Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Alain.R.Truong
Alain.R.Truong
Publicité
Visiteurs
Depuis la création 50 902 733
Archives
Newsletter
Alain.R.Truong
6 novembre 2011

Exceptionnel fauteuil en hêtre entièrement mouluré et doré. Époque Louis XV, vers 1740-1745

138

138_1

138_4

138_7

Exceptionnel fauteuil en hêtre entièrement mouluré et doré. Époque Louis XV, vers 1740-1745. Photo courtesy Europ Auction

Il repose sur quatre pieds galbés, reliés par des feuilles d'acanthe à la ceinture décorée d'une coquille feuillagée. Les traverses latérales, elles aussi galbées, sont constituées de deux volutes affrontées d'où partent les consoles d'accotoir en coup de fouet, ornées à leur base d'une fleur épanouie. Le dossier simplement cintré, sans traverse inférieure, est, comme l'assise, festonné sur son pourtour de vagues et de pastilles. Strasbourg, ateliers du Palais, sur des dessins de Johann-August Nalh (Berlin, 1710-Cassel, 1781). H 108, L 75, P 60 cm - Estimation: 150 000/200 000 €

Provenance: Palais de Rohan, Strasbourg.

Il est garni en plein d'un tissu de brocart de soie vieux rose rehaussé de fils d'or et d'argent du XVIII° siècle (ancienne collection Patino).

Bois de hêtre reparé d'or. Le revers des traverses est lisse, et, comme le prouvent quelques traces, était initialement doré. Les marques de propriété ou d'inventaire, à l'encre, ne sont plus visibles.

Bibliographie: Jean-Daniel Ludmann, "Le Palais Rohan de Strasbourg", Strasbourg, 1979.

Idem, "Le Palais Rohan retrouve son éclat d'antan", in Connaissance des arts, n°251, janvier 1973, pp132-141.

Bill G.B. Pallot, "L'art du siège au XVIII° siècle en France", Paris, 1987.

Notre fauteuil correspond aux descriptions de l'ensemble de mobilier commandé par le cardinal de Rohan pour son nouveau palais épiscopal de Strasbourg et dispersé à la Révolution. Savamment étudié par Jean-Daniel Ludmann, nous disposons aujourd'hui d'une vision plus précise de l'ameublement, d'autant que grâce au mécénat de M. Riahi (don 1988, dépôt du Louvre), le palais Rohan a retrouvé trois de ses fauteuils d'origine. En effet un siège de l'ancienne collection Murat (Vente, palais Galliera, 2 mars 1961), offert avec d'autres aux musées de Strasbourg, porte encore sous la ceinture non seulement la macle des Rohan, mais également l'indication exacte de son emplacement: "Chambre du Dais", et permet donc une identifi cation formelle.

138_3

Gravure du Cardinal de Rohan. Photo courtesy Europ Auction

Gaston-Armand de Rohan, fils cadet du prince de Soubise, est le candidat du Roi pour l'évêché de Strasbourg, nouvellement rattaché au royaume, poste autant diplomatique que spirituel, et que le nouveau prélat occupe avec dignité et compétence. Il lui faut "représenter" aux marches de l'Empire, dont il est Prince, et sa résidence joue donc un rôle majeur dans cette optique. Ce grand seigneur, élevé entre Versailles et Paris, où ses parents ont fait bâtir l'Hôtel de Soubise par Robert de Cotte, va faire édifier par ce même "premier architecte du Roi" le palais qui porte aujourd'hui encore son nom. La construction est décidée en 1727 et dure près de dix ans. Robert Le Lorrain sculpte les façades. La décoration intérieure est un manifeste rocaille dû aux plus fameux ornemanistes, Meissonnier, Oppenord, Toro ou Nahl, et le mobilier est conçu dès l'origine comme partie intégrante de ce chantier novateur. Les plus grands artistes contemporains reçoivent des commandes pour un programme iconographique précis, dont huit portraits monumentaux des princes-évêques de Strasbourg, des scènes tirées de l'Histoire sainte, par Parrocel, ou des reprises des Loges du Vatican de Raphaël. Des bustes de marbre représentant des Empereurs romains, toujours en place dans la bibliothèque, voisinent avec celui du Cardinal, par Bouchardon. La série de tapisseries de "l'Histoire de Constantin" d'après Rubens, héritée des collections Mazarin est placée dans la Chambre du Roi. Enfin un grand tapis d'Aubusson, tissé aux armes du cardinal est livré en 1743. Ainsi la Cour de Strasbourg est une vitrine, premier coup d'oeil sur la France, qui s'offre aux voyageurs qui viennent du Saint-Empire ou des pays encore plus lointains, avant Versailles.

138_2

Palais épiscopal de Strasbourg - 1744. Photo courtesy Europ Auction

Louis XV peut être reçu en 1744, avec le faste qu'un prince quasi-souverain peut offrir au Roi de France. C'est la première visite d'un monarque en Alsace depuis 1681, et les fêtes données à cette occasion dont le cardinal est l'ordonnateur- laissent un souvenir extasié aux populations.

C'est également au palais Rohan que les Dauphines Marie-Josèphe de Saxe, en 1747, et Marie-Antoinette d'Autriche, en 1770, sont accueillies lors de leur première nuit en France.

Dans la tradition classique, le palais offre une enfilade de pièces -d'appartements- de réception. Ainsi l'Appartement du Roi, dans les Grands Appartements, se compose de la "Chambre du Dais" dite "Chambre du Roi", du Grand Cabinet ou Salon d'assemblée. Il s'y reflète une volonté de magnificence, mais également un strict respect de l'Etiquette.

Les descriptions successives permettent de reconstituer et de restituer dans chacune des pièces les éléments du mobilier qui les ornaient. Celles de l'appartement du Roi avaient été pourvues de sièges au décor caractéristique, que le fauteuil de la donation Riahi, grâce à sa mention "Chambre du dais", a ainsi permis de "légitimer de manière irréfutable" (Ludmann).

La Chambre renfermait derrière la balustrade de l'alcôve, outre le lit, (qui aurait été déplacé en 1746 au profit du buste de Louis XV par Jean-Baptiste Lemoyne, cadeau du Roi), "deux fauteuils de bois sculpté et doré, garnis de crin et couverts de damas cramoisi bordé d'un galon d'or fin", et dans sa partie antérieure "douze (seize dans l'inventaire de 1779) ployants...". Ces deux fauteuils, que l'Etiquette réservait au Roi, ont une traverse arrière bien visible.

La Bibliothèque renfermait un plus grand nombre de fauteuils (douze): "recouverts de maroquin jaune encadré de maroquin cramoisi", et dont un exemplaire a été retrouvé dans le commerce parisien et acquis en 1974 par les Musées de Strasbourg. Ils différent de notre modèle par un gabarit plus étroit et au dossier plus haut, plus adapté aux exigences du travail à une table. Il en va de même des fauteuils (six) de la chambre du Cardinal, dont Ludmann pense avoir retrouvé trace au château de Fleury-en-Bière, eux aussi plus étroits, et s'adaptant exactement aux panneaux de la pièce.

Enfin, rivalisant de somptuosité avec la Chambre du dais, le Salon d'assemblée ou "Grand cabinet du cardinal" comprenait douze autres ployants, un grand canapé à confidents, quatre "fauteuils en bergère" et deux fauteuils "de bois sculpté et doré, garnis de crin et d'un carreau en plumes, couverts de damas cramoisi orné d'un grand et bordé d'un petit galon d'or fin". Ludmann pense en avoir retrouvé trace de l'un d'eux dans le commerce d'antiquités strasbourgeois vers 1890 et connu par une photographie de l'époque. Il est dégarni avec son châssis partiellement apparent: la traverse inférieure du dossier, rectiligne, semble devoir être dissimulée derrière la tapisserie -ce qui correspond à notre fauteuil- avec la même fleur (marguerite ou tournesol) épanouie au bas des accotoirs. La possibilité d'une cuvette recevant un "carreau" (coussin) est nettement visible au bas de l'accotoir.

L'attribution du dessin à un artiste plutôt qu'un autre est délicate: Ludmann lui-même est "incertain", mais penche pour le berlinois Jean (Johan)-August Nahl, formé à Paris et à Rome, qui travaille au Palais entre 1738 et 1741, avant de devenir le principal décorateur des résidences de Frédéric II.

En l'absence d'archives de la comptabilité et des factures, dispersées ou brulées, seuls nous restent des descriptions et des inventaires, qui hélas ne nous renseignent pas sur les artisans. Ainsi, s'il est très probable que les panneaux des boiseries ont été dessinés par les agences des architectes, les menuisiers, autant que les sculpteurs ou les doreurs, nous échappent. Des équipes ont pu être constituées sur place, avec ou non des ouvriers parisiens, qui ont naturellement oeuvré sur le mobilier. "De 1728 à 1730 les envois de meubles et d'objets furent si nombreux que l'abbé de Ravannes, intendant du cardinal, craignait qu'il ne finît "par y apporter tout Paris". Le montage de la menuiserie évoque un travail plus proche d'ateliers allemands que parisiens, sans qu'une collaboration soit exclue: on sait qu'il fît fait appel aux artisans parisiens fournisseurs des Rohan et qu'ainsi Migeon livra des meubles d'ébénisterie, même si par exemple les "sept corps d'armoire de bibliothèque" d'acajou massifs, vers 1738-1741, sont le chef-d'oeuvre du westphalien Bernard Kocke.

Exceptionnel par sa provenance et sa qualité, notre fauteuil est un rare témoignage de l'ameublement d'un palais princier du XVIII° siècle.

138_5

Fauteuil des Grands Appartements conservé au musée des Arts décoratifs, Palais Rohan, Strasbourg. Photo courtesy Europ Auction

138_6

Fauteuil des Grands Appartements, Palais Rohan, Strasbourg. Photo courtesy Europ Auction

 Europ Auction. Jeudi 10 novembre à 15h00. Drouot Richelieu - Salle 4. info@europauction.com - Tél.: 01 42 46 43 94

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité