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Alain.R.Truong
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2 juin 2014

Nicolas de Staël (1914 - 1955), Verre et pinceau

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Lot 16. Nicolas de Staël (1914 - 1955), Verre et pinceausigné, huile sur toile, 38 x 55 cm; 15 x 21 11/16 in. Exécuté en 1954. Estimate 400,000 — 600,000 EUR. Lot sold 721,500 EUR. Photo Sotheby's.

Provenance: Paul Rosenberg, New York (septembre 1954)
Arthur Tooth, Londres (janvier 1956)
Fisher Fine Art Ltd., Londres
Collection particulière, Suisse
Vente: Christie's, Londres, Twentieth Century Art, 9 décembre 1999, lot 380
Acquis lors de cette vente par le propriétaire actuel

Literature:  Jacques Dubourg et Françoise de Staël, Nicolas de Staël : Catalogue raisonné des peintures établi par Jacques Dubourg et Françoise de Staël, Paris, 1968, p.335, no.830, illustré
Françoise de Staël, Nicolas de Staël, Catalogue raisonné de l'oeuvre peint, Paris, 1997, p.558, no.886, illustré

D’autoportrait de Nicolas de Staël, il n’en n’est point. Une synecdoque désigne Verre et pinceau comme celui-là. 
Peint à Paris en 1954, Verre et pinceau est également une œuvre exemplaire de la manière et de la vision synthétiques à laquelle Staël parvient dans les mois ultimes de l’année 1954 et du début de l’année 1955.

Le corpus des natures mortes de Nicolas de Staël s’inscrit dans la lignée d’un genre qui va des natures mortes illusionnistes des Pays-Bas du XVIIème en passant par lesbodegones minimalistes du Siècle d’or espagnol jusqu’aux premières pommes de Cézanne et les dernières compositions de Braque. 
Mais dans les toiles de Staël où se dissolvent les limites entre figuration et abstraction, l’objet n’est pas celui qui est identifié et représenté – fruits, fleurs, bouteilles, pinceaux ou palette – mais  la peinture elle-même. 
Quasi-conceptuelles, les natures mortes de Nicolas de Staël sont pour l’artiste le lieu d’expérimentation de procédés picturaux et d’aboutissement de ses réflexions sur l’espace, la forme et la couleur dans l’espace. 
«  Chaque peintre fait ce qu’il peut avec ou sans un culte pour l’objet, mais c’est toujours un prétexte. On ne peut absolument pas penser à quelque objet que ce soir, on a tellement d’objets en même temps que la possibilité d’encaissement s’évanouit. Chez Rembrandt un turban des Indes devient brioche, Delacroix le voit comme meringue glacée, Corot tel un biscuit sec et ce n’est ni turban ni brioche ni rien qu’un trompe-la-vie comme elle sera toujours, la peinture, pour être. Objet, oui, inconnu familier, pigment » (Nicolas de Staël, Lettre à Pierre Lecuire, Paris 18 novembre 1949). 

Verre et pinceau est d’une autre dimension encore. Elle est une œuvre où l’objet n’est plus seulement l’objet de la peinture, une œuvre où le verre et le pinceau représentent autre chose que des choses, un sujet unique : le peintre lui-même. 

De manière inédite, dans Verre et pinceau, les attributs du peintre mis traditionnellement à l’exergue des autoportraits d’artiste -  ceux de Rembrandt à Van Gogh en passant par Poussin - sont non seulement visuellement déconnectés de la figure éponyme, mais aussi quasiment elliptiques : le verre où dans l’eau se dilue la peinture et le pinceau chargé de peinture suffisent à signaler la toute-présence de l’artiste. 
Verre et pinceau serait d’un genre nouveau, flottant dans l’espace laissé libre entrel’Ut pictura poesis des Anciens et la Pittura metafisica du XXème siècle.

D’un point de vue plastique, Verre et pinceau montre un exceptionnel degré de maîtrise de la spatialité. Au choc des axes – horizontalité de la table et du pinceauversus verticalité du verre – répond la conjonction des plans tempérée par le tressaillement de la ligne d’horizon qui suggère subtilement la profondeur. Pour autant, dans Verre et pinceau, le génie de Nicolas de Staël intègre une autre dimension : une dimension abstraite qui s’épanouit dans les espaces vides, entre les formes nimbées de vapeur et les lignes indéterminées.  L’équilibre réputé implacable est visuellement perturbé par ces circulations d’espaces intermédiaires sans pour autant affecter les rapports harmonieux des objets entre eux et dans leur rapport à l’artiste. De ce point de vue,  Verre et pinceau serait l’image d’une lutte que l’on pourrait qualifier de romantique entre une perfection courageusement atteinte (l’équilibre)  et une fragilité diffuse. A cet égard et de surcroit, Verre et pinceau serait bien le miroir du peintre.

L’harmonie de Verre et pinceau est servie par la fluidité de la touche. La matière est étirée au pinceau – celui que l’artiste a représenté sur la toile – succédant à la truelle et au couteau des années précédentes.  Peint à la manière des paysages d’Italie où la luminosité a induit une intensification des couleurs et un allègement subséquent de la couche picturale, Verre et pinceau a la matière des grands horizons. Entre opaques et transparences,  glacis et halos vaporeux, Verre et pinceau impose et confirme une harmonie oscillante hors du commun.  Il faudra se tourner vers Rothko pour retrouver un tel mystère et une telle transcendance de la matière.

Blanc surnaturel du verre, bruns puissants en rupture avec les orange et vert vifs du pinceau, une touche indéfinissable d’ocre, deux éclats de rouge : Verre et pinceau est d’une sobre audace chromatique. Rien de tapageur mais quelle intelligence. Privilégiant des teintes sourdes distribuées autour d’un axe horizontal médian, Nicolas de Staël accède, avec des éclats soudains et circonscrits de couleurs contrastées et presque pures, à une stupéfiante monumentalité.

A travers le combat entre la sérénité des formes et le vertige des tons, au-delà du réalisme magique et de l’abstraction latente, Verre et pinceau est le lieu rare et ténu où ce que Nicolas de Staël voit entre en adéquation avec ce qu’il est.

Sotheby'sART CONTEMPORAIN, Paris, 03 juin 2014 - 04 juin 2014

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