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Alain.R.Truong
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11 avril 2016

Exceptionnelle et rare horloge de parquet en forme de lyre, entre 1727 et 1740

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Lot 92. Exceptionnelle et rare horloge de parquet en forme de lyre, entre 1727 et 1740Estimation 300 000 € / 400 000 €. Photo Aguttes.

en placage de satiné et amarante richement décoré d’une ornementation de bronzes très finement ciselés, moulurés et dorés à motifs de rocailles, d’instruments de musique et de scènes mythologiques. 
Le cadran de l’horloge est sommé d’une figure de Diane chasseresse, tenant un arc, et entourée d’un Amour et d’un chien. De part et d’autre de ce sujet principal retombent en cascade des guirlandes de fleurs encadrant l’horloge. Au centre, le cadran circulaire, à deux aiguilles, en laiton doré est orné de chiffres romains émaillés entourés de vignettes de chiffres arabes. Le mouvement de pendule à répétition et sonnerie des quarts est signé « J. P. Du Commun à Paris». 
L’amortissement est constitué d’un grand bronze en cul-de-lampe formé d’une pomme de pin inversée surmontée de feuilles d’acanthe. 
Le fût forme proprement la lyre. Le corps de l’instrument est souligné dans son renflement par de larges feuilles d’acanthe de bronze doré. Le centre est orné d’un bronze représentant Louis XIV en buste sous les traits d’un empereur romain. Sept tiges de bronze doré, évoquant les cordes de l’instrument de musique, sont en façade du corps principal. Les côtés, marquetés en demi-losange, sont ornés d’agrafes en ruban figurant les Arts Libéraux. 
Le piétement est composé de deux parties. Une énorme tête de monstre marin dans un décor rayonnant est située à l’amortissement, entre quatre supports mouvementés et marquetés, soulignés de motifs rocaille en bronze doré. Le bâti du socle est supporté par quatre larges pieds en bronze à motifs de feuilles d’acanthe stylisées, le tout souligné de rinceaux et garni en son centre de deux branches de chênes ornées de glands et réunies par une agrafe. 
Toute l’ébénisterie est soulignée, dans ses mouvements, par des filets de laiton et d’ébène. Dimensions : H. : 220 cm - l. : 85 cm - P. : 39 cm 

Estampille sur l’horloge de parquet : E. J. Cuvellier (actif entre 1745 et 1775) 
Inscription sur le mouvement : signature « J. P. Du Commun à Paris » découverte sous une plaque de laiton gravée « Lespine hger Du Roy » 

ProvenanceGuy Martin, Jr. Héritier direct par alliance de Jason « Jay » Gould (1836-1892)
Guy Martin + Edith Kingdon Gould (20 août 1920 - 17 août 2004)
Fille de Kingdon Gould, Sr. (août 1887 - 7 Novembre 1945) et de Annunziata Camilla Maria Lucci (1890-1961)
Kingdon Gould, Sr. (août 1887 - 7 Novembre 1945)
Fils de George Jay Gould I (6 février 1864 - 16 mai 1923) et de Edith. M. Kingdon (1864-1921)
George Jay Gould I (6 février 1864 - 16 mai 1923)
Fils de Jason « Jay » Gould (27 mai 1836-2 décembre 1892) et de Helen Day Miller (1838–1889)

Note: Notre horloge de parquet, présent dans la collection Gould à la fin du XIXe siècle, s’apparente à un modèle dit « à la lyre » et porte à trois le nombre de modèles de ce type connus à ce jour. 

Le premier modèle, particulièrement bien documenté, est aujourd’hui conservé dans les collections du groupe AXA (Hôtel de la Vaupalière, Paris, voir photo). Il est mentionné sous le lot n° 579 dans la vente de 1753 des collections du peintre Charles Coypel après son décès survenu en 1752: « Une pendule à secondes qui donne l’heure du temps vrai, la course du soleil, le jour et la date de la semaine, le mouvement est de Monsieur Claude Martinot et la caisse de Monsieur Meissonnier »1 . Outre le nom de l’horloger, il est su, par cette mention, que le modèle « en lyre » ainsi que les bronzes furent conçus par Juste-Aurèle Meissonnier (1695-1750)2 . C’est Julien Le Roy, horloger de Louis XV, qui fait alors l’acquisition de l’horloge de parquet pour 725 livres3 . Selon Peter Furhring, Charles Coypel n’était probablement pas le commanditaire de cette horloge de parquet dont la date de réalisation – 1727 – est indiquée avec la signature au dos du mouvement : « Claudius Martinot / invenit, et fecit. / ad Luparam / 1727». La qualité de ce modèle, créé par un artiste, témoigne en revanche d’un commanditaire important, peut-être royal, capable de financer une telle entreprise à titre privé4 . Un commanditaire averti et désireux de posséder une pièce d’exception qui aurait alors fait appel à Juste-Aurèle Meissonnier pour concevoir cette commande si particulière. en 1931, une deuxième horloge de parquet, inspirée du modèle de Meissonnier et estampillée par Duhamel ME, a été mis en vente chez Christie’s London le 9 juillet (n° 92, voir photo)5

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Ce modèle résente une ornementation en bronze plus riche que l’horloge de parquet «Coypel». 

L’horloge de parquet « Christie’s » possède en effet des rameaux sur la base de la lyre, des guirlandes de fleurs partent depuis le dessus de la lunettes tandis que d’autres ornent les côtés des pieds. 

Une énorme coquille rayonnante avec une tête de monstre marin particulièrement effrayante et d’une qualité exemplaire est, d’après la photographie de 1931, identique à celle installée sur notre horloge de parquet, dans l’espace entre les pieds en façade. 

La caisse de l’horloge de parquet en forme de « lyre » est traversée, à l’instar de notre horloge de parquet, par sept tiges de cuivre doré, évoquant les cordes de l’instrument de musique. Le cadran est surmonté d’un groupe figurant «Amour et Psyché» tandis que l’horloge de parquet «Coypel» est sommé d’un Amour. Si la photographie publiée par Christie’s est particulièrement précise, une gravure anonyme datant du XVIIIe siècle, et conservée aujourd’hui à la bibliothèque de l’Ensba (22620, f. 43)6, confirme la richesse de cette pièce ainsi que son état originel. Sur la planche, les guirlandes de fleurs sont plus longues et des branches d’oliviers émergent du motif rocaille situé sur la base. Si ces derniers éléments n’apparaissent plus sur l’horloge de parquet en 1931, ils sont bien présents sur notre horloge de parquet. Cette gravure, malheureusement émargée et donc non signée du graveur ou du dessinateur, atteste soit du projet même de réalisation de l’horloge de parquet «Christie’s» soit de son état après exécution. La conformité entre les deux documents iconographiques, l’un datant du XVIIIe siècle, l’autre de 1931, témoigne toutefois de l’état d’origine du modèle. 

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Ainsi, le modèle de l’horloge de parquet dit « à la lyre » fut indiscutablement conçu par Juste-Aurèle Meissonnier avant 1727 et fut réalisé au moins en trois exemplaires présentant quelques légères différences dans leur structure.  

Notre horloge de parquet compte un simple raccordement entre la lyre et la partie du cadran, similaire à celui de l’horloge de parquet « Coypel », tandis que l’horloge de parquet « Christie’s » présente un double raccordement. D’autres différences, notamment au niveau de la base, résultent certainement de modifications ultérieures, particulièrement sur l’horloge de parquet « Coypel », peuvent être observées tandis que le notre n’a subi aucune intervention sur sa structure originelle. Seuls les bronzes figurant la Diane Chasseresse et le buste de Louis XIV distinguent notre modèle de la gravure anonyme datant du XVIIIe siècle. Notre horloge de parquet présente en effet, dans sa composition générale et dans la disposition des bronzes, de grandes similitudes avec ce document graphique.  

Le modèle en forme de « lyre » conçu par Meissonnier présente en outre des réponses formelles exigeantes résultant de la forme même de la boîte de l’horloge de parquet. En effet, la caisse en forme de lyre est composée une marqueterie à la fois concave et convexe, en hauteur et en largeur. Différentes solutions ont certainement été expérimentées par les ébénistes avant de réussir à concevoir une caisse à la forme si novatrice permettant en outre d’accueillir le mouvement de balancier.  

Si les bronzes ornementaux sont quasi similaires entre les trois exemplaires connus et ce sur les quatre éléments composants l’horloge de parquet depuis le cadran jusqu’à la base, de grandes différences s’observent toutefois dans les choix des motifs iconographiques prédominants installés sur les cadrans. Le modèle « Coypel » est surmonté d’un Amour, celui de « Christie’s » d’un Amour et de Psyché, alors que sur notre horloge de parquet se trouve une Diane chasseresse, entourée de son chien et d’un Amour. Ce modèle en bronze est l’œuvre de Charles Cressent (16 décembre 1685 - 10 janvier 1768) et se retrouve sur différentes œuvres figurant dans son catalogue raisonné7 à l’instar de la pendule Crozat8, de deux serre-papiers conservés dans les collections du château de Grimsthorpe9, d’un serre-papiers daté vers 1740-1745 conservée dans la collection Wallace10, d’un haut de serre-papiers déposé sur un bureau à espagnolettes au Musée du Louvre11 et enfin, d’un cartonnier vitré, ancienne collection Lonsdale12 . Par ailleurs, notre horloge de parquet présente un portrait en buste de Louis XIV à la base du corps de la « lyre ». Dans la vente de ses effets organisée par Cressent en 1749, est cité sous le numéro 11 « Un buste de bronze représentant le portrait de Louis XIV. D’un pied ou environ de hauteur13». 

Ce buste de Cressent s’inspire vraisemblablement de l’œuvre de François Girardon ou de Martin Desjardins, ayant tous deux représenté le souverain sous les traits d’un empereur romain14. Si ce buste cité dans l’inventaire n’est pas littéralement celui figurant sur la base de la « lyre » de notre horloge de parquet, le motif est en pourtant le même et appartient au répertoire de Cressent. Ebéniste et sculpteur de formation, Charles Cressent dirige, à partir de 1719, l’atelier de Joseph Poitou (fournisseur de la Couronne) dont il a hérité en épousant sa veuve. Il conçoit les meubles qui y sont réalisés et il dessine et produit, en qualité de sculpteur, les bronzes d’ameublement. En effet, très attentif au travail du bronze, Cressent se distingue de ses confrères ébénistes. Il veillait à conserver l’exclusivité de ses modèles conçus et modelés dans son atelier et s’assurait que ses modèles ne servent à aucun autre15. Ainsi, il a connu de graves démêlés avec les corporations des fondeurs-ciseleur pour avoir sculpté et ciselé lui-même de très nombreux ornements en bronze qu’il apposait sur les meubles sortant de son atelier. En 1723, en 1735 et en 1743, il fait l’objet de procès menés par les fondeurs-ciseleurs. En 1743, avec le fondeur Jacques Confesseur, il est même condamné pour la fabrication d’ornements de bronze. La présence de ce bronze majestueux figurant Diane chasseresse entourée de son chien et d’un Putti sur notre horloge de parquet ne peut donc être le fruit du hasard. Des montures en bronze issues de l’atelier de Cressent ne peuvent en effet se retrouver sur des meubles réalisés par d’autres ébénistes. En outre, l’homogénéité des bronzes appliqués ainsi que leur parfaite intégration sur les lignes de l’horloge de parquet confirment qu’ils sont le résultat d’un travail conçu comme une entité, selon les méthodes de travail de Charles Cressent et de son atelier. 

Sur l’extérieur arrière de la caisse en forme de « lyre », notre horloge de parquet porte l’estampille de « E. J. Cuvellier». Peu de choses sont connues à propos de cet ébéniste actif entre 1745 et 1775. On ignore même la date à laquelle il fut reçu maître. E. J. Cuvellier semble avoir essentiellement travaillé à la restauration d’œuvres plus qu’à leur exécution. Plusieurs pièces portent en effet son estampille mais ne sont pas, avec certitude, de sa main comme le prouvent le secrétaire à abattant d’époque Louis XV, conservé aujourd’hui au musée des Arts Décoratifs, ou, et de façon plus frappante encore, le monumental bureau et son cartonnier et pendule réalisés vers 1757 pour le collectionneur Ange-Laurent de Lalive de July attribués à Joseph Baumhauer sur un dessin de Louis-Joseph le Lorrain (aujourd’hui dans les collections du musée Condé, Chantilly). Il n’est pas à douter que son intervention ne peut concerner qu’une restauration tant notre horloge de parquet témoigne de la main de Charles Cressent. Qu’il s’agisse de l’ensemble des bronzes déjà évoqués ou encore de la marqueterie en forme de losange - présente notamment sur les flancs de la « lyre » - typique du travail d’ébénisterie de Cressent. Enfin, le mouvement de notre horloge de parquet sonne les heures et les quarts avec répétitions à tirage. De très belle facture, il témoigne d’une construction d’exception de style neuchâtelois. La signature au dos du mouvement aujourd’hui visible, J-P DU COMMUN à Paris, a été, à une date inconnue, recouverte par une plaque indiquant « Lespine hger du Roy ». Différentes sources bibliographies conduisent à identifier Jean-Pierre du Commun-dit-Tinon comme auteur le plus probable de cette réalisation16. Issu d’une famille d’horlogers neuchâtelois, il s’engage en 1739 dans les troupes de France après avoir contracté des dettes. 

De retour à La Chaux-de-Fonds en 1749, il apparaît à plusieurs reprises dans des registres en qualité de pendulier et de marchand horloger. Pendant les dix années passées sous les drapeaux, il a très certainement continué à pratiquer son art et notre mouvement serait le témoignage de son activité parisienne. Toutefois, n’étant pas inscrit dans une corporation de métier, cette pratique était illicite et durement réprimandée. Ceci pourrait expliquer la présence d’une plaque signée d’un autre nom et apposée au dos du mouvement afin de dissimuler la signature neuchâteloise, si reconnaissable avec ses volutes gravées dans le métal, et ainsi écarter toute contestation de la part des corporations. 

Notre horloge de parquet est évidemment le résultat d’une commande importante d’un très haut personnage, sinon du Régent lui-même, dont nous n’avons pas pu jusqu’à présent identifier le nom. Quoiqu’il en soit, il s’agit sans aucun doute de l’un des plus belles horloges de parquets produits au XVIIIe siècle.

Bibliographie : Alfred CHAPUIS, Histoire de la Pendulerie Neuchâteloise, Genève, 1917.
TARDY, Dictionnaire des horlogers français, Paris, 1972.
Alexandre PRADERE, Les ébénistes français de Louis XV à la Révolution, Paris, Editions Le chêne, 1989.-Veneer-Long-Case-Regulator-with-Manual-Equation-
Jean-Dominique AUGARDE, Les Ouvriers du Temps, La Pendule à Paris de Louis XIV à Napoléon 1er, Antiquorum, Genève, 1996.
Peter FUHRING, Juste-Aurèle Meissonnier, un génie du rococo, 1695-1750, Turin, Londres : Umberto Allemandi, 1999.
Alexandre PRADERE, Charles Cressent sculpteur, ébéniste du Régent, Editions Faton, Dijon, 2003.

1. FUHRING, 1999, p. 175-179. 
2. AUGARDE, 1996, p. 62. 
3. AUGARDE, 1996, p. 60. 
4. FUHRING, 1999, p. 179. 
5. La localisation actuelle de ce régulateur est totalement inconnue. FUHRING, 1999, p. 179-180. 
6. Ensba, 22620, f. 43, in Pendules, baromêtres, lustres, candélabres, chenêts. Cette gravure, coupée, ne présente aucune signature. 
7. PRADERE, 2003, p. 271. 
8. Pendule en amarante noirci à demi-cadran, le mouvement par Guiot. Pendule de cartonnier qui était posée sur une console de Boulle dans l’hôtel place Vendôme de Louis-Antoine Crozat de Thiers (1699-1770), aujourd’hui dans une collection privée. 
9. décrit dans les ventes de Cressent de 1749 et 1757. 
10. en satiné et amarante surmonté de la pendule avec Diane et les groupe d’hallalis. 
11. caisson en placage d’amarante et satiné, le boîtier de la pendule (manquante) est surmonté d’un groupe avec Diane chasseresse, 
12. Vente Christie’s Londres, 5 mars 1879, lot 397. 
13. Catalogue de différens effets curieux du Sieur Cressent ébéniste des palais de feu S. A. R. Monseigneur le duc d’Orléans, cette vente dans laquelle il ne sera rien retiré se fera au plus offrant et dernier enchérisseur, le 15 janvier 1749 (…), Bibliothèque de l’Inha. 
14. PRADERE, 2003, p. 331. 
15. AUGARDE, 1996, p. 159 et p . 159. 
16. CHAPUIS, 1917, p. 464-465 et TARDY, 1972, p. 196.

AGUTTES, Tableaux Anciens, Mobilier et Objets d'Art (Neuilly), le 12 Avril 2016 à 14h30

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