L'album vert des cartes postales Tonkin 1915-1917
L'album de maroquin vert où s'épanouissaient de larges fleurs de chrysanthèmes, conservé dans la bibliothèque familiale faisait rêver. Les hasards des héritages l'avaient attribué à ma mère, laquelle détenait désormais les souvenirs de sa cousine Marguerite.
Le feuilleter, c'était s'évader vers un monde lointain, exotique car il contenait, glissées dans des encoches prédécoupées, des cartes postales, toutes les cartes postales qui restituaient Hanoi et le Tonkin dans les premières années du 20e siècle.
Non seulement un parfum d'Orient émanait de cet album, il racontait aussi à travers une écriture fine et rapide une histoire simple et belle entre Marguerite et René.
L'histoire commence en 1908, Marguerite, dite Lalite, venait d'avoir 10 ans et suivait ses parents à Hanoi où son père Elie Lussagnet avait été nommé directeur de fabrication de la Manufacture des Tabacs.
Au cours de leur séjour qui dura 3 ans, un jeune fonctionnaire de la Direction générale des Douanes, René Vire, se liât d'amitié avec Elie. De retour en France, Marguerite, jeune fille charmeuse, fit promettre à René de lui envoyer la collection complète de cartes postales du Tonkin. Ainsi commence une correspondance que René, vrai gentleman adressa avec une belle régularité de 1915 à 1923. L'heureuse destinataire gratifiée, dans les premiers mois de "chère Made- moiselle", était chargée, de transmettre les respectueux hommages du jeune douanier à Maman Marie et Papa Elie. Au fil des années, il apparaît qu'un tendre sentiment ait pu naître entre l'expatrié et Marguerite, devenue en même temps qu'une belle jeune fille ... "Ma chère Lili".
Les formules brèves du début qui assurent "amitiés" et "bon souvenir" laissent place progressivement à des sentiments plus tendres et affectueux puis se termineront par un touchant "à vous de tout cœur".
Nous ne doutons pas que Chère Lili donna une correspondance parallèle qui ne nous est malheureusement pas parvenue. Elle ne semble pas aussi assidue si l'on en croit l'agacement que manifeste René le 23 avril 1916.
"Voilà 5 longs courriers que je n'ai reçu de vos nouvelles" (il nous révèle là le secret de cette correspondance) "Avouez que vous êtes plus paresseuse que moi pour écrire. Que diriez-vous si je vous imitais? Ce qui m'en empêche c'est la promesse que je vous ai faite de vous envoyer des cartes postales toutes les quinzaines jusqu'à ce que vous me disiez "A hôi" (assez) "n'en jetez plus, la coupe est pleine ". Vous devez avoir à l'heure qu'il est un album assez bien garni. J'ai encore une centaine de cartes à vous adresser pour terminer la collection de l'Indochine."
Grâce à cet homme de parole, nous conservons ces précieuses cartes qui offre un voyage immobile dans le temps et l'espace : ainsi défilent le Marché de la rue des Cuirs, rue de la Soie, des Chapeaux, des Ferblantiers, du Sel... des scènes de la vie quotidienne : scieurs de long, confection des nattes en bambous, baignade dans le lac Truc Bach, ou encore la Citadelle, le Quai du Commerce longeant les rives du fleuve Rouge, la Procession du Génie, la Promenade du Dragon dans la rue des Eventails, le Théâtre et... l'hôtel Métropole.
Ma cousine Lalite n'a-t-elle jamais retrouvé René ? L'histoire tonkinoise s'arrête là. Seul l'album préserve le souvenir d'une amitié fidèle qui resta épistolaire.
Près de 100 ans plus tard, en avril 2006, je me trouvais en mission professionnelle à Hanoi et, parcourant les rues, j'ai eu le sentiment de retrouver les quartiers tels que les avait connus ma famille.
L'hôtel Métropole, n'est-il pas tel qu'a pu l'admirer Lalite quand elle se promenait dans son pousse-pousse ? Y est-elle entrée? "C'était là que vous passiez, écrit René, quand votre bonne vous conduisait à la cathédrale. Vous en souvenez-vous ? Il est bien loin ce temps que je vous rappelle".
(Annick Perrot, CVN)