Charles Le Brun (1619-1690), Le Sacrifice d’Abraham
Charles Le Brun (1619-1690), Le Sacrifice d’Abraham, toile, 148 x 126 cm. Estimation (avec son pendant) : 150 000/200 000 €.
Ingénieuse par sa composition, cette toile de Charles Le Brun est étonnante par l’extraordinaire tension qui semble habiter ses personnages. Sans parler de la rareté des oeuvres de l’artiste sous le marteau, ni du fait que celle-ci est présentée avec son pendant, Un ange annonce à Manué que sa femme donnera naissance à Samson, thème très peu familier à notre époque. Petits rappels bibliques : Manué avait une femme stérile ; un ange apparut à sa femme et lui annonça la naissance d’un enfant au destin exceptionnel. L’ange revint une deuxième fois, puis une troisième. Manué, alors présent, l’invita à manger un chevreau ; l’ange refusa, mais proposa d’offrir l’animal en sacrifice à Yahvé. Le Brun met en scène ce moment où la flamme monte de l’autel vers le ciel, sous les yeux de Manué, prosterné, et de sa femme agenouillée, les bras levés, le regard tourné vers le séraphin, qui, avant de rejoindre le ciel, leur adresse ses dernières prédications au sujet de Samson. Connus par des gravures du XVIIIe siècle de Louis Desplaces, nos deux tableaux étaient conservés dans le cabinet de Gui-Crescent Fagon (1638-1718), botaniste et médecin de Louis XIV, mais aussi conseiller ordinaire de celui-ci. Petit, bossu, affligé de claudication et d’une santé délicate - il vivra tout de même jusqu’à 80 ans -, le sieur Fagon est nommé premier médecin du roi en 1693. Ses contemporains sont unanimes à vanter son érudition, son intégrité et sa curiosité. Botaniste et médecin... mais aussi amateur averti, comme en témoignent ces deux tableaux appartenant à une série consacrée au thème du sacrifice. Tout un programme ! Ils proviennent aujourd’hui de la tribune de la sacristie d’un château d’Ile-de-France, où ils étaient conservés depuis le XVIIIe siècle. Entré au service exclusif de Louis XIV en 1661, Le Brun a alors déjà à son actif maints tableaux exécutés pour le roi et pour des grands du royaume - à commencer pour l’intendant Fouquet, à Vaux-le-Vicomte. Nos tableaux peuvent être datés des années 1650. Très sollicité, Le Brun est à l’époque contraint de réutiliser certaines figures, avec quelques variantes d’un tableau à l’autre. Il n’a pas non plus pour habitude de travailler seul, même avant de disposer officiellement d’un atelier, en 1662. Fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648, l’artiste travaille pour des commanditaires aussi bien religieux que laïcs. Dès ces années, il doit s’entourer de précieux collaborateurs et d’aides, pour mener à bien les grands décors dont il a la charge. Nos deux tableaux illustrent ce processus de création.
Charles LE BRUN (Paris 1619 - 1690) - Le Sacrifice d'Abraham & Un ange annonce à Manué que sa femme donnera naissance à Samson
Toile, transposée sur toile, manques et soulèvements. 148 x 126 cm. Sans cadre
Toile. 148 x 137 cm
Provenance : Ancienne collection de « Monsieur Fagon, conseiller d'Etat ordinaire », d'après la lettre des gravures de Louis Desplaces ;
Château d'Ile-de-France.
Bibliographie : Henri Jouin, Charles Le Brun et les Arts sous Louis XIV, Paris, 1889, p. 463 et p. 465 ;
Renée Loche, Catalogue raisonné des peintures et pastels, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, musée d'art et d'histoire, Genève, 1996, p. 176.
Entré en 1661 au service exclusif du roi Louis XIV, Charles Le Brun répond avant cette date à maintes commandes royales et privées comme celles de l'intendant Fouquet à Vaux-le-Vicomte. Anciennement propriétés de « Monsieur Fagon, conseiller d'Etat ordinaire » selon la lettre des gravures de Louis Desplaces1, nos tableaux étaient conservés ensemble au XVIIIème siècle. L'existence d'un dessin préparatoire2 (fig.1) qui a servi à la fois pour le personnage au centre du second plan de la composition du Frappement du rocher daté de 16483 et, avec quelques variantes, pour la figure de Manué dans notre tableau nous autorise à dater notre tableau vers 1650. Cette répétition des motifs est caractéristique du processus de création de Charles Le Brun. En effet, extrêmement sollicité, Charles Le Brun est contraint de réutiliser certaines de ses études dans différentes compositions comme le souligne Jennifer Montagu dans la préface de l'ouvrage de Lydia Beauvais4 : « Il [Le Brun] réutilisait assez souvent pour une nouvelle œuvre une étude préparatoire à un précédent tableau, en effectuant parfois, mais rarement, des légers changements ». Pour les mêmes raisons, Charles Le Brun n'a pas pour habitude de travailler seul même avant qu'il ne dispose d'un atelier en 16625. Fondateur de l'Académie Royale de Peinture et Sculpture en 1648, Charles Le Brun doit déjà répondre à de nombreuses commandes : Le serpent d'Airain pour le réfectoire des religieux de Saint François près de Vincennes dont nous connaissons la première version6, le décor aujourd'hui détruit pour l'Hôtel de Jérôme de Nouveau, surintendant des Postes et Relais en 1649, le Martyre de saint Etienne7en 1651, second May de Le Brun pour Notre Dame, le décor de l'Hôtel de Louis de la Rivière8 en 1652, et surtout l'important décor de l'Hôtel Lambert commencés en 1650… Ainsi dès ces années, il s'entoure de collaborateurs et d'aides pour mener à bien les grands décors et commandes dont il a la charge : nos tableaux illustrent bien le processus créatif de Charles Le Brun avec une participation de collaborateurs pour certaines parties.
Outre le dessin du musée du Louvre, il existe pour Le Sacrifice d'Abraham un dessin préparatoire à la sanguine, conservé à Londres au British Museum.
Moins familier à notre époque que le sacrifice d'Abraham tiré de la Genèse (22, 1-19), le sujet du tableau représentant le sacrifice de Manué est ainsi décrit par Henri Jouin dans son ouvrage : « Manué, prosterné contre terre devant la pierre sur laquelle brûle le chevreau qu'il offre en holocauste, a derrière lui sa femme, à genoux, les bras ouverts et les yeux fixés vers l'ange qui remonte au ciel en leur adressant ses dernières prédications au sujet de Samson ». Tirée du Livre des Juges (13, 1-25) telle est l'histoire qu'a fixée Charles Le Brun : Manué avait une femme stérile. Un ange apparut à sa femme et lui annonça la naissance d'un enfant au destin exceptionnel, l'ange revint une deuxième puis une troisième fois, cette fois en présence de Manué qui l'invita à manger un chevreau. L'ange refusa mais proposa d'offrir le chevreau en holocauste à Yahvé. Le moment décrit par notre tableau est celui où la flamme va de l'autel vers le ciel, l'ange monte dans les flammes sous les yeux de Manué et de sa femme et ces derniers tombent face contre terre (13, 20). Ensuite, la femme mit au monde un fils et elle le nomma Samson. A la même époque, Eustache Le Sueur a également illustré ce thème9.
Connues par des gravures de Louis Desplaces du XVIIIème siècle les situant dans le cabinet de Monsieur Fagon, probablement Gui-Crescent Fagon, le médecin du Roi, nos compositions appartiennent à une série de tableaux répondant au thème du sacrifice. Malgré la variation des formats, nous pouvons rapprocher nos tableaux du Prophète Elie offrant un sacrifice conservé à Genève10. Si l'attribution du tableau de Genève11 est discutée, en revanche la composition est assurément de Charles Le Brun : comme nos tableaux, cette composition est celle d'un tableau appartenant à Monsieur Fagon d'après l'inscription de la gravure de Louis Desplaces12 et est citée comme telle par Henri Jouin13.
Nous remercions Bénedicte Gady et Dominique Brême qui nous ont communiqué de précieux éléments pour l'élaboration de cette fiche.
Vendredi 27 juin (15 h), salle 1-7 - Drouot-Richelieu. Piasa SVV. Cabinet Turquin.