qui peuvent varier selon le lieu, l’époque ou les décisions du pater, organisateur du culte de sa communauté.
Le banquet de Mithra et Sol, Marbre d’Estremoz. IIe-IIIe siècle. Tróia, Grândola (Portugal) - Caetobriga, province de Lusitanie. Collection privée de M. José Narciso et sa famille, Lisbonne (Portugal). Photo : José Paulo Ruas.
Sur cet étonnant relief brisé, présenté au public pour la première fois, on reconnaît, à gauche, un bout de la tauroctonie dont ne subsistent que la figure de Cautopatès, l’extrémité de l’une des pattes du taureau ainsi que le buste de Luna. Le panneau de droite représente le banquet réunissant Sol et Mithra.
Les deux divinités sont ici allongées, comme il se doit pour un repas convivial dans l’Antiquité romaine. Leur alliance est exprimée par la main droite de Mithra, posée sur l’épaule de son nouvel acolyte. Sol est caractérisé par le nimbe rayonnant (disque de lumière indiquant son statut divin). Un serpent, symbole positif, vient s’abreuver à un grand vase de type cratère.
UN TEMPLE ORIGINAL
Les temples à Mithra (mithréums) sont souvent implantés dans des structures déjà existantes : bâtiments artisanaux ou commerciaux, sous-sols d’édifices publics ou d’immeubles. Certains peuvent toutefois être élevés sur des terrains vierges et d’autres intégrés dans de grandes demeures rurales (les villae).
Ces sanctuaires, édifiés par la communauté des adeptes et non par la puissance publique, sont bâtis à partir de matériaux peu coûteux (bois, terre…). Leur taille réduite indique qu’ils accueillaient un nombre limité de fidèles.
Les mithréums sont très différents des autres temples du monde romain. Ils évoquent la grotte, lieu central du récit mythologique et ils sont généralement semi-enterrés ou installés en sous-sol. Quand ils sont bâtis en élévation, les murs demeurent aveugles afin d’obscurcir l’espace. Certains sanctuaires ont même été aménagés dans de véritables grottes.
L’espace principal, où se déroule le culte, est une longue salle voûtée, dotée de banquettes. Cet antre est souvent précédé d’un vestibule. L’entrée est déportée sur le côté afin de dissimuler l’espace cultuel depuis l’extérieur. Parmi les pièces annexes se trouve notamment un espace destiné au stockage des vases et autres objets sacrés utilisés lors des cérémonies, et la cuisine, lieu de préparation des repas communautaires.
AU CŒUR DU SANCTUAIRE
Le lieu d’accomplissement du rituel est un espace théâtralisé. Murs et banquettes sont colorés, imitant parfois le marbre. Voûte ou plafond ornés de motifs étoilés renvoient à la dimension cosmique du mythe.
Des lampes à huiles, assemblées en lustres ou disposées sur les banquettes, sur de petits autels ou dans des niches, produisent des jeux d’éclairage dans une pénombre qui rappelle la grotte dans laquelle Mithra mit à mort le taureau. Cette évocation, associée aux agencements particuliers des décors et du mobilier, achève de théâtraliser l’ambiance.
Les statues des deux dadophores, Cautès, levant la torche, et Cautopatès, abaissant la sienne, à l’image de gardiens du temple, peuvent accueillir les adeptes, du côté de l’entrée du spelaeum.
Au fond, derrière l’autel principal, l’image de la tauroctonie domine le long espace central. Souvent surélevée sur un podium, parfois placée dans une abside décorée, elle est l’élément principal du culte et se trouve souvent associée à une représentation de la naissance de Mithra. Aux sculptures peuvent aussi se substituer des fresques.
D’autres épisodes viennent parfois enrichir le récit mythologique sous forme de petites scènes, sculptées ou bien peintes, autour de la tauroctonie.
Cautès et Cautopatès, Calcaire. Début du IIIe siècle. Francfort-Heddernheim (Allemagne), sanctuaire de Mithra (mithréum III) - Nida, province de Germanie Supérieure. Archäologisches Museum, Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
Nida est le nom de la ville romaine qui occupait le territoire nord-ouest de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) où plusieurs sanctuaires ont été découverts et d’où ces statues sont extraites.
UNE PRATIQUE DE GROUPE
Constituées d’un petit nombre d’adeptes, les communautés financent l’entretien du sanctuaire dans le cadre d’un culte non reconnu officiellement par l’État romain. Si plusieurs d’entre elles peuvent coexister sur un même territoire et entretenir des contacts, ces communautés restent autonomes.
Sans autorité centralisée, il semble que chaque groupe d’adeptes s’organise à sa manière. Certains de ces groupes prennent la forme d’associations reconnues par les pouvoirs publics.
Bien que l’accès au sanctuaire reste réservé aux membres des communautés, ces dernières ne sont pas clandestines. D’ailleurs, à partir du IIIe siècle, les mithréums sont bien visibles dans l’espace urbain ; l’idée d’un culte marginal et secret est donc peut-être à nuancer…
MITHRA : POUR QUI ?
Le culte mithriaque surprend par la diversité de ses adeptes. Les communautés se forment souvent dans un cadre professionnel, entre soldats d’une même légion, entre fonctionnaires, comme ceux de l’office des douanes, entre artisans ou commerçants, entre employés d’une même structure. Elles se réunissent parfois dans des sanctuaires aménagés directement sur leur lieu de travail.
Ces communautés peuvent aussi se constituer au niveau d’un quartier ou sur la base de relations personnelles. L’adhésion au culte peut aussi relever d’une tradition familiale, comme le révèlent les inscriptions.
Les relations entre communautés expliquent qu’un même individu pouvait pratiquer des offrandes dans plusieurs sanctuaires. Très probablement pouvait-on intégrer une nouvelle communauté après disparition de celle dont on dépendait. Certains adeptes, particulièrement mobiles et influents, ont pu fonder de nouveaux groupes au cours de leurs déplacements.
OÙ SONT LES FEMMES ?
Les travaux de Franz Cumont ont fortement contribué à forger l’image d’un culte lié à la sphère militaire et exclusivement pratiqué par des hommes. En l’occurrence, on ne rencontre aucun nom féminin dans les inscriptions associées au culte de Mithra.
Les réseaux sociaux ou professionnels par lesquels les communautés se formaient ont en effet pu contribuer à attirer majoritairement des hommes. Ce constat n’implique cependant pas nécessairement une exclusion des femmes, lesquelles ont pu exercer des fonctions spécifiques que ne reflète pas l’épigraphie.
Bague à intaille avec Mithra sacrifiant le taureau, Calcédoine. époque romaine impériale. Provenance inconnue. Bibliothèque Nationale de France, Ancienne collection James Millingen, Paris. Photo : Serge Oboukhoff / BnF-CNRS - Maison Archéologie & Ethnologie, René-Ginouvès.
UN CULTE RÉSERVÉ AUX INITIÉS
Dans l’Antiquité, le terme « mystère » est utilisé pour souligner la dimension secrète de certains cultes, caractérisés par une initiation conférant savoir philosophique et transformation spirituelle. Franz Cumont voyait dans les « religions orientales » à mystères une préfiguration des thèmes chrétiens de la révélation et du salut de l’âme. Cette vision est aujourd’hui remise en question.
Dans le mithréum de Santa Prisca (Rome), certains graffitis pourraient bien évoquer la renaissance symbolique et la progression morale que permettait l’initiation. Ces thèmes transparaissent aussi chez le philosophe Porphyre à la fin du IIIe siècle. On ne peut toutefois pas affirmer qu’ils étaient partagés par tous les groupes d’adeptes.
Des auteurs chrétiens de l’Antiquité tardive décrivent l’initiation comme brutale : ils évoquent des « châtiments » ou encore des initiés qui, yeux bandés et mains liées, sont jetés dans des bassins d’eau glacée. Un autre auteur chrétien mentionne de son côté des rituels utilisant couronnes et glaives, parfois mis en lien avec certaines découvertes archéologiques.
Ces auteurs sont bien entendu partiaux et de manière générale très critiques sur l’ensemble des cultes et des rites non chrétiens. Par-delà ces exagérations, les pratiques violentes attribuées aux rituels mithriaques pourraient bien ne correspondre qu’à des simulacres de gestes, reproduisant symboliquement certains épisodes du mythe.
DES GRADES : UNE HIÉRARCHIE ?
L’organisation interne des communautés mithriaques paraît être structurée en « grades ». Au ive siècle, Saint Jérôme en recense sept : corbeau (corax), fiancé (nymphus), soldat (miles), lion (leo), perse (perses), héliodrome (heliodromus) et père (pater). Ce dernier niveau est le plus élevé et semble désigner les chefs des communautés chargés de l’organisation des cérémonies.
Mais ce système pose question : les grades concernent-ils tous les membres d’une même communauté ? S’agit-il d’une « élite » interne au groupe ? D’une progression initiatique ? Ne s’agissait-il que de fonctions liturgiques ? De niveaux de responsabilités dans le groupe ?
Un constat : si corbeau, lion et pater apparaissent très souvent dans les inscriptions, les quatre autres grades pourraient être plus tardifs dans l’histoire du culte. De plus, ils pourraient ne pas concerner l’ensemble des sanctuaires mais seulement quelques-uns.
Adepte du grade du lion tenant une pelle à feu (objet restauré), Basalte antique et plâtre moderne pour les parties restituées. Début du IIIe siècle. Francfort-Heddernheim (Allemagne), mithréum III - Nida, province de Germanie Supérieur. Archäologisches Museum, Francfort-sur-le-Main (Allemagne).
LA MORT D'UN DIEU
Il n’est pas rare de voir des sanctuaires fermer, même durant la période de pleine expansion du culte. Plusieurs raisons sont possibles : crises internes entre adeptes, appauvrissement de certaines communautés financièrement fragiles, déplacement vers des lieux de vie plus dynamiques ou encore simple désintéressement à l’égard du dieu.
Au IVe siècle, le christianisme est reconnu par le pouvoir impérial. On constate une forte et rapide diminution de la construction des sanctuaires consacrés à Mithra comme, apparemment, de leur entretien et de nombreux mithréums sont abandonnés.
Cependant, les chrétiens sont loin d’avoir été les seuls responsables de cette situation. Et si des militaires romains chrétiens eux-mêmes ou encore l’administration impériale semblent, dans certains cas, responsables de l’abandon des mithréums, d’autres raisons se dégagent.
Sur la frontière de l’Empire romain, ce sont les peuples « barbares » qui semblent être à l’origine des actions violentes à l’encontre des sanctuaires mithriaques.
En Germanie Supérieure, dès le IIIe siècle, on constate une sorte de « mise à mort » rituelle des sculptures, décapitées. Dans les régions frontalières, où Mithra demeurait fortement associé à l’armée romaine, briser les images divines représentait sans doute un acte belliqueux fortement symbolique.
Enfin, des catastrophes naturelles ou encore la fragilisation des structures ont également entraîné des effondrements qui ne seront suivis d’aucune restauration.
Tête de Mithra, Calcaire. Troisième quart du IIe siècle. Angers (Maine-et-Loire), mithréum – Juliomagus, province de Gaule Lyonnaise. Centre de conservation et d’étude du Maine et Loire; Angers. Photo : H. Paitier / Inrap