VERSAILLES - Le château de Versailles rassemble pour la première fois depuis la fin du XVIIe siècle, neuf chefs-d’œuvre provenant de l’exceptionnelle collection de peintures de Louis XIV. Témoin de son goût pour le style caravagesque, cet ensemble figurait dans l'un des espaces centraux du château, une pièce d'abord utilisée comme salon, qui deviendra la chambre officielle du roi en 1701. Habituellement présentées à six mètres du sol, l'exposition sera une occasion unique d'admirer ces toiles à hauteur de regard.
La chambre du roi : un lieu majeur à l'histoire complexe
En 1678, Louis XIV décide l'édification de la galerie des Glaces, des salons de la Guerre et de la Paix, et la reconstruction de la façade sur la cour de Marbre. De là découle un important remaniement des espaces situés au cœur de la résidence royale. Du fait de ces travaux, le grand salon central, situé entre la cour de Marbre et la terrasse à l'italienne donnant sur les jardins, s'ouvre sur la galerie des Glaces par trois arcades dotées de portes.
En 1684, cette pièce, mitoyenne de la chambre du souverain située dans l'actuelle antichambre de l'Œilde-Bœuf, devient le « salon où le roi s’habille ». Dans la très riche collection de peintures que le Roi-Soleil a réuni depuis le début de son règne, sont choisis neuf tableaux qui sont présentés à l'attique du décor de la pièce (c'est-àdire au niveau supérieur des murs).
En 1701, Louis XIV décide de remanier à nouveau son appartement intérieur et fait transformer le précédent salon en donnant l’ordre à Jules Hardouin-Mansart de « faire une balustrade de menuiserie sculptée très richement dans le salon pour y mettre le lit du roy et en faire la chambre ». La situation géographique de cette chambre, au centre du Château et de l’appartement royal, est fortement symbolique : orientée à l'Est, elle est le point de départ de la course du Soleil, emblème de Louis XIV. Lieu des cérémonies du lever et du coucher, la pièce occupe une fonction centrale dans l’organisation de l’étiquette à la Cour.
Lors de cet aménagement, les parties essentielles du décor du salon de 1684 - boiseries, corniche, pilastres, chambranles des portes - sont conservées. Il en est de même pour la présentation des tableaux à l'attique. Le Roi, qui suivit de près le chantier, choisit d'y maintenir cinq des peintures de Valentin de Boulogne déjà présentes dans le salon. En revanche, en raison de la création du relief en stuc doré au-dessus du lit, deux peintures de Giovanni Lanfranco et de Valentin de Boulogne et une toile attribuée à Nicolas Tournier sont retirées
Ces évolutions démontrent le goût de Louis XIV pour la peinture caravagesque, qu'il choisit de conserver dans ce lieu fortement symbolique et attaché à sa personne. Ces œuvres aux compositions sobres et à la touche virtuose jouent sur la densité des ombres et contrastent avec le somptueux décor de la pièce, largement réhaussé d’or.
Des chefs-d'Œuvre de la peinture à redécouvrir
L’une des pièces les plus admirées du château de Versailles, la chambre du Roi, est moins connue pour les chefs-d’œuvre qui l’habillent que pour sa symbolique. L’ambition de cette exposition est de rendre aux tableaux qui ornent ce lieu leur juste valeur, en les appréciant pour la première fois à hauteur de vue. Aux côtés des quatre médaillons de dessus-de-porte et grâce aux prêts exceptionnels du musée du Louvre et du musée de Tessé du Mans, le château de Versailles rassemble, pour la première fois, les neuf toiles qui ont orné la pièce de 1684 à 1701 et qui, pour certaines, s'y trouvent toujours aujourd'hui.
Commissariat de l'exposition: Béatrice Sarrazin, conservateur général du patrimoine au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon
Exposition du 14 mars au 16 juillet 2023
Valentin de Boulogne (1591-1632), La Diseuse de bonne aventure, 1626-1628, huile sur toile, Paris, musée du Louvre, département des Peintures. © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / A. Dequier
Nombre des thèmes de la peinture de Valentin se retrouvent dans ce tableau : de la réunion de personnages autour d’une table à la déclinaison des âges de la vie, des instruments de musique à la Bohémienne, ici chiromancienne puisqu’elle lit l’avenir de l’homme au panache dans ses mains. Chaque personnage semble être absorbé par ce qu’il fait, les musiciens sont solitaires, leurs notes laissent songeur le jeune homme accoudé, tandis que le récit de l’avenir fait oublier le voleur tapi dans l’ombre.
Attribué à Nicolas Tournier (1590-1639), Réunion de buveurs, huile sur toile, Le Mans, musée de Tessé, dépôt du musée du Louvre, 1958 © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Ce tableau, autrefois donné à Bartolomeo Manfredi, serait probablement une copie due à Nicolas Tournier, artiste français présent à Rome dans la première moitié des années 1620. La réunion de buveurs est un des thèmes de prédilection des caravagesques. Ces derniers pouvaient ainsi démontrer leur habilité à varier les attitudes et à rendre les effets de matière. La profondeur de la composition est augmentée par les objets vus en raccourci, tels le couteau posé en équilibre sur la table de marbre, le luth ou la fusée de l’épée au premier plan.
Giovanni Lanfranco (1582-1647), Agar secourue par l’ange, vers 1616, huile sur toile, château de Versailles, dépôt du musée du Louvre, 1949 © château de Versailles, Dist. RMN © C. Fouin.
Tiré de la Genèse (XXI, 9-21), l’épisode a souvent été traité au XVIIe siècle : pour donner satisfaction à son épouse Sara, Abraham chasse la servante égyptienne Agar et le fils qu’il a eu de cette dernière, Ismaël. Dans le désert de Bersabée, l’eau vient rapidement à manquer. Aussi Agar dépose-t-elle Ismaël sous un buisson et s’en écarte pour ne pas le voir mourir. Sensible aux cris de l’enfant et aux pleurs de la mère, Dieu leur envoie un ange.
Sous le pinceau de Lanfranco, l’ange adolescent, d’une main, touche l’épaule d’Agar, de l’autre désigne la source salvatrice. D’une exécution sommaire, Ismaël s’intercale entre Agar et l’ange.
Après une première formation auprès d’Agostino Carracci, Lanfranco fréquente à Rome le cercle d'Annibale, le célèbre cousin de son maître. De retour à Parme, imprégné du Corrège, Lanfranco se détache de ses professeurs. La carrière de l’artiste se déploie dès lors entre Rome et Naples. Son style novateur se précise : des pala d’autel aux fresques vertigineuses des coupoles de Sant’Andrea della Valle à Rome et de San Gennaro, chapelle du trésor à Naples, il exalte les formes illusionnistes dans des envolées d’anges, des nuées dorées et un goût des contrastes.
Portant un vêtement bleu et enveloppé d’un manteau rouge éblouissant, l’évangéliste semble assoupi. Il tient d’une main la plume et, de l’autre, le livre ouvert qu’un ange plein d’inquiétude et de questionnement pointe du doigt. Le contraste est saisissant entre le vieillard et l’enfant ébouriffé doté d’ailes somptueuses. Véritable morceau de nature morte, la table, la plume, les livres et le parchemin offrent une symphonie de beige, blanc et brun.
cValentin de Boulogne (1591-1632), Saint Matthieu, vers 1624-1626, huile sur toile, château de Versailles © château de Versailles, Dist. RMN © C. Fouin.
Portant un vêtement bleu et enveloppé d’un manteau rouge éblouissant, l’évangéliste semble assoupi. Il tient d’une main la plume et, de l’autre, le livre ouvert qu’un ange plein d’inquiétude et de questionnement pointe du doigt. Le contraste est saisissant entre le vieillard et l’enfant ébouriffé doté d’ailes somptueuses. Véritable morceau de nature morte, la table, la plume, les livres et le parchemin offrent une symphonie de beige, blanc et brun.
Valentin de Boulogne (1591-1632), Saint Marc, vers 1624-1626, huile sur toile, château de Versailles © château de Versailles, Dist. RMN © C. Fouin.
Le regard baissé, les bras ouverts et les paumes de mains vers le haut, Marc scrute l’invisible d’un regard intense. Il arbore un visage aux traits marqués et aux cernes soulignés, entouré d’une barbe aux multiples nuances passant du gris au roux et au blanc et d’une chevelure bouclée au graphisme marqué. Le second évangile, le sien, commence par la voix de celui qui crie dans le désert, allusion au lion. Valentin utilise ici un clairobscur modéré sensible dans le halo qui entoure le visage du saint.
Valentin de Boulogne (1591-1632), Saint Jean, vers 1624-1626, huile sur toile, château de Versailles © château de Versailles, Dist. RMN © C. Fouin.
L’évangéliste, le plus jeune des quatre, est placé dans une puissante diagonale, le regard tourné vers une force extérieure dont le saint tire l’inspiration.
Si ce n’est pas la première fois que l’artiste représente l’évangéliste, il accentue ici le contraste clair-obscur et le camaïeu de gris ce qui, avec le texte hébreu, rajoute au mystère de Dieu. Selon la tradition, Jean serait le rédacteur de l’Apocalypse. La représentation des quatre évangélistes accompagnés de leurs attributs – l’ange pour Matthieu, le lion pour Marc, le taureau pour Luc et l’aigle pour Jean, dérive de la vision d’Ezéchiel (I, 4-13) reprise sous une forme identique dans l’Apocalypse de saint Jean (IV, 7-8).
Valentin de Boulogne (1591-1632), Saint Luc, vers 1624-1626, huile sur toile, château de Versailles © château de Versailles, Dist. RMN © C. Fouin.
Saint Luc est représenté dans la force de l’âge, à l’œuvre, sereinement. Tout absorbé par sa réflexion, il maintient de son poing la page déjà calligraphiée. Les yeux baissés, il rédige pieusement son évangile entre le taureau et une icône de la Vierge, dont la tradition dit qu’il fut le premier peintre. L’Académie de Saint-Luc était d’ailleurs à Rome une puissante confédération de peintres à laquelle Valentin prêta son concours en 1626.
Valentin de Boulogne (1591-1632), Le Denier de César, vers 1622-1623. Huile sur toile Château de Versailles, dépôt du musée du Louvre, 1948 © château de Versailles, Dist. RMN © Christophe Fouin.
L’épisode biblique est tiré des Évangiles : voulant mettre en défaut le Christ, les Pharisiens accompagnés des Hérodiens lui demandent s’il est permis ou non de payer l’impôt à César. Ils lui tendent le denier portant l’effigie et le nom de César, à quoi Jésus leur répond : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Valentin réduit la scène à trois personnages. Il raconte l’histoire par le biais de l’intensité des regards et des jeux de mains ; celles-ci animent la toile autour de la pièce de monnaie qui, au centre, lie la composition.
Alessandro Turchi (1578-1649), Le Mariage mystique de sainte Catherine, vers 1635 Huile sur toile Paris, musée du Louvre, département des Peintures © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec
Assis sur les genoux de sa mère, Marie, l’enfant Jésus passe l’anneau à la main droite de sainte Catherine d’Alexandrie. Elle est reconnaissable à sa couronne dorée et à la roue de son supplice sur laquelle elle appuie sa main gauche. Par ce geste la sainte voue sa vie et sa virginité au Christ. La solennité du geste est amplifiée par la composition très sobre du tableau, où les mains et les visages sont rassemblés au centre.