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Alain.R.Truong
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Alain.R.Truong
12 avril 2015

"Balenciaga, magicien de la dentelle" à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

affiche

Affiche de l'exposition.

CALAIS - À l’occasion des 120 ans de la naissance de Cristóbal Balenciaga (Getaria, 1895-1972, Javea, Espagne), la Cité de la dentelle et de la mode à Calais consacre une exposition à ce grand couturier. Elle aborde un sujet inédit : l’oeuvre en dentelle de Balenciaga, thème évident tant la dentelle a tenu, tout au long de sa carrière, une place extraordinaire.

La dentelle, Cristóbal Balenciaga l’appréciait. Il l’employa aussi bien en ornementation qu’en textile. Jouant sur les motifs, les couleurs mais aussi sur les utilisations, Balenciaga a exploré toutes les manières d’employer la dentelle et en a magnifié les caractéristiques. Des blouses aux robes de cocktail, des tuniques aux accessoires, la dentelle est toujours présente dans ses créations, témoignant de l’originalité stylistique du couturier, qui fut aussi souvent à l’origine de l’évolution de la mode au cours des années 1950/1960.

Comme l’illustrent quelques spectaculaires robes du soir, les créations de Balenciaga évoquent le souvenir des robes des Espagnoles peintes par Goya et par Zuolaga ou encore celui des saintes de Zurbarán. Par des vêtements ou accessoires en dentelle comme les écharpes, étoles, capes, boléros, tubes, mantilles, gants-manches, Balenciaga exacerbait la féminité que confèrent toujours les tenues en dentelle.

Cette exposition rappelle aussi le nom des fabricants de dentelle tels Marescot, Dognin, Brivet, et permet de redécouvrir des matériaux oubliés comme la dentelle de laine ou des techniques telles les créponnées. Comme le montrent aussi des échantillons de dentelle, les motifs étaient fréquemment peints à la main, ou rebrodés par de célèbres maisons telles que Lesage et Rébé. Quant aux tulles, dentelles sans motifs, ils pouvaient être brodés, imitant les points d’Angleterre, ou ornés de rubans de gazar simulant les dessins de la dentelle.

Avec près de 75 tenues, des accessoires (chapeaux, gants, souliers) ainsi que des photographies et des croquis d’atelier, cette exposition offre un vaste panorama de la création du couturier espagnol et permet de dresser l’histoire de Balenciaga et la dentelle.

Aux créations parisiennes, s’ajoutent de nombreuses tenues faites dans ses maisons de couture en Espagne, dont les toiles étaient choisies par Balenciaga dans sa production parisienne. A Calais, la Cité de la dentelle et de la mode a acquis certaines de ces pièces, fait rare pour un musée français. Montrer cette exposition à Calais, ville dans laquelle a été fabriqué bon nombre des dentelles mécaniques utilisées par le grand couturier, est aussi pour le musée une façon de rendre hommage à l’industrie dentellière.

Cristóbal Balenciaga, détail d’une robe du soir à taille basculée et étoletube en shantung et dentelle, 1958

Cristóbal Balenciaga, détail d’une robe du soir à taille basculée et étoletube en shantung et dentelle, 1958 © Manuel Outumuro. Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne.

Si les expositions consacrées à Cristóbal Balenciaga sont nombreuses, celle-ci est la première qui traite de la dentelle dans l’oeuvre du couturier basque. Tout au long de sa carrière, le couturier manifeste une si grande passion pour ce matériau qu’on ne peut en dénombrer les modèles.

Réunissant des vêtements de haute couture, c’est-à- dire faits aux mensurations des clientes, cette exposition propose trois niveaux de lecture : le premier est en relation avec l’histoire sociale, le second avec la mode et le dernier avec les techniques de création tant de la dentelle que de la maison de couture.

Née à la Renaissance en Italie ainsi que dans les Flandres, la dentelle s’est répandue rapidement dans toute l’Europe au cours des XVIe et XVIIe siècles. Après s’être mécanisée puis démocratisée au XIXe siècle, la dentelle et le tulle connaissent un grand succès après la Seconde Guerre mondiale auprès des grands couturiers et tout particulièrement de Balenciaga.

Cristóbal Balenciaga, détail de boléro du soir brodé par Lesage, 1959

Cristóbal Balenciaga, détail de boléro du soir brodé par Lesage, 1959 © Manuel Outumuro. Modèle conservé à la Fundación Cristóbal BalenciagaFundazioa, Getaria, Espagne

A LA DÉCOUVERTE DES USAGES SOCIAUX DE L’APRÈS GUERRE

A une époque où les exigences sociales scandent la vie des classes fortunées mais commencent néanmoins à se brouiller, sont précisés les types de tenues ornées de dentelle portées selon les heures du jour et les occasions qui, tel le mariage, incitent à s’en revêtir. Présente du matin au soir, elle est discrète sur un tailleur du matin, spectaculaire sur les robes du soir.

C’est à partir de la fin de l’après-midi et en particulier le cocktail que la dentelle se taille une place de choix. On expose ainsi des ensembles, robes/manteaux, robes/capes, robes/vestes, mais où la robe est toujours la pièce maîtresse. On en voit en dentelle de couleurs, alors que d’autres sont noires. Ainsi on découvrira un ensemble exceptionnel de « petites robes noires », qui répondent parfaitement aux usages du temps.

Le soir, triomphent les robes courtes ou longues selon l’importance de la soirée. En outre Balenciaga, se souvenant des tenues à transformation des années 1920, en imagine de nouvelles. Citons, par exemple, celle dont l’écharpe cache le décolleté, alors adaptée au cocktail puis, l’écharpe ôtée, la robe, dénudant les épaules de l’élégante, répond aux exigences du soir. Retenons aussi une tenue du soir courte spectaculaire : sa sur-jupe devient cape permettant à l’élégante de sortir dans le froid sans crainte.

Le grand soir est représenté par des robes de gala comme celle en tulle dont la broderie est si compacte que le réseau disparaît sous l’amoncellement du jais.

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927 © Manuel Outumuro / Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

BALENCIAGA ET LA MODE : UN COUTURIER MODERNE

Avant la révolution des années 1960, la production de  Balenciaga est d’une grande modernité. Il offre dès 1957 à sa clientèle internationale des modèles traduits aussi en dentelle comme les robes sac et baby doll, qui répondent à ce nouveau besoin : paraître jeune. 

Couturier européen, anglais par sa formation de tailleur puis français grâce à sa parfaite connaissance de la haute couture parisienne, Balenciaga devient bientôt un couturier ouvert à toutes les modes du monde. Il a assimilé l’essence de chaque mode qu’elle soit européenne ou « exotique », contemporaine ou ancienne sans oublier les portraits anciens. Ici, deux sources sont mises en valeur, l’espagnole et la française. Transcendant ces influences, il crée des vêtements modernes et néanmoins classiques qui les rendent encore portables aujourd’hui.

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir en dentelle de Dognin, 1951

Cristóbal Balenciaga, détail de robe du soir en dentelle de Dognin, 1951. Griffe EISA (Espagne) © Florian Kleinefenn. Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

LES EFFETS DE LA DENTELLE

Des portraits de Goya, Balenciaga reprend le léger dépassement de la dentelle en bordure des tenues ou encore les ceintures roses à demi -cachées par les manteaux, de Zurbarán, les jupes « sculptées » des représentations de saintes. Il traduit cet effet en gazar, textile imaginé pour lui par le fabricant suisse Abraham, qu’il taille pour des robes à taille basculée. Il sait combiner avec bonheur les textiles à la dentelle. Citons cette robe en shantung fuchsia pour la jupe associée au tulle brodé du corsage, souvenir des tulles brodés appréciés à la Belle Époque.

L’originalité du couturier tient aussi à la façon dont il souligne la transparence et la légèreté de la dentelle. Ainsi manches et plastrons jouent avec la peau des élégantes. Mieux encore, cousus sous les volants des jupes, des rubans de crin rigidifiant les volants les détachent du fond en un volume gracieux. Parfois au contraire, il emploie une dentelle à larges motifs rebrodés, qui, en perdant sa transparence, rappelle la dentelle dite Duchesse fort prisée à la fin du XIXe siècle.

Le couturier accompagne souvent ses robes d’écharpes en dentelle, qui cachent à demi les épaules de ses clientes ; cependant, pour libérer leurs mains, il les coud au corsage de la robe. Rien n’est alors plus gracieux que ces tubes et ces pans librement drapés en bordure du décolleté et qui accompagnent les mouvements des dames sans qu’elles aient à les retenir de la main. 

LE FONCTIONNEMENT DE LA MAISON DE COUTURE

Sont aussi exposés des documents papiers : commandes, factures, croquis d’atelier, ainsi que des fiches destinées aux clientes auxquelles s’ajoutent de nombreuses photographies de dépôts de modèle, destinées à protéger la création de la contrefaçon. Cet ensemble permet de comprendre le fonctionnement quotidien de la maison de couture. On découvre aussi bon nombre de tenues faites en Espagne, mais dont les prototypes ont été conçus pour les collections parisiennes.
Ainsi, au-delà de la beauté de ces pièces, cette manifestation a un caractère pédagogique, on y trouve des réponses aux questions que se posent les visiteurs d’aujourd’hui à propos des goûts d’une époque, de ses rituels et de la vie d’une très grande maison de couture d’alors, passé à jamais perdu. 

LE SUCCÈS INTERNATIONAL DE LA DENTELLE DE CALAIS

C’est à Calais, Lyon et Caudry que se fournissent les couturiers actifs à Paris. Balenciaga utilise la dentelle pour l’ensemble de sa production tant à Paris qu’à Saint-Sébastien, Madrid et Barcelone. Aussi pendant plus de 20 ans, de l’après guerre à la fermeture de ses maisons en 1968, les clientes du couturier, Parisiennes mais aussi Européennes et Américaines, sont-elles
revêtues de dentelle de Calais.

Les matériaux fournis alors par les dentelliers se sont renouvelés mais bien plus dans leurs fils, artificiels ou synthétiques – la soie est rare -‐ que dans leurs motifs souvent traditionnels. Les XVIIIe et XIXe siècles ont fourni des modèles comme les pivoines et les grenades mais aussi les roses inspirées des dentelles Chantilly.

Très souvent, les dentelles sont retravaillées. Au cours des années 1950, elles sont peintes à la main, brodées de fils de couleur, de cordonnets ou de fins rubans (comètes), de strass et de perles, et parfois même de paille et de raphia. Au cours de la décennie suivante, les éléments en plastique de couleurs vives se multiplient. Quant aux tulles, Balenciaga aime les orner de rubans d’organza, qui leur confèrent un effet mousseux. 

LA MODE EN DENTELLE DE CRISTÓBAL BALENCIAGA

Alors que la dentelle rencontre aujourd’hui un grand succès, découvrons le rôle qu’elle a joué dans la création d’un des plus grands couturiers du XXe siècle, Cristóbal Balenciaga (Getaria, 1895 - 1972, Javea, Espagne). Cette exposition, au thème inédit, réunit des pièces parisiennes mais aussi et, c’est un de ses points forts, de nombreuses tenues faites dans ses trois maisons espagnoles à Saint-Sébastien, Madrid et Barcelone, et jamais exposées en France. En effet le couturier avait pour habitude de choisir dans sa production parisienne des toiles que réalisaient ensuite ses trois maisons. Ainsi des pièces semblables peuvent être griffées en France : Paris, 10 avenue Pierre Ier et en Espagne : EISA.

On retrouve dans cette exposition consacrée à la dentelle les grandes caractéristiques de l’art du couturier saluées dès sa première collection parisienne en 1937 : rigueur, perfection du travail, coupe magistrale, sens des couleurs vives ou nuancées mais différentes de celles employées alors en France, et une certaine théâtralité qui conduit à qualifier le couturier
d’Espagnol. Vivant loin des mondanités et des journalistes, Balenciaga a contribué par son silence à créer un mystère qui rend sa création encore plus attachante.

Cette manifestation, fastueuse, en raison du grand nombre de tenues portées en fin de journée et le soir, se décline en plusieurs sections à la fois thématiques et chronologiques.

Cristóbal Balenciaga, robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927

Cristóbal Balenciaga, robe du soir courte en taffetas et tulle, vers 1927 © Manuel Outumuro / Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Trois pièces, rares, faites en Espagne avant l’arrivée du couturier à Paris en 1936, ouvrent l’exposition. La plus ancienne, jamais exposée en France, robe courte du soir, datée de 1927 environ, est émouvante. Elle illustre en effet l’influence de deux couturiers français sur le jeune Espagnol : la technique du tulle plissé rappelle le travail de Madeleine Vionnet et le volume les robes de style de Jeanne Lanvin. N’oublions pas que, depuis l’ouverture de sa première maison en 1917, Cristóbal Balenciaga acquiert régulièrement des pièces de ses couturiers favoris à Paris lors de la présentation des collections. Il considère que c’est aussi pour lui le moyen de compléter sa formation. 

 

HEURES DU JOUR ET OCCASIONS

Selon les heures du jour et les circonstances, l’emploi de la dentelle diffère ; en  effet les codes du savoir vivre sont relativement stricts et, au fil de la journée, la place de la dentelle augmente.

Ainsi, pour le matin, elle est réduite à un petit volant en bordure d’une blouse de tailleur. Mais, dès l’après-midi, elle peut recouvrir entièrement la tunique ou la robe. La plus originale de ces tenues, ensemble d’après-midi en dentelle de laine mohair grise, est constituée d’une veste recouvrant une robe-bustier. La veste ôtée, la robe est alors parfaitement adaptée au théâtre. Cette tenue à deux fins permet de s’adapter aux obligations sociales.

Pour le cocktail, la robe peut être courte et pour le soir courte ou longue. Cependant, l’habitude pour le cocktail et le dîner est d’avoir des manches courtes ou mi-longues et un petit décolleté, comme le montrent deux robes simples en dentelle noire.

Les années 1950 remettent à l’honneur la robe du soir courte, tant appréciée dans les années 1920, de sorte qu’il est parfois difficile de la différencier de la tenue de cocktail. Les femmes néanmoins en portent aussi de longues comme cette robe et son boléro en satin blanc sur lesquels sont appliqués des motifs de dentelle découpée. Quant aux cérémonies, elles sont représentées par deux modèles ; l’un court, fait en Espagne, est en soie recouverte de dentelle bleue brodée ; sur l’autre, longue, chaque bouquet de roses est encadré de plis en relief. Deux robes de mariée en sont l’apothéose.

Cristóbal Balenciaga, deux ensembles d’après midi en dentelle de laine, 1952

Cristóbal Balenciaga, deux ensembles d’après midi en dentelle de laine, 1952 / Photo de dépôt de modèle © Photo et un des modèles conservés dans les Archives Balenciaga, Paris.

TENUES DE COCKTAIL

Apparue avant guerre, la robe de cocktail connaît un succès extraordinaire dans les années 1950. Elle est souvent assortie d’un manteau, d’une veste ou encore d’un boléro, formant un ensemble destiné à être porté ainsi pendant le cocktail.

Trois ensembles robes et manteaux, suivis d’une cape sur robe, et enfin d’une robe-tunique sur panties, suivent l’évolution de la mode. Ces réalisations, qui s’échelonnent de 1952 à 1963, montrent un traitement différent de la dentelle.

L’ensemble en dentelle noire sur satin blanc de 1952 est bien représentatif de l’après guerre : la dentelle colle au fond du manteau et les motifs sont parfaitement lisibles  alors que pour les deux autres, datés de 1962 et 1963, elle s’en détache souplement. Brodé en vieil or sur dentelle marron, le premier évoque de manière impressionniste avec ces éclats de lumière les robes et habits brodés du portrait de La Famille de Charles IV, peint par Goya en 1800 (musée du Prado, Madrid). Le second, lui aussi tout en dentelle, est vert olive et brodé ton sur ton.

La cape à gros réseau est entièrement recouverte d’une broderie de chrysanthèmes jetant mille feux. L’ensemble le plus original est une tunique de 1962 en tulle noir brodé de fleurs en relief, détachées en partie du fond. C’est Andrée Brossin de Méré qui a brodé ce modèle réalisé cependant en Espagne. Dessous on aperçoit des panties, ici restitués, qui pouvaient laisser place à une jupe si la cliente le souhaitait. Alors employés le jour sous les robes courtes, les panties le sont ici, de façon inattendue, pour le cocktail.

Cristóbal Balenciaga, manteau et robe de cocktail en dentelle Chantilly, 1953

Cristóbal Balenciaga, manteau et robe de cocktail en dentelle Chantilly, 1953. Photo de dépôt de modèle © Photo et modèle conservés dans les Archives Balenciaga, Paris

Puis viennent sept robes de cocktail de couleurs, qui rappellent le goût du couturier pour des étoffes colorées. La première, à la broderie exceptionnelle, peut être détaillée grâce à l’échantillon prêté par la maison Lesage. Le réseau de la dentelle, peint à la main en gris foncé, présente des couples d’aristocrates dansant, inspirés du XVIIIe siècle. Leurs jupes sont recouvertes de frivolités roses, rouges et vertes à effet bouillonné, et le reste de leurs vêtements est en soie floche, leurs perruques en laminettes torsadées or. L’ensemble est rehaussé de pierres de couleurs, de paillettes irisées et de tubes argentés… Lui succède une série de robes montrant l’originalité et le raffinement de certains tons gris, pourpre ou encore
chocolat. Cette série illustre par ailleurs l’évolution de la silhouette chez Balenciaga en particulier avec l’apparition de la robe-sac en 1957.

Une de ses créations les plus originales, la robe baby doll, est représentée par deux modèles qui offrent des similitudes avec la robe sac en particulier celle en dentelle Chantilly bleu pâle de Marescot. La coupe de ce vêtement retient par ses fines nervures sur le buste et ses deux empiècements en triangle à hauteur de la taille, coupe qu’il a pu voir chez Vionnet en 1927.
Par transparence, on devine la silhouette moulante du mannequin, effet qu’il décline souvent.

C’est en 1957 que Balenciaga conçoit sa première robe baby doll qu’il reprend sept ans plus tard. Elle peut avoir des manches ballons comme sur le portrait d’Annabel Buffet, peint par son mari Bernard Buffet, ou au contraire être bustier, mais elle se termine toujours par un haut volant. Le modèle de 1964 est en dentelle laquée violet foncé. Pour accentuer le volume de la jupe et l’écarter au maximum du fond, comme le montre le croquis d’atelier, les couturières des quatre maisons cousent sur l’envers des volants de ces robes de cocktail des rubans de crin.

Cristóbal Balenciaga, manteau et robe de cocktail en dentelle de Marescot, mannequin Tania, 1963

Cristóbal Balenciaga, manteau et robe de cocktail en dentelle de Marescot, mannequin Tania, 1963. Photo de dépôt de modèle avec échantillon © Photo et modèle conservés dans les Archives Balenciaga, Paris

LES ROBES NOIRES, DU COCKTAIL AU SOIR

Il est difficile d’imaginer le rôle joué avant 1968 par la robe noire dans la garde-robe féminine. Taillées dans la dentelle, ces tenues acquièrent alors une grâce incomparable. En outre le couturier s’emploie à créer un noir profond, défini souvent comme espagnol. Suivant l’ampleur du décolleté, de la hauteur de l’ourlet, de leur ornementation, de la présence ou non de manches, ces robes sont destinées au cocktail ou au soir. Cependant les règles de savoir vivre s’assouplissent progressivement et les frontières entre les types de vêtement s’atténuent. Une robe de cocktail peut parfois être confondue avec une robe du soir courte d’autant que Balenciaga, sachant que des dames d’un certain âge rechignent à découvrir leurs bras, propose bientôt des robes à manches longues pour le soir.

Parmi les onze modèles de cocktail exposés, on en relève d’abord trois, exceptionnels, réalisés entre 1950 et 1952. Jouant avec la transparence, ils laissent deviner sous la dentelle tantôt la peau du mannequin, tantôt la ceinture corselet rose, effet que le couturier a vu dans les portraits de Goya. Balenciaga a imaginé un vêtement-accessoire d’une grâce toute féminine, aussi original que pratique, l’étole anneau ou encore le corsage à manches, cousu devant au buste mais détaché dans le dos. Signalons dans cette série de robes noires deux tenues identiques, avec néanmoins une petite différence dans le décolleté, légèrement plus profond sur l’un des deux modèles : en haute couture un modèle est toujours adapté à la morphologie de la cliente. Parallèlement à l’influence de Goya, on notera celle du peintre Francisco de Zurbarán, peintre actif au XVIIe en Espagne : le collet fait de deux volants de hauteur inégale, accompagnant une robe de 1961, évoque le chaperon des religieux peints par Zurbarán, on en a un exemple parmi d’autres avec le Saint Bonaventure au Concile de Lyon (1629, Louvre).

Cristóbal Balenciaga, robe du soir et boléro en satin et application de dentelle, 1947

Cristóbal Balenciaga, robe du soir et boléro en satin et application de dentelle, 1947 / Photographie de dépôt de modèle © Archives Balenciaga, Paris / Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

LES TENUES DU SOIR
LES TENUES À TRANSFORMATION

Comme on le pratiquait sous le Second Empire et encore dans les années 1920, Balenciaga a créé des robes à  transformation, dont trois sont exposées ici. Ce type de vêtement répond à diverses motivations : passer rapidement d’une obligation sociale à une autre comme du cocktail au soir, avoir le plaisir du changement avec le sentiment de posséder plusieurs robes en une, ou encore avoir deux vêtements en un, transformation effectuée en public en un jeu à la fois élégant et amusant.

La première tenue, robe du soir courte, typique du New Look, avec son décolleté bustier en coeur et sa jupe très large, est en tulle orné d’incrustations de dentelle de couleur indéfinissable entre le bleu, le marron et le gris. Le petit fichu-berthe posé sur les épaules la transforme en robe de cocktail. Sur la seconde de 1956, fourreau à étole-anneau en tulle fantaisie, se superpose une sur-jupe en faille attachée à la taille. L’élégante la transforme en cape en la remontant à hauteur du cou pour se couvrir en sortant d’une soirée. La troisième de 1967 a un fond terminé par une bande de dentelle, semblable à la tunique
du dessus. Elle se transforme grâce à sa ceinture en gazar rose : elle peut être portée naturellement à la taille ou de façon inattendue en bordure de l’ourlet du fond de robe ou encore, dernière solution, sans ceinture. Des photographies de dépôts de modèle montrent très bien ces trois dispositions pour le moins insolites.

LES ROBES MI-LONGUES

Les années 1950 ont vu l’apparition des robes mi-longues. L’une d’elles est d’une extrême délicatesse : rose, elle est brodée au crochet de paillettes roses, et à l’aiguille d’un semis de cabochons de « rubis » et de plumes d’autruche blanches sur fond de tulle rose et de satin de soie crème. Son corsage bustier à épaulettes est ajusté et sa jupe, large, est constituée de huit panneaux de satin. La seconde se distingue par ses motifs de rameaux stylisés peints en noir à la main, se détachant sur un fond gris. 

LES ROBES DU SOIR LONGUES

Parmi les robes longues, relevons celle en dentelle bleuvert à motifs de digitales de Dognin, et réalisée en Espagne comme le prouve la griffe EISA. C’est une photographie de Henry Clarke parue dans Vogue en 1951, et représentant un modèle identique mais en dentelle blanche réalisé à Paris, qui a permis de la dater. On la portait avec une large ceinture en taffetas, restituée ici. Cette tenue présente une originalité : la dentelle a très probablement été produite avant guerre. En effet on la retrouve employée par Madeleine Vionnet pour une robe du soir de la fin des années 1930, appartenant à la Cité de la dentelle et visible actuellement dans les galeries. 

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en dentelle de Dognin, 1951

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en dentelle de Dognin, 1951. Griffe EISA (Espagne) © Florian Kleinefenn. Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en dentelle de Dognin, 1951

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en dentelle de Dognin, 1951. Griffe EISA (Espagne) © Florian Kleinefenn. Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais.

Une autre robe du soir, de coupe princesse en tulle noir constellé de paillettes, est ornée d’entre - deux de Valenciennes au traitement inattendu. Froncés, ils sont disposés tantôt en cercles, tantôt verticalement « en stalactites », comme pour la robe de mariée de la même année, 1946. Deux robes « colonnes », néanmoins coupées à la taille, provenant l’une du musée de Getaria, l’autre du Palais Galliera, rappellent que cette coupe était aussi très appréciée à la fin des années 1950. La broderie de l’une est en rhodoïd et paillettes irisées et celle de l’autre est faite d’un cordonnet bordant des motifs d’épis de blé. 

VESTES ET BOLÉROS DU SOIR

Au tournant des années 1950/1960, vestes et boléros rencontrent un grand succès. Leurs broderies les transforment en vêtements-bijoux, portés avec des robes du soir très simples.

Lesage a imaginé pour l’un d’eux une composition en bandes horizontales à motifs de guirlandes de fleurs sur fond de soie alternant avec des feuilles de vigne et grappes de raisin sur fond en tulle noir. Le tulle en est si léger que les raisins semblent flotter. La princesse Grace de Monaco et la comtesse Mona von Bismarck ont rendu célèbre ce magnifique boléro. Remarquons aussi une petite veste en tulle rouge brodée de très fins rinceaux et fleurs stylisées en fils métalliques dorés, perles et paillettes. Un autre boléro a un fond en tulle marron et retient par son imitation de motifs de dentelle. Sur le tulle, le brodeur Métral a ajouté un fond de pongé de soie en forme de fleur. En effet, trop léger, le tulle n’aurait pas supporté le poids des grosses fleurs brodées en velours aubergine à coeur en perles, strass, chenille et lames dorées, et tubes… 

LES ROBES DE GRAND SOIR

Robes de gala ou de grand soir, ces huit tenues sont exceptionnelles. On distingue une robe de 1951, en taffetas noir. Avec son fin cordon noué sous la poitrine, le plissé du bustier évoque le « corsage en rideau » à la mode en 1795, tandis que le bas de la tenue est fortement inspiré d’un portrait de Goya, la marquise de Pontejos, de 1786 (National Gallery, Washington). On y retrouve le bouffant de la jupe retroussée tout autour et surmontant l’étroite bande de dentelle. Ne voulant pas contraindre les dames ayant un peu de ventre par le port de quelque désagréable corset, - une gaine suffit, comme le montrent les reportages des essayages - le couturier a imaginé le principe de la taille basculée. Il obtient une silhouette aussi belle que dynamique en rehaussant la taille devant et en la descendant légèrement dans le dos. Ainsi il obtient une courbe au profil doux et très élégant. Pour renforcer cet effet, Balenciaga a employé des tissus lourds comme le satin ou le gazar, qu’il a froncés sous la taille. Ces fronces au fort volume paraissent « sculptées » et semblent sortir d’un des tableaux de Zurbarán. Surnommé parfois le « peintre des étoffes », Zurbarán a représenté de nombreuses saintes dont la jupe basculée a inspiré le couturier. La taille basculée est parfois associée à une coupe originale : la jupe, courte devant, est longue dans le dos comme le montre, entre autres, une robe en faille moirée et mousseline vert d’eau de 1957. Sans doute Balenciaga se rappelle-t-il la coupe inventée par Lucien Lelong en 1928, quand, à la fin des Années folles, on rallongea les jupes. Le bas de cette robe est orné d’une dentelle délicate inspirée du XVIIIe siècle ; elle est brodée de strass, perles, laminettes argent, olivettes avec une ganse argentée. 

 

Eclatante, une autre tenue du soir en shantung fuchsia, datée elle aussi de 1958, réunit bien des détails stylistiques de Balenciaga : soie de couleur vive, mélange de tulle brodé et de satin, coupe à taille basculée et étole-anneau, formant un nuage vaporeux autour du cou.

Autre robe du soir spectaculaire, cette tenue de 1958, violette, de ligne princesse, courte devant, a une traîne.  Balenciaga a augmenté la légèreté de la dentelle en soulignant les fleurs par une broderie de fins rubans d’organza, qui lui donnent un effet mousseux. 

L’exposition se clôt par une série de sept pièces des années 1960, extraordinaires non pas par leur coupe, somme toute, assez simple, mais par leur broderie. Ainsi la robe entièrement brodée en soie d’Alger rappelant les tissus brochés du XVIIIe siècle a été portée par Madame Paul Mellon, cliente américaine du couturier et dont le nom revient régulièrement dans cette exposition. Une autre robe en soie jaune à très gros motifs de feuilles brodés en chenille est ponctuée d’un noeud sous la poitrine. Elle est conservée dans les Archives Balenciaga à Paris. C’est en Espagne qu’a été faite celle en tulle entièrement
recouvert d’une broderie noire de jais, paillettes, perles et pendeloques, elle appartenait à la marquise de Llanzol, fidèle cliente de Balenciaga à Madrid. La comtesse von Bismarck, si souvent habillée par Balenciaga, a commandé la tenue en mousseline vert d’eau constellée de minuscules perles à effet gouttelettes, qui laisse voir en transparence la taille ceinturée de rose. Le déshabillé du soir, vêtement porté chez soi dans la tradition de la tea gown pour recevoir ses amis, est représenté ici par un modèle exceptionnel : il est entièrement brodé de fleurs argentées. A proximité, on découvre un manteau du soir en tulle blanc de chez Marescot. Le brodeur Albert lui a ajouté des fleurs d’organdi jaune et des applications ondulantes de bandes d’organza disposées en relief d’une très grande féminité.

Au fil de la visite, on a remarqué l’intérêt de Balenciaga pour les nouveautés, en témoigne la dentelle de laine de 1952, visible au début du parcours. Au milieu de l’exposition, une section technique leur est consacrée : ainsi le créponné, tissage d’entre-deux de Valenciennes, à la mode en 1957 et à nouveau en 1965 mais cette fois en nylon, ou encore
cette dentelle à réseau étoilé à motifs de feuilles en crêpe de coton bordées d’un cordon de la fin des années 1960. Cette section se prolonge avec une série d’échantillons de quelques brodeurs tels Lesage, Rébé, Brivet avec lesquels a travaillé Balenciaga.

La dentelle, étoffe si fragile, a été pourtant utilisée pour la création de bon nombre d’accessoires qui, indispensables, accompagnent les tenues de cocktail ou du soir. Sont exposés des chapeaux dont un cache chignon très apprécié alors, des gants de diverses tailles ; leur longueur varie suivant celles des manches de sorte que le bras est rarement nu. On découvre aussi deux souliers en soie recouverte de la même dentelle que la robe qu’ils accompagnent mais non présentée ici.

Pour faciliter la compréhension des modèles, sont présentées tout au long de l’exposition à côté des cartels quelques photographies de dépôts de modèle parfois avec leurs échantillons de tissu ou de broderies. Avec soixante quinze tenues, complétées d’accessoires, d’échantillons, de photographies, de dessins originaux, cette exposition offre un panorama de la création du couturier espagnol et permet aux visiteurs de retrouver l’élégance des deux décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale. 

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en soie ivoire et tulle vert pâle brodé, 1966

Cristóbal Balenciaga, robe du soir en soie ivoire et tulle vert pâle brodé, 1966 © Manuel Outumuro. Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

FOCUS SUR QUELQUES PIÈCES

Balenciaga, robe du soir, 1967

Cristóbal Balenciaga, robe du soir, 1967. Photographie de dépôt de modèle avec échantillon © Photo et modèle conservés dans les Archives Balenciaga, Paris

Cette robe du soir de l’hiver 1967 en dentelle jaune à grosses fleurs stylisées a une coupe d’une grande simplicité, comme en fait souvent Balenciaga. Bien qu’à bustier, elle est très différente de celles des années 1950. En effet son corsage monte en éventail au dessus de la poitrine et sa taille, légèrement rehaussée et peu marquée, est soulignée par un large ruban de satin jaune noué au milieu. Sa jupe descend  en s’évasant légèrement. Cette robe du soir se rapproche des robes colonnes à la mode à la fin des années 1960.

La dentelle provient de la célèbre maison Marescot, un des plus réputés dentelliers de la place de Calais de l’après guerre, auquel Balenciaga s’est souvent adressé. Ici la dentelle dont les motifs se laissent facilement découvrir a été entièrement brodée de chenille jaune et de fils argentés et se détache sur un fond en cannelé de soie jaune.

Il s’agit d’une photo de dépôt de modèle accompagnée de son échantillon de dentelle correspondant à la robe exposée. C’est un beau modèle de défilé comme l’atteste le bolduc conservé à l’intérieur. Il précise que cette robe portait le numéro 160, correspondant à son passage pendant le défilé, qu’il était porté par le mannequin Giselle et provenait de l’atelier de Ginette. 

Cristóbal Balenciaga, robe de cocktail en dentelle peinte et brodée, 1953

Cristóbal Balenciaga, robe de cocktail en dentelle peinte et brodée, 1953 © Henry Clarke/Corbis. Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais. Collection Cité de la dentelle et de la mode, Calais

La photographie de cette robe de cocktail, mi-longue, de  l’hiver 1953, a été prise par le photographe américain Henry Clarke, fort apprécié des couturiers français ; il a choisi un fond à motifs colorés évoquant les créations de Christian Bérard.

Avec son décolleté en coeur devant, en pointe dans le dos, ses manches à même qui arrondissent les épaules, son buste cintré et baleiné, sa large jupe à godets, cette robe est représentative de la mode du début des années 1950. Elle se portait, comme souvent alors, avec une large étole en soie.

Taillées dans le même morceau de tissu que le corsage et dans son prolongement, les manches à même n’ont pas de couture autour de l’épaule - comme dans le cas des manches montées - mais une couture qui descend de la pointe de l’épaule au coude ou plus bas. Pour faciliter les mouvements, un empiècement dit triangle d’aisance est cousu sous le bras.

La dentelle se détache sur un fond en taffetas ivoire recouvert d’organza en soie de même ton. C’est l’embellissement de la dentelle qui a conquis les clientes : coupée dans une dentelle chantilly ivoire, la robe a des motifs de grosses fleurs peintes, ou ombrées à la main en marron et bordées d’un cordonnet. Cette tenue a rencontré aussi un grand succès auprès des journalistes de mode comme le prouvent les nombreux articles qui lui ont été consacrés.

Comme on le voyait fréquemment avec les tenues de Balenciaga, la coiffure, petite galette prolongée de plumes, donne à cette tenue fantaisie et dynamisme. 

Cristóbal Balenciaga, robe et manteau de cocktail en dentelle noire, ceinture corselet rose, 1951

Cristóbal Balenciaga, robe du soir à taille basculée et étole-tube en shantung et dentelle, 1958 © Manuel Outumuro. Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Cette robe du soir, longue, de l’été 1958, bustier, à taille basculée, et à jupe plongeant à l’arrière, se portait avec une petite veste, absente ici.

Elle constitue un excellent témoignage du style du couturier à cette époque autant par ses matériaux, sa couleur que par sa coupe.

Constituée de deux matériaux, shantung au beau tombé pour la jupe, tulle brodé mécaniquement pour le corsage, cette robe est d’un fuchsia très vif. Le corsage moulant, maintenu près du corps par de fines baleines, se prolonge par une étole - anneau en tulle brodé, cousu au corsage. Disposé autour des épaules ou même drapée jusqu’au menton, selon le souhait de l’élégante, l’étole - anneau donne au buste une grâce très féminine. La jupe est au contraire sculpturale avec ses grosses fronces en lourd shantung, sa taille basculée, c’est-à-dire légèrement rehaussée devant puis descendant doucement dans le dos. Pour cette coupe, Balenciaga s’est inspiré des tableaux de saintes du peintre espagnol Francisco de Zurbarán, originaire comme le couturier du Pays basque et actif au XVIIe siècle.

Cette tenue appartenait à Madame Paul Mellon, fidèle cliente du couturier, dont une partie de la garde-robe est aujourd’hui conservée à la Fondation Cristóbal Balenciaga, Getaria, Espagne.

Cristóbal Balenciaga, robe et manteau de cocktail en dentelle noire, ceinture corselet rose, 1951

Cristóbal Balenciaga, robe et manteau de cocktail en dentelle noire, ceinture corselet rose, 1951 © Henry Clarke/Corbis. Modèle conservé à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais

Cette robe et son manteau de cocktail, de l’été 1951, ont été photographiés par Henry Clarke pour Vogue anglais. Cette tenue est en dentelle Chantilly noire sur fond en taffetas noir. Avec ses deux pans de dentelle croisés devant et attachés dans le dos, ses manches à même, le manteau laisse voir en transparence la peau du mannequin et la ceinture - corselet rose de la robe. C’est dans un satin rose recouvert de mousseline beige et de dentelle qu’est taillée la robe bustier. La superposition de matériaux transparents et de couleurs différentes, rose, beige et noir, permet d’obtenir des effets de couleurs que l’on voit habituellement sur les soies changeantes, tant à la mode au XVIIIe siècle.

La dentelle de qualité exceptionnelle reprend le principe des « modes » employé au XVIIIe siècle : les motifs intérieurs de chaque fleur diffèrent tous les uns des autres.

Le principe de ces ensembles - robe et manteau - apparu à la fin des années 1920, a conduit à ne pas les désolidariser, bien au contraire la femme n’ôtait pas le manteau durant tout le cocktail.

Cette robe griffée « 10 avenue George V Paris » a été acquise en 1993, comme de nombreuses robes de cocktail noires du musée, en salle des ventes par la Cité de la dentelle et de la mode, Calais. 

Cristóbal Balenciaga, boléro du soir brodé par Lesage, 1959

Cristóbal Balenciaga, boléro du soir brodé par Lesage, 1959 © Manuel Outumuro. Modèle conservé à la Fundación Cristóbal Balenciaga Fundazioa, Getaria, Espagne

Ce boléro du soir est parmi les plus précieux réalisés par Balenciaga. Si celui-ci date de 1959, il en a proposé bien d’autres entre 1959 et 1963. C’est le brodeur Lesage qui en est l’auteur. Le boléro est constitué de bandes horizontales alternativement en tulle et crêpe Georgette. Les broderies représentent des feuilles de vigne, des grappes de raisin en fils de soie, chenille, strass, canetille, laminettes, tubes, fils d’or, paillettes et pierreries.

La broderie aussi raffinée que délicate fait de cet ensemble  une sorte de vêtement-bijou, de coupe très sobre : il est sans col, fermé bord à bord et à manches longues.

Ce modèle appartenait à la comtesse von Bismarck et la princesse Grace de Monaco possédait un boléro équivalent. 

CRISTÓBAL BALENCIAGA

Cristóbal Balenciaga dans sa maison de couture à Paris, 1959

Cristóbal Balenciaga dans sa maison de couture à Paris, 1959 © Gyenes / Fonds Gyenes / Biblioteca Nacional de España

Né le 21 janvier 1895, à Getaria au Pays basque espagnol, Cristóbal Balenciaga, fils de Jose Balenciaga Basurto et de Martina Eizaguirre Embil, perd son père à l’âge de 11 ans. Il commence par aider sa mère qui, pour faire vivre sa famille, travaille comme couturière pour de grandes familles en villégiature à Getaria. Ainsi s’éveille le goût de Balenciaga pour la couture. En 1907, à 12 ans, il entre chez un tailleur à Saint-Sébastien puis se forme dans divers ateliers espagnols. En 1908, il entre à l’atelier de confection sur mesure New England et y devient en 1911 chef d’atelier pour dames.

Après avoir passé trois ans à Bordeaux, employé dans une maison de couture, il ouvre en 1917 sa première maison de couture à Saint-Sébastien C. Balenciaga qui devient Balenciaga Y Campania en 1918. Il se met à acquérir à Paris des modèles de couturiers comme Vionnet et Chanel pour en étudier la coupe. Pendant près de vingt ans, Balenciaga fonde successivement plusieurs maisons de haute couture et de confection, les dernières portant le nom d’Eisa en souvenir du patronyme de sa mère, Eizaguirre : en 1924, la société Cristóbal Balenciaga avenue de la Libertad à Saint-Sébastien, en 1927, la maison de confection sur mesure Eisa Costura à partir des modèles de sa première maison.
En 1933, il regroupe ses activités, sous le nom d’EISA B E Costura au premier étage et au second étage Cristóbal Balenciaga, et crée une première succursale à Madrid. En 1935, il crée une seconde succursale à Barcelone, puis ferme ses trois maisons espagnoles qu’il ré-ouvrira en 1942.

Contraint à l’exil par la guerre civile, il ouvre en 1936 à Paris au 10, avenue George V, une maison de haute couture. Son travail est immédiatement admiré par la presse. Elle loue sa coupe si précise, sa prédilection pour le noir, les broderies et ses créations en dentelle. Elle relève aussi son inspiration tant espagnole que française, en particulier les XVIIIe et XIXe siècles. Balenciaga est considéré par ses confères, notamment Christian Dior, comme leur maître à tous. Ils en sont d’ailleurs fortement influencés. Balenciaga habille une clientèle diversifiée où se côtoient le gotha, des clientes européennes et américaines ainsi que des stars de cinéma comme Marlene Dietrich… 

C’est à Paris que son génie s’épanouit. Parmi ses innovations, citons la ligne tonneau en 1947, la marinière et la ligne semi ajustée en 1951, la tunique en 1955, les robe-sac et baby-doll en 1957... Grand amateur d’étoffes, il commande à Abraham un tissu spécial, le gazar, qu’il « sculpte » pour les jupes de quelques robes du soir. Elles évoquent les tableaux du peintre espagnol Zurbarán. Les broderies sont commandées à de grands artisans comme Lesage, Rébé... Les créations de Balenciaga en dépit de leur originalité sont un défi au temps.

En 1968, au faîte de sa notoriété, il se retire fermant ses quatre maisons, trois en Espagne et une à Paris. Il meurt à  Javea en 1972. De très nombreuses expositions lui ont été consacrées (New-York, Londres, Paris, Melbourne...) et un musée, dans sa ville natale, lui est désormais consacré. 

LA MODE PARISIENNE DE BALENCIAGA EN QUELQUES DATES

1937  Première collection parisienne : style infante.
1938  Effet tunique. Influence des années 1880 avec poufs et coques.
1939  Inspiration historicisante (1850-1880). Robe chemisier pour le dîner. Jupes-culottes.
1940  Poufs amovibles inspirés des années 1885-1887. Broderies de jais et franges.
1941  Jupes étroites dans le bas, drapées à la taille, robes du soir à plissés soleil.
           Ligne tonneau.
1943  Manteaux à emmanchures larges, corsages à petits revers, tailles creusées et plongeantes.
1944  Deux pièces à courte basque arrondie et légèrement décollée, manches raglan.
1945  Taille ajustée et épaules carrées. Ligne droite, jaquettes. Robes du soir entravées.
1946  Tailleur à basques longues. Hanches rondes avec drapés. Robes droites enroulées.
1947  Ligne tonneau. Boléros «espagnols». Volants. Ceintures-corselets.
           Nombreuses broderies.
1948  Ligne Empire. Ensembles avec jaquette courte, jupe à panneau détaché.
           Inspiration espagnole.
1949  Jaquettes et jupes à panneau détaché.
1950  Tailleurs cintrés. Manche melon. Robes ballons. Gants, boléros, capes et robes en dentelle.
1951  Ligne semi-ajustée : tailleurs décintrés. Pour le soir, robes gitanes.
1952  Tailleurs demi-ajustés, cols décollés. Dentelle de laine pour le jour.
           Marinières, étoles et robes du soir en dentelle.
1953  Manteaux à large col. Taille basse. Manches-cloches. Veste blouson.
1954  Manteau guérite. Robes du soir à la cheville et robes étoilées d’or avec bouillonnés de tulle et de rubans brodés.
1955  Blousons longs. Robe-tunique pour le jour et le soir. Robes à danser courtes.
1956  Capes et tuniques : jupes à étages. Jupes drapées horizontalement en tulle point d’esprit.
1957  Très grands cols et jupes très courtes. Robe-sac. Robe baby doll en dentelle.
1958  Manteaux réversibles. Robes du soir en queue de paon, robes à taille basculée.
1959  Taille Empire, manteaux volumineux. Mohairs et matelassés. Manche kimono. Boléros.
1960  Manteaux volumineux. Ensemble pantalon.
1961  Ligne tonneau. Boléros brodés. Franges et carreaux géants. Robe lampion.
1962  Manteaux droits à manches raglan. Tissus cloqués, gaufrés, ciselés.
          Robes du soir à tournure.
1963  Ensembles sport, manteaux, capes, avec bottes.
1964  Travail sur les matériaux : matelassé, cloqué, plastique, ciré. Manche chauve- souris.
1965  Emmanchures larges. Pour le soir, manteaux de fleurs et de filet.
1966  Tuniques sport sur fuseaux ou jupe. Jupes rallongées.
1967  Tailleurs à motifs quadrillés. Effet trompe l’oeil. Bloomers.
           « Robe à 4 cornes », le « Chou noir ». Robe de mariée en gazar.
1968  Fermeture des maisons de couture en France et en Espagne.

Cité de la dentelle et de la mode, Calais, du 18 avril au 31 août 2015

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