George Grosz (1893-1959). Aus Ecce Homo : Dämmerung (Crépuscule) #2, vers 1921, aquarelle, encre, calame et plume
Estimation : 200 000/250 000 €. George Grosz (1893-1959). Aus Ecce Homo : Dämmerung (Crépuscule) #2, vers 1921, aquarelle, encre, calame et plume, 51,5 x 40,5 cm.
Après le traité de Versailles, l’Allemagne, vaincue et humiliée, voit tout un pan de la société se paupériser, le pays se déchirer entre un nationalisme exacerbé, qui va donner naissance au nazisme, et des révoltes communistes.
Les soldats, rentrés du front blessés et choqués, sont à peine tolérés. La nouvelle génération ne veut surtout pas entendre leurs récits d’épouvante et de mort. La jeunesse préfère s’étourdir dans une recherche de tous les plaisirs.
Sur ce fond de misère, de débauche et de profiteurs de tous bords, la scène artistique allemande - de la littérature à l’architecture, du cinéma aux arts plastiques – entre en effervescence. L’art sous toutes ses facettes va connaître une période des plus fécondes.
Ce Berlin décadent connaît un âge d’or, épris d’expérimentation et de liberté.
La ville – thème central du cinéma de l’époque, souvenez-vous de Metropolis de Fritz Lang –, sert aussi de cadre à l’oeuvre de George Grosz, l’un des défenseurs de cette "nouvelle objectivité" ayant pour but d’adapter l’art à la modernité technicienne et urbaine, ainsi qu’aux masses.
Engagé politiquement, il offre une vision cynique de Berlin, cité oppressée par l’argent, les nouveaux riches et la décadence ambiante. L’art est pour lui une arme et il tend à cette société un miroir reflétant son malaise et sa corruption. Grosz lui-même avait été mobilisé ; d’abord réformé pour cause de maladie, il fut réintégré dans la dernière période et a rejoint le service hospitalier. Au début des années 20, il réalise seize aquarelles et quatre-vingt-quatre dessins pour Ecce Homo, recueil édité en 1922 à 10 000 exemplaires. L’ouvrage lui vaut un procès pour "outrage, obscénité et pornographie". Condamné, il sera même pris à partie physiquement, au point de devoir demander une autorisation de port d’arme, accordée. Plus tard, Grosz considérera Ecce Homo comme "un document de cette époque d’inflation avec ses vices et ses moeurs dissolues".
Deux références ont présidé au choix du titre. D’une part, les fameuses paroles prononcées par Ponce Pilate – thème abondamment traité, notamment dans les superbes estampes de Rembrandt –, mais aussi l’autobiographie philosophique et parodique de Nietzsche publiée en 1888, la même année que Le Crépuscule des dieux.
Ce Dämmerung fut d’ailleurs choisi par Grosz pour intitulé notre aquarelle, qui fit partie de la première exposition de ses oeuvres à Paris chez Joseph Billiet, l’un des rares lieux, avec la galerie Jeanne Bucher, à avoir accueilli sur leurs cimaises des artistes allemands. Sur les vingt pièces alors présentées, deux seulement seront vendues, notamment Crépuscule acheté 450 francs par Adolphe Friedmann, également grand collectionneur de Degas. L’aquarelle est ensuite restée dans sa famille.
Si certains critiques et amateurs se montrèrent sensibles à la beauté formelle des oeuvres d’Ecce Homo, beaucoup l’ont regardé à l’aune de leurs considérations sur l’art allemand, ou par rapport à leur engagement politique. Ainsi l’auteur de la préface de cette première exposition de George Grosz en France n’était autre que Pierre Mac-Orlan. Après avoir dénoncé «le monde des crapules internationales, celui de la misère internationale, de la bêtise internationale", l’écrivain reporter poursuit par cette description, qui pourrait être celle de notre aquarelle : "Et l’ombre lui livre son peuple : la fille, le pauvre, le riche, le mutilé, l’assassin aux bottines silencieuses, la rue qui sent toujours un peu le sang, le petit détail infâme sur la chaussée, quand tout fermente au crépuscule du jour"... Anne Foster www.gazette-drouot.com
Lundi 20 avril, hôtel Marcel-Dassault, à 20 h. Artcurial - Briest - Poulain - F. Tajan SVV