Annette Messager, "Les Messagers" au Centre Pompidou
Le Centre Pompidou consacre une rétrospective à Annette Messager par elle intitulée «Les Messagers». Le titre est à l’image de l’œuvre: multiple, polysémique, elle (se) joue des mots et des identités.
Annette Messager, Articulés-désarticulés (détails), 2002 (Copyright Centre Pompidou - Adagp, Paris 2007. Photo André Morin)
Figure majeure de la scène internationale contemporaine, Annette Messager a représenté la France à la Biennale de Venise de 2005, où elle a obtenu le Lion d’Or. Elle investit les espaces du Centre Pompidou de son étonnant et saisissant répertoire de formes et de matériaux (peluches, animaux naturalisés, tissu, laine, photographies, dessins…), mêlant les registres, jouant de nos sensations et de nos sentiments avec une remarquable virtuosité. Le parcours, non chronologique, présente un panorama de l’œuvre depuis les travaux intimistes du tout début des années 1970 jusqu’aux très grandes installations des années 1990 et 2000, qui intègrent progressivement le mouvement. Le dialogue se créé par affinités et tensions, dans une chorégraphie où se mêlent ludique et tragique. L’artiste réalise un projet spécifique particulièrement spectaculaire pour le Forum et a également conçu un laisser-passez original pour 2007 dans le cadre du 30ème anniversaire du Centre Pompidou.
L’univers d’Annette Messager, qui emprunte à l’imagerie populaire, à l’art brut comme à l’art savant, repose sur une dualité subtile, suscitant chez le visiteur des sensations contradictoires, entre attraction et répulsion. Le visiteur est saisi, dès l’entrée dans le Centre Pompidou, par l’étonnant ballet que lui offre l’installation imaginée par l’artiste pour le Forum : La Ballade de Pinocchio à Beaubourg. Des fragments de corps humain en skaï rembourré, emprisonnés dans de grands filets noirs, semblent tomber en chute libre dans l’ouverture du Forum jusqu’au niveau inférieur, où les accueille un amas de traversins. Entourée d’un ring, cette masse au sol est parcourue par un petit personnage de bois allongé paresseusement sur un polochon: Pinocchio, dont le rêve de devenir un être humain semble s’incarner sous nos yeux. Devant l’entrée de l’exposition, les silhouettes en tissu de La Ballade des pendus (2002), accrochées au plafond à un rail, parcourent l’espace à la manière d’un manège forain, s’agitent, bringuebalent, dans une sorte de défilé macabre.
Le visiteur pénètre alors dans l’exposition par un corridor où se déploie Eux et nous, nous et eux (2000), installation de miroirs suspendus horizontalement au-dessus de nous et servant de socle à des animaux naturalisés, dont la tête, comme greffée, est recouverte d’un «masque» de peluche. Notre reflet se combine à la vision de ces êtres ambigus, qui tiennent tout autant de la mort que du vivant. Le début de l’exposition rend compte des deux temps forts de la première période de l’artiste, au début des années 1970 : Les Pensionnaires et les Albums-Collections, à travers lesquels elle pose d’emblée, en tant qu’artiste et femme, la question de l’identité. Avec Les Pensionnaires, petite ribambelle d’oiseaux naturalisés qu’Annette Messager soigne, habille, observe et réprimande comme s’il s’agissait de ses enfants, le rôle de la mère est mis à mal de façon tout à la fois grave et cocasse. Dans les Albums-collections, elle s’empare des fragments de notre quotidien pour les décliner dans des petits cahiers dérisoires, constitués avec une application et un soin obsessionnels, décrivant un univers féminin stéréotypé, fait de rêveries, de fantasmes, mais aussi de devoirs et de soumission. Ils sont réunis ici dans une «chambre secrète», dont l’intérieur n’est visible qu’à travers quelques fentes pratiquées dans les murs.
Les œuvres des années 1980, plus théâtrales, investissent les murs comme dans les Chimères (1982-84), imagerie fantastique et monstrueuse faite de photographies déchirées et peintes. Mes Trophées (1986-88), grandes photographies accrochées à la manière de tableaux anciens, arborent morceaux de bras, de jambes, yeux, seins, ornés de dessins précieux qui donnent à ces membres un statut d’ex-voto.
Le corps est omniprésent dans l’oeuvre d’Annette Messager. Il s’expose ainsi en de multiples fragments, comme sous la forme d’une accumulation de petites photographies suspendues dans Mes Voeux (1988-90), de cheveux, dans Mes Voeux avec nos cheveux, ou à travers des substituts en peluche dans Mes petites Effigies (1988), ou encore, plus tard, dans Les Restes (1998-2000), étalages muraux de morceaux de peluche.
Les installations des années 1990, inaugurées par Les Piques (1991-93), se développent largement dans l’espace. Dans l’imposante pièce Dépendance-Indépendance (1995-1996), des éléments évoquant des organes, faits de tissu rembourré, pendent parmi des mots dans le même matériau, des fils de laine colorés ou des filets renfermant des formes incertaines, et renvoyant le spectateur à la somme dérisoire de ses constituants. Avec En Balance (1998), des fils de laine détricotée se déploient dans l’espace, tel un réseau sanguin. L’environnement articulés-désarticulés (2001-2002), présenté pour la première fois à la Documenta XI de Cassel, est l’oeuvre avec laquelle Annette Messager introduit le mouvement : des pantins-automates en tissu s’agitent au dessus de formes inertes, telles des épaves, qui semblent renvoyer à une catastrophe. Le mouvement est encore exploré avec Casino, oeuvre conçue autour du thème de Pinocchio pour le Pavillon français de la Biennale de Venise de 2005, rendu ainsi méconnaissable. L’installation centrale, qui constitue le coeur de l’exposition du Centre Pompidou, utilise une soufflerie pour faire se mouvoir, telle une vague, un immense voile rouge, beau et inquiétant. La question du souffle est à nouveau explorée dans une œuvre récente, Gonflés-Dégonflés (2006), jungle d’organes, de peau, de fluides, qui «respirent» en un mouvement ondulatoire, dans une imbrication du dedans et du dehors, sorte de parodie grotesque qui nous renvoie à nous-mêmes.
Après le Centre Pompidou, l’exposition sera présentée fin 2007 à l’Espoo Museum of modern art en Finlande, en 2008 au Mori Art Museum à Tokyo et au 21st Century museum of contemporary art à Kanazawa (Japon), au National museum of contemporary art de Séoul (Corée) et en 2009 en Angleterre.
Annette Messager, Pensionnaires, 1971-1972. Installation de 14 vitrines, oiseaux naturalisés, plumes, laine, moteurs, clefs, socles de métal, dessins, photographies, peintures et un Album-Collection. Dimensions variables (Copyright Adagp. Copyright Centre Pompidou, Dist. RMN, Paris, 2007. Copyright photo Annette Messager)
Du 06 juin 2007 au 17 septembre 2007, Centre Pompidou, Place Georges Pompidou. 75004 Paris (M° Rambuteau ou Châtelet-Les Halles), du mercredi au lundi de 11h à 21h. Plein tarif: 10 euros - Tarif réduit: 8 euros - Le Musée est gratuit pour tous le 1er dimanche de chaque mois. www.centrepompidou.fr