Les touristes étrangers remarquent que dans toutes les villes du Vietnam, petites ou grandes, il y a toujours une des rues principales qui porte le nom de Trân Hung Dao. À Hanoi, la rue Trân Hung Dao correspond à l'ancien boulevard Gambetta au temps de la colonisation française.
Qui est Trân Hung Dao? Le guide touristique donne cette information : "Le généralissime Trân Hung Dao (1226-1300), fameux stratège, a sauvé le pays de l'invasion mongole dirigée par Kubilai. En 1228, il a gagné la grande bataille fluviale de Bach Dang, mettant en pièces une armée de 500.000 hommes et capturant le commandant en chef Omar".

Ce que le guide ne dit pas, c'est que Trân Hung Dao, divinisé par le peuple, est devenu le patron d'un des 2 principaux cultes médiumniques du Vietnam, cultes apparentés et marqués pas la cérémonie de possession (hÇu bãng), cultes populaires sans église organisée.

Le premier est le culte des Déesses-Mères (Thä MÉu) qui régissent les 4 provinces de l'univers (Tu Phu) : le Ciel, les Eaux, la Terre et les Monts-Forêts... Ses prêtres sont des médiums femmes (on peut visiter un des ses sanctuaires importants, le Phu Tây Hô, à Hanoi, au bord du Lac de l'Ouest).

Le second culte, appelé aussi néi (r)¹o (culte interne local), apparu plus tardivement, est plutôt masculin. Dédié à Trân Hung Dao, il est desservi par des prêtres qui sont des médiums masculins (appelés thanh (r)ång). Mais, sans parler des possédés, sa clientèle est surtout féminine. Les femmes sont des cibles préférées des méfaits des démons qui recherchent ce qui est immonde, le concept de pollution étant associé aux périodes de menstruation. Les femmes qui implorent l'aide du Génie Trân Hung Dao sont des femmes stériles, celles qui ont du mal à tomber enceintes, qui ont des enfants morts-nés, des enfants fauchés en bas âge, celles qui sont tourmentées par des troubles gynécologiques.

Une question se pose? Comment se fait-il qu'un être humain tel que Trân Hung Dao soit devenu Génie, et qu'un militaire comme lui soit consacré protecteur des femmes ? C'est que, dans l'imaginaire du peuple, après leur mort, les personnalités exceptionnelles, grands serviteurs de l'État, généraux, mandarins, lettrés, peuvent devenir des esprits tout puissants. Nombre d'entre eux ont ainsi reçu le titre de Génie tutélaire de village (thành hoàng làng). Trân Hung Dao s'est imposé à l'échelle nationale. Mais pourquoi les femmes en particulier le vénèrent? Une légende nous en donne l'explication. Après la victoire de Bach Dang, Trân Hung Dao a capturé Pham Nhan, un magicien de l'armée mongole dans l'invasion du Vietnam. On ne réussit pas à le décapiter car chaque fois que sa tête fut tranchée, une autre repousse à sa place. La décapitation n'eut lieu qu'avec l'épée sacrée de Trân Hung Dao. Depuis, le fantôme de Pham Nhan cherche sa subsistance chez les femmes, en général enceintes ou venant d'accoucher. Pour guérir ces pauvres patientes, les médiums au service de Trân Hung Dao doivent chasser Pham Nhan de leur corps.

L'exorcisation qui embrasse un domaine large et varié est pratiquée dans des temples privés ou publics ((r)iÖn, tÜnh, (r)Òn) dont le plus important est celui de Van Kiêp (province de Hai Duong). Ce sanctuaire comprend la sépulture du héros national, et les autels dédiés à sa mère, ses 2 fils, ses 2 filles, son gendre le général Pham Ngu Lao et ses 2 brillants lieutenants Yêt Kiêu et Da Tuong. Chaque année, au jour d'anniversaire de Trân Hung Dao, le 20e jour du 8e mois lunaire, les médiums Thanh dông, les malades et les fidèles de tous les coins du pays affluent à Kiêp Bac. Là s'accomplissent des guérisons miraculeuses et se déploient une procession pittoresque et de curieuses scènes d'exorcisme. En 1942, à cette occasion, le gouverneur général de l'Indochine française Decoux a fait un geste politique en assistant à la fête de Kiêp Bac.

Comment s'opère la guérison de la femme malade ? Par la musique, la danse, des gestes et des cris, le médium la fait entrer en transe, jusqu'à ce que le Génie Trân Hung Dao l'exorcise des démons. Il la flagelle pour châtier Pham Nhan entré dans son corps. Quand le démon s'avoue vaincu, le médium l'oblige à s'engager à ne plus revenir tourmenter la malade. Celle-ci signe (c'est le démon) l'engagement et aussitôt les transes cessent. Elle reçoit l'acte d'engagement qu'elle colle à son chevet. Quelquefois, le médium se déclare être l'incarnation du "Génie Trân" lui-même et se livre à des pratiques de magie. Il s'étrangle, marche sur une lame chauffée au rouge, retient dans sa bouche de l'huile bouillante avant d'en faire jaillir des flammes, se transperce les joues avec une tige de fer, mâche une gerbe de baguettes d'encens, s'incise la langue jusqu'au sang puis imprègne de ce sang un papier-talisman.

Toutes ces pratiques intéressent la psychothérapie et l'anthropologie culturelle. (Huu Ngoc/CVN)